Images de page
PDF
ePub

tiques aux prescriptions portées par quelques souverains.

Enfin, il privera des honneurs de la sépulture | pu vouloir ajouter des prescriptlons ecclésiasnon seulement ceux qu'on lui aura désignés comme duellistes, suicides, ou impies proclamés, mais encore ceux des chrétiens qu'une mort subite ou inattendue aura pu surprendre.

Pour tout cela, si on lui fait des remontrances et qu'il daigne y répondre, il allèguera, sans les citer, des canons que personne ne connait, que souvent il ne connaît pas lui-même, et qui, quand on vient à les connaître, n'autorisent ni ne justifient sa conduite.

Si on pouvait douter que ces prétentions et ces abus, qu'on dit n'être plus en vigueur au moment présent, le sont encore, il me suffirait de citer (et je le fais avec un grand regret) la lettre pastorale d'un prélat non moins recommandable à mes yeux par sa piété que par les injustices dont il a été l'objet.

Ce prélat a jugé à propos, dans une espèce de manifeste publié par les journaux, de recommander aux chefs de la milice sous ses ordres de refuser aux duellistes l'honneur de la sépulture religieuse.

Je ne m'expliquerai pas sur les inconvénients moraux ou politiques du duel; je n'ai rien à contester à cet égard relativement aux plaintes que le vénérable prélat a pu manifester. Si ces plaintes s'étaient exprimées par un mandement, en un simple épanchement de douleur, le respect m'imposerait le silence. Mais ce ne sont pas seulement des plaintes que le vénérable prélat a exprimées ou des exhortations qu'il a voulu faire; c'est une juridiction qu'il a prétendu exercer. L'exercice de cette juridiction, il l'a motivé sur des allégations historiquement et canoniquement erronées. Cette prétention intéressant à beaucoup d'égards les libertés chrétiennes, ainsi que l'ordre et la tranquillité publique, mon devoir comme chrétien, comme citoyen, comme pair, est de m'élever contre cet acte, et d'en faire connaître le contenu.

Et d'abord je remarquerai que la lettre pastorale prétend s'appuyer des lois anciennes de l'Eglise.

L'histoire ecclésiastique à la main, si l'on excepte le concile de Trente, dont je parlerai bientôt, je demanderai où sont ces lois anciennes.

Soit que le duel de point d'honneur d'aujourd'hui se rapporte, comme quelques-uns l'ont dit, à l'ancien combat judiciaire; soit, comme quelques autres le croient avec plus de raison, que ce soit un reste de nos anciennes guerres privées, il me semble que, dans l'une ou l'autre hypothèse, le vénérable prélat n'a pas eu une pensée juste. Il ne contestera pas que, pendant un grand nombre de siècles, le duel judiciaire n'ait eu lieu dans l'officialité de Paris, ainsi que dans toutes les cours ecclésiastiques; il ne contestera pas que le droit des guerres privées entre les nobles n'ait été sanctionné par un grand nombre d'ordonnances de nos rois. Je ferai plus, je lui rappellerai que le clergé les a consacrées lui-même, non seulement dans la pratique, comme possesseur de fief, mais encore comme concile, comme assemblée canonique; c'est ce qui a composé la trêve du Seigneur, la paix de Dieu, si célèbre dans nos histoires.

Je viens actuellement au concile de Trente. A cette époque, lorsque le régime féodal et le droit public de la France étaient changés, lorsque les anciennes guerres privées, faute de l'assistance des vassaux, n'étaient plus devenues que de simples guerres individuelles, le concile de Trente, dans son chapitre de la réformation, a

A cet égard, je ne m'arrêterai pas à remarquer que ce concile, admis en France pour les points de dogme, ne l'est pas sur les points de discipline. Je me contenterai d'observer que, dans le 19e canon du chapitre de la réformation où il est question des duels, l'interdiction pour la sépulture ecclésiastique est restreinte au seul cas de ceux qui mourraient dans le duel même : si in ipso conflictu decesserint. Or, si on veut se rappeler les divers scandales qui, en ce genre, ont eu lieu à Paris, à Clermont, dans divers endroits de la France, on verra que, sans égard aux termes du concile de Trente, les curés ont procédé constamment au refus de sépulture, à l'occasion de duels auxquels les combattants avaient plus ou moins survécu.

A ce sujet même, il se présente une grande difficulté : c'est que, sur tous les droits de cette espèce, quand ils seraient réels, le clergé n'a ni la faculté ni aucun moyen régulier de les exercer. En effet, depuis la suppression des officialités, comment un pauvre curé aurait-il le moyen de savoir que le duelliste qu'il repousse de son église est mort réellement dans le combat, et non pas à la suite du combat?

Il en est de même à l'égard du suicide. Je me contenterai d'un seul exemple.

Un prince de triste et douloureuse mémoire a été trouvé un matin mort, et pendu à la fenêtre de sa chambre. On a cru et on a dû croire d'abord qu'il s'était donné la mort. Pourtant au bout de quelques jours des informations nouvelles donnent lieu à des doutes, et ces doutes à un grave procès. Quoi! lorsque le magistrat, avec tous les moyens d'instructions qui sont en sa puissance, a peine à préciser un fait, soit de duel, soit de suicide, vous, curé, vous allez, sur le rapport de votre bedeau ou de votre servante, infliger avec éclat à une famille déjà désolée lá nouvelle désolation d'un opprobre!

Je ne dirai qu'un mot d'une autre espèce de scandale. Récemment, un prêtre s'est permis de refuser la communion à une jeune fille, sous le prétexte de quelques rapports qui lui étaient survenus sur sa conduite. Sous l'ancien régime, plus accoutumé que celui-ci au despotisme, un tel scandale n'eût pas été souffert; ni un parlement, ni une sénéchaussée, ni le moindre bailliage en France, n'aurait toléré une telle infraction.

Si c'est par la confession qu'un prêtre est instruit, son refus est un crime, car il est une révélation de la confession même. Si c'est par des rumeurs, des rumeurs sont une chose vague. Convient-il à un prêtre, par un acte solennel, de les authentiquer en leur donnant la sanction de son ministère? Comment! voilà une jeune fille, sans examen, sans jugement préalable, marquée sous les yeux de son père et de toute la contrée du sceau de l'ignominie! Une telle chose est condamnable selon les lois, horrible selon les

[blocks in formation]

expose un coupable à la honte et à la malédiction de ses concitoyens. Est-ce un droit de pilori que le prêtre prétend exercer?

Dans des cas de refus de sépulture, le prêtre repousse de son église un homme mort qu'il sait avoir vécu dans la croyance chrétienne. Il s'étonne de l'irritation que cause son refus. Son étonnement vient d'un défaut de réflexion.

Certainement, il est dans la croyance chrétienne que tel ou tel de nous est, selon sa conduite ici-bas, passible des peines de l'autre vie; mais, excepté dans un esprit égaré, il n'a pu venir à la pensée de personne de s'emparer d'office du jugement de Dieu, à l'effet de le solenniser d'avance et de le préconiser.

Vous avez un droit de canonisation pour le ciel; en avez-vous aussi un pour l'enfer? Dans vos canonisations pour le ciel, s'il y a un grand bonheur et une grande joie pour une famille chrétienne d'apprendre qu'un saint qui lui appartient, il y a par là même beaucoup de douleur d'apprendre qu'un père, un frère, un fils chéri est détenu en enfer. On n'aime à avoir ni un damné ni un pendu dans sa famille.

Il me reste actuellement, Messieurs, à vous parler des irritations que ces écarts de toute espèce ont causées dans le pays. On voudrait nous faire croire que ces irritations sont une chosé nouvelle. Les écarts du clergé ayant existé dans tous les temps, vous allez voir que l'irritation contre le clergé a été la même dans tous les temps.

Le premier monument à cet égard (il est remarquable), c'est la bulle Clericis laicos, de Boniface VIII. Le souverain pontife nous apprend, dans cette bulle, que dès les temps les plus anciens, ab antiquissimis temporibus, les laïques ont été profondément ennemis des ecclésiastiques, oppido infensos.

Dans les âges subséquents, j'ai à vous présenter un témoignage que vous ne récuserez pas; c'est celui du vénérable et judicieux abbé Fleury. Après avoir rapporté, dans le XVI siècle, les mesures iniques et arrogantes du clergé, il ajoute :

« Aussi les laïques, de plus en plus irrités, en venaient aux voies de fait et aux violences ouvertes. Ils arrêtaient les porteurs des lettres ou d'ordre des évêques qu'ils leur arrachaient, et les déchiraient. Ils prenaient les clercs, les chargeaient de coups, les emprisonnaient, les rançonnaient, et quelquefois les mettaient à mort. » Je ne sache pas, Messieurs, qu'on ait rien fait de pire en ce temps-ci.

Il m'a paru nécessaire de vous rappeler ces irritations dans les temps les plus pieux et les plus religieux de notre histoire, pour vous faire comprendre, en premier lieu, que, dans tous les temps, l'esprit et les prétentions du clergé ont été les mêmes.

Vous verrez ensuite, par là, que ce qui a été dit sur les irritations de ce temps-ci comme émanant d'un esprit irréligieux où révolutionnaire n'a aucun fondement.

Dans des occasions de sépulture, on enfonce la porte des églises. Qu'est-ce, au fond, si ce n'est un désir chrétien de participer aux choses chrétiennes? On n'éprouve pas tant de colère pour la privation d'une chose qu'on hait, ou qu'on dédaigne. Malheur même au temps où on en arrivera là! La preuve que ce n'est ni le ministre ni le ministère en soi qui est l'objet de cette irritation, c'est que les mêmes hommes qui iront à l'Archevêche insulter un prélat en raison des mauvaises dispositions qu'on lui suppose,

auront été auparavant chercher avec respect M. l'abbé Paravey pour donner les honneurs de la sépulture religieuse à de malheureuses victimes de Juillet.

Qu'il soit donc bien entendu, malgré les préventions contraires, que ce n'est ni par esprit d'irréligion ni par un esprit révolutionnaire qu'ont eu lieu en ce genre les violences qu'on a eu à déplorer. C'est parce que la société est chrétienne, c'est parce qu'elle met un grand prix à jouir des solennités de son culte, qu'elle éprouve une grande irritation lorsque, par l'effet de l'orgueil ou de l'injustice du prêtre, elle s'en trouve privée.

Après cela, je ne dissimulerai point qu'il y a aussi de la colère contre une prétention de domination de la part du prêtre, et un acte d'outrage. On peut n'avoir pas beaucoup de goût pour la vie militaire, mais même avec cette disposition un soldat n'aime pas à être chassé du corps auquel il appartient; tout homme qui s'est engagé dans une société ne peut s'en voir tranquillement expulsé. Il en est ainsi du chrétien ; c'est ce qui fait que, malgré les efforts du clergé, les excommunications n'ont jamais pu s'établir en France.

Je ne prétends pas nier que tout corps ayant ses statuts, toute société ses règles, celui qui les enfreint ne doit être tenu aux peines de son infraction. Toutefois, il faut d'abord que ces règles soient légales, ces statuts authentiques; il faut aussi que le juge qui a à les appliquer soit désintéressé et impartial.

C'est difficile dans les questions ecclésiastiques et avec des juges ecclésiastiques.

Dans un procès civil, si le magistrat qui en est l'arbitre se trompe dans son jugement, on ne pourra pas soupçonner que ce soit dans un esprit d'agrandissement de sa puissance. Quand M. le premier président de la cour royale prononce un arrêt en faveur du plaideur A contre le plaideur B, il n'a pas la pensée que cet arrêt puisse profiter en quelque chose à son autorité ou à celle de la cour royale. Il n'en est pas de même dans l'ordre ecclésiastique. Lorsque le plaideur A, qui est un laïque, est en contention avec le plaideur B, qui est son curé, pour raison d'abus de puissance, si la contention est portée devant l'évêque, on peut en prévoir l'issue.

Ces considérations ont déterminé dans tous les temps l'intervention des pouvoirs de la société dans les affaires ecclésiastiques. Sous SaintLouis, ce fut la noblesse française; sous Philippe-le-Bel, ce furent les Etats généraux; sous Philippe de Valois, ce fut le parlement de Paris, dirigé par l'avocat-général Philippe de Cugnères: sous Louis XIV, les libertés de l'Eglise gallicane furent opposées aux prétentions de Rome.

Plus tard, ces considérations ont excité, en faveur des libertés chrétiennes, contre les prétentions du clergé, la sollicitude la plus active des parlements.

Dans ces derniers temps, elles ont, à la suite du concordat, attiré l'attention de Bonaparte. En vertu d'une loi qui existe encore, et quí, sous divers prétextes, n'a pu avoir une exécution pleine, il a été réglé que tous les cas d'abus intéressant soit la puissance souveraine, soit les droits des citoyens, seraient portés au conseil d'Etat. Tel a été le sénatus-consulte organique de l'an X.

On peut le déclarer franchement, ce sont les droits et les libertés chrétiennes dont cette loi a voulu prendre hautement la défense contre

les actes et les prétentions du clergé. Elle n'a fait à cet égard que consacrer et authentiquer l'ancienne jurisprudence des parlements. Selon cette jurisprudence, un prêtre n'aurait jamais, au siècle précédent comme au temps présent, osé refuser la communion. Ces magistrats, qu'on a calomniés, mais qui étaient réellement pieux, savaient que le pain de l'Eucharistie n'appartient point au prêtre : il appartient en commun à tous les chrétiens; c'est de là même que dérive le mot communion. Anciennement, non seulement le chrétien recevait ce pain à l'église mais il l'emportait sur lui dans sa maison, et qui plus est dans ses voyages.

Selon la même jurisprudence, le prêtre, pour éloigner de l'église, soit un homme mort, soit un homme vivant, avait besoin qu'un acte juridique, accompagné des formalités légales, constatât l'état d'excommunication qu'il avait encouru. Il en était de même à d'autres égards. En tout ce qui pouvait intéresser les libertés chrétiennes, rien n'était laissé au caprice ou à l'arbitraire du prêtre.

Actuellement on demandera comment il se peut faire que, sous Louis XIV, sous Louis XV, sous Bonaparte, et même au moment présent, la volonté des pouvoirs de la société à l'égard des prétentions ecclésiastiques ait toujours été en effort, et soit toujours demeuré sans effet. La réponse à cette question est dans une vérité que le noble rapporteur de la commission a voulu éluder quand il a donné à entendre que la puissance du prêtre est peu de chose, et qu'elle est loin d'être menaçante.

Messieurs, la croyance chrétienne, base de cette puissance, a plus de profondeur qu'on ne lui en suppose; il suffit d'observer le spectacle qui est sous nos yeux.

En allant dans nos temples, les jours de fête, on les trouve remplis. Jamais les cérémonies et les offices religieux n'ont été plus recherchés et plus suivis. Dans les maisons c'est la même chose; partout, à sa naissance, l'enfant est présenté au baptême; partout à la puberté, if est envoyé à l'enseignement du catéchisme et à la préparation à la première communion; partout, lors du mariage, on s'empresse de recevoir les bénédictions et les consécrations instituées par l'Eglise. Dans aucun autre temps, il ne s'est vu moins de livres d'impiété dogmatique; il n'y en a même pas du tout.

Il est inutile après cela de demander, comme on fait quelquefois, sur quoi peut être fondée cette puissance. Elle est fondée sur l'espérance, ou, si vous voulez, sur la peur que tous les hommes ont d'une autre vie : elle est fondée sur les anciennes traditions qui ont envahi tous les esprits, et les longues habitudes qui ont envahi tous les actes; elle est fondée (je ne parle pas ici du monde frivole, du monde des salons, je me place dans les mœurs et dans les croyances chrétiennes), elle est fondée sur l'opinion qu'on a dans ces croyances du prêtre, homme extraordinaire qui, avec de certaines paroles, fait descendre Dieu sur l'autel; qui, avec d'autres paroles, vous raccorde avec votre conscience quand vous avez mal fait.

Sous ce rapport, on ne s'imagine pas l'ascendant que peut prendre le prêtre sur une partie de la société.

Molière a fait une fort bonne comédie intitulée le Malade imaginaire. Il manque, en contre-partie, à notre théâtre une pièce qui, sous le nom de Damné imaginaire, mettrait en scène les terreurs

d'une autre vie. On sait jusqu'à quel point, dans des temps assez récents, l'imagination d'une malheureuse princesse put s'égarer.

Sans arriver à cet excès et sans sortir de certaines limites, la société présente un assez grand nombre de ces imaginations exaltées, partagées entre l'amour et la peur de Dieu, pour qui le prêtre n'est pas seulement un homme, mais un ange, un sauveur. Cette coterie, respectable souvent par la gravité et l'austérité de ses mœurs, est, comme on sait, toute dévouée, non seulement à Dieu, mais au prêtre. Marchant sans cesse avec lui et auprès de lui, on sait comment elle se démène quand il convient à celui-ci d'entraîner ou d'agiter la société.

Dans ces débats où le prêtre, le pouvoir et le chrétien sont depuis si longtemps aux prises, et où le chrétien est toujours sacrifié, les conséquences de cette lutte ont pu être peu graves dans les temps anciens; comme la puissance temporelle affectait à cette époque de ne reconnaître aucune espèce de droits à ses sujets appelés depuis citoyens, la puissance spirituelle s'occupait encore moins à reconnaître des droits à des sujets appelés chrétiens. Il pourrait n'en être pas tout à fait de même aujourd'hui. La liberté civique en se relevant a relevé nos anciennes libertés chrétiennes. Louis XIV disait : l'Etat, c'est moi; le prêtre est tenté de dire de son côté la religion, c'est moi. Il peut le persuader dans quelques contrées, et aussi à quelques coteries qui lui sont dévouées. Il ne le persuadera pas de même à la meilleure et à la plus grande partie de la France. Pour cette partie obéir à Dieu n'ôte rien à la liberté; au contraire, comme dit Sénèque, c'est la liberté même : parere Deo libertas est. L'obéissance au prêtre n'a pas le même caractère.

Et la partie de la société qui veut être chrétienne se trouve alors dans la situation la plus embarrassante, la plus pénible.

S'adresse-t-elle au prêtre, celui-ci lui répond Telles sont nos lois; si elles ne vous conviennent pas, vous pouvez y renoncer. Pour nous, notre devoir est de les faire observer. Nous voulons dans le chrétien un sujet soumis. S'il veut la liberté, qu'il aille la chercher dans les clubs.

Le prêtre a en cela les applaudissements de tout ce qui est dévoué. Il a de même ceux de l'impiété.

Celle-ci dit au chrétien: « Vous voulez du christianisme ? eh bien! subissez-le. Il faut l'accepter tel qu'il est, ou l'abandonner. Vous vous plaignez d'être insulté à l'église ? Pourquoi y allez-vous? Votre vieux père vient de mourir, le prêtre ne veut pas le recevoir? Faites-le enterrer sur la voie publique par des portefaix.

Pour les mariages, pour paptêmes, pour les

sépultures, si le prêtre vous fait des avanies, nous nous en réjouissons. Vous vous êtes fait son esclave, subissez votre condition d'esclave. Sachez que vous n'aurez pour vous ni l'appui des lois civiles qui sont étrangères à ces débats, ni celui des hommes libres qui vous méprisent. Que le prêtre augmente, chaque jour, envers son troupeau, d'insolence et d'excès; pourquoi s'estil fait troupeau? Il n'a rien à dire, ni nous non plus; car nous espérons bien qu'à la fin la société irritée se défera et de la religion et du prêtre. »

Poussée dans ses derniers retranchements, tracassée par le prêtre qui n'a point de relâche, abandonnée par le pouvoir que fatigue une con

tinuité de débats pour des intérêts de confession, de communion, de police d'église qui l'ennuient, la société chrétienne, qui veut conserver ses droits et ses libertés, cherche depuis longtemps une voie et n'en trouve point.

Cette situation, Messieurs, peut devenir très grave.

Et d'abord considérez le contraste singulier qui s'introduirait entre la liberté civile que la Charte et l'esprit de la nation ont établie, et la servitude religieuse qu'une certaine politique voudrait favoriser. Comment, Messieurs? 28 millions de chrétiens libres sous la loi civile seraient livrés, sous la loi religieuse, à l'arbitraire du prêtre le prêtre exercerait sur eux un droit de vie et de mort spirituelle, de le même manière que le despote exerce le droit de vie et de mort temporelle! Concevez-vous une situation dans laquelle le citoyen, accoutumé à réclamer avec vivacité la liberté dans l'ordre civil contre les ministres du pouvoir, irait ensuite se courber et s'agenouiller sous la volonté des ministres de la religion?

Messieurs, c'est impossible; le citoyen qui est en même temps chrétien réclamera avec la même ardeur Texécution des lois chrétiennes comme celles des lois civiles. Il voudra vivre sous l'Evangile comme sous la Charte. Ce sentiment, si vous voulez le comprimer, éclatera malgré vous et malgré tout. Nous avons eu, à cet égard, un triste et douloureux exemple dans ce qui s'est passé dans le siècle précédent, où la philosophie a secoué en même temps le joug de la religion et du prêtre.

La révolte aujourd'hui paraît prendre un autre caractère. Je puis vous parler, à ce sujet, de certaines dissidences religieuses qui se sont élevées, et qui menacent de se propager. Si ces dissidences sont fâcheuses, si elles peuvent devenir même une cause de trouble, elles vous sont du moins un témoignage de l'affection qui cherche à se conserver pour le culte religieux, en même temps que cette affection s'éloigne d'une portion de ministres de la religion qu'on accuse ou qu'on présume ennemis des libertés chrétiennes.

Avec le pouvoir, vous pouvez frapper ces dissidences; mais je vous previens que vous n'aurez rien fini, si vous en négligez ou si vous en ménagez les causes.

On a fait une objection sur laquelle on a paru insister avec confiance. On a dit : Quel danger peut-il y avoir à admettre le prêtre dans nos assemblées? Le plus souvent il y sera seul, ou avec si peu de cortège, que son influence sera nulle.

C'est trop de bonhomie de croire que le prêtre, en entrant dans nos assemblées, y entrera seul, et qui laissera ses doctrines et ses prétentions à la porte. Elles y entreront avec lui, soyez-en sûrs et avec lui le clergé tout entier, dont il se regardera comme le mandataire aposté.

Pour peu qu'on connaisse les manières familières à une certaine corporation dont la France a eu bien de la peine à se délivrer, si toutefois elle en est réellement délivrée, on peut s'attendre de la part du prêtre élu à toutes les formes de douceur, d'affabilité et de prévenance. On verra l'homme du ciel entrer avec zèle dans tous nos petits intérêts. Ici il s'appitoiera sur les chemins vicinaux, là ce sera sur le prix du sel et le droit sur les boissons. Ailleurs, ce seront les métiers, les écoles, la littérature. Les événements et les opinions ne lui feront rien. Selon les cir

constances il sera royaliste ou républicain, partisan du droit divin ou de la souveraineté du peuple.

Messieurs, c'est contre ces belles apparences que je dois vous prémunir. Je me souviens dans ma jeunesse, lorsque nous avions un commissaire anglais à Dunkerque, que le cabinet de Londres avait toujours soin de nous renvoyer l'homme le plus honorable, le plus élégant, le plus poli. Là on aurait pu dire aussi qu'il était seul; mais personne n'ignorait que la puissance anglaise y était avec lui. Quand vous aurez fait entrer un prêtre dans nos assemblées, ce sera sans doute un homme de quelque importance, et alors vous devez vous attendre à ce que le clergé tout entier sera en lui et avec lui.

Après avoir examiné tous les points de cette importante question, après vous avoir montré tout ce que le prêtre a de puissance et tout ce qu'il y a de danger dans un accroissement à donner à cette puissance, je n'aurais pas rempli suffisamment la tâche que je me suis imposée, si je ne disais quelque chose des précautions à prendre contre ses écarts.

A cet égard, je sais combien toute apparence de règle et de loi nouvelle pourrait offrir de difficultés. Le parti que je proposerai dans un autre temps n'en offre aucune. La loi que j'invoquerai, et dont je demanderai seulement l'exécution, se trouve toute faite dans l'article 106 du sénatus-consulte organique que j'ai cité. Il y est dit :

« Il y aura recours au conseil d'Etat dans tous les cas d'abus de la part des supérieurs et autres personnes ecclésiastiques. Dans ces cas d'abus est compris l'attentat aux libertés, franchises et coutumes de l'Eglise gallicane.

[ocr errors]

Celte disposition est bonne; c'est une partie d'intérêt d'Etat qui doit être laissé au conseil d'Etat.

Il est ajouté :

Et toute entreprise ou tout procédé qui, dans l'exercice du culte, peut compromettre arbitrairement leur conscience, dégénérer contre eux en oppression, en injures, ou scandale public..

Cette stipulation est parfaite. Je demanderai seulement que, comme point contentieux de droits ou d'intérêts individuels, cette partie soit portée désormais devant les juges ordinaires.

Quand nous en serons aux grandes questions de l'instruction primaire et de l'Université, j'aurai aussi, je le prévois, à présenter à la Chambre quelques observations. S'il y a sur ce point des ménagements à garder, if y aura aussi des précautions à prendre.

Pour le moment, je me borne à conclure, dans l'intérêt de la religion et de la liberté, à ce que le clergé ne soit admis ni dans nos élections, ni dans nos délibérations. Tout ce qu'on ferait en le reportant de quelque manière que ce fut dans nos affaires civiles, c'est-à-dire en lui ou. vrant une voie de plus pour étendre ses prétentions et sa domination, serait, n'en doutez pas, au détriment de nos affections religieuses, et, par suite, de la paix et de l'ordre public.

Cette interdiction, si elle est bien interprétée, ne peut ni l'affliger, ni l'offenser. Elle est conforme aux préceptes de l'Evangile, ainsi qu'aux règles canoniques qui lui prescrivent de demeurer étranger aux choses du monde. C'est ce que saint Bernard, dans sa lettre sur le devoir des évêques, établit encore plus expressément. Ministerium, dit-il, non dominium; ministère,

office de piété et de charité; domination, suggestion d'ambition et d'orgueil.

Je vote pour la reintégration de l'amendement de la Chambre des députés dans l'article 10 du projet de loi du gouvernement.

M. le Baron Silvestre de Sacy. Je ne m'attendais pas assurément à voir faire un cours d'histoire de tout ce qui s'est passé entre l'autorité temporelle et l'autorité spirituelle depuis que la religion chrétienne a soumis à son empire les têtes couronnées et les peuples; et quoique je ne sois pas préparé à répondre à cette argumentation, il me semble qu'il n'est pas difficile de l'écarter, car quelle communauté d'idées peut-il y avoir entre le régime sous lequel nous existons aujourd'hui, où la religion est entièrement séparée de la politique, et celui où la religion était par elle-même et par ses ministres surtout intimement mêlée avec la politique intérieure et étrangère et avec toute la vie du citoyen, puisque les principaux actes civils de la vie ne pouvaient être faits que par les ministres des cultes?

Aujourd'hui que la séparation est très tranchée et bien établie entre les deux pouvoirs, il est bien vrai qu'il en résulte quelques inconvénients. Le ministre de la religion, qui n'a plus aucune fonction politique dans l'Etat civil, devient plus indépendant dans ses propres attributions; il devient plus libre d'accorder ou de refuser ce que la loi civile elle-même reconnaît ne dépendre que de lui. Ce serait donc très mal argumenter de l'état actuel des choses que de vouloir en conclure que ce qui était autrefois des abus très graves reste aujourd'hui sous le même point de vue. Je sais que, dans les exemples rapportés, il y en a qui seraient condamnés non seulement pour nous tous, mais par les ecclésiastiques qui connaissent leurs dévoirs et leurs droits.

Il n'y en a pas un qui autorisât un ecclésiastique à faire à qui que ce soit un affront à la sainte table en le chassant sous prétexte de rumeur ou de délation qui lui aurait été faite. Si quelqu'un le fait, c'est un malheur; mais quel est l'état de la société où il n'y ait pas un homme dont la raison soit égarée au point qu'il puisse abuser des fonctions que la société elle-même lui a confiées? Si un ministre abuse des fonctions que l'Eglise lui a confiées, c'est à son supérieur à le faire rentrer dans l'ordre et même à lui faire cesser ses fonctions; et s'il y a scandale public, je soutiens que l'autorité civile est encore là pour en faire justice.

Je reprends la question telle qu'elle était avant la discussion que l'honorable préopinant vient d'introduire, et je demande s'il est juste et conforme à nos lois constitutionelles de prononcer une exclusion contre des ministres salariés par l'Etat, de les exclure des fonctions de membres des conseils généraux et d'arrondissements; car je ne veux pas qu'on confonde ici toutes sortes de fonctions il y en a qui, par leur nature même, sont incompatibles avec l'exercice du culte.

Si je croyais que le clergé pût abuser au point où l'on l'a fait entendre des pouvoirs qui lui sont confiés par l'Eglise, je dirais: Hâtez-vous de l'appeler dans vos conseils, hâtez-vous de l'appeler partout où son influence pourra être contrariée par une autre influence, où il pourra apprendre de lui-même les bornes dans lesquelles il devra se renfermer: car, n'en doutez pas, l'ecclésiastique qui aurait manqué à son devoir

et attiré sur lui le blâme de la population par des actes quelconques ne serait certainement pas appelé à faire partie d'un conseil général ou d'arrondissement. S'il y a un ecclésiastique à qui ses fonctions permettent de prendre part à un pareil ministère, et qui désire y être porté par le vœu de ses concitoyens, vous pouvez être sùrs qu'il évitera tout ce qui pourrait soulever contre lui tous ceux dont le vœu peut l'y appeler.

Sans doute, je désirerais que les ministres de la religion, et surtout les ministres de la religion catholique, bien plus séparés par les lois de leur état des engagements ordinaires de la société, que ne le sont les ministres des communions réformées, ou les rabbins, ou le chef d'un consistoire israéliste, prissent très peu de part aux intérêts politiques et aux fonctions administratives. Je crois que, moins ils y prennent part en général, plus ils conservent cette indépendance dont ils ont besoin pour exercer leurs fonctions avec toute liberté. Mais, parmi les fonctions ecclésiastiques il y en a qui ne sont pas incompatibles avec les études politiques et administratives, et avec l'exercice des fonctions consultatives qui ont lieu dans les conseils généraux et les conseils d'arrondissement.

Je conçois qu'un curé qui quitterait sa paroisse pour siéger dans un pareil conseil manquerait à son devoir; mais je crois qu'un grand vicaire, qu'un chanoine attaché à la cathédrale, qu'un ecclésiastique qui n'a pas de fonctions journalières, peuvent y être appelés utilement, et que vous n'avez pas le droit d'imposer aux électeurs la loi de ne pouvoir appeler un ecclésiastique à ces fonctions lorsqu'ils le jugent convenable. L'histoire nous fournit des preuves que les ecclésiastiques n'ont pas toujours été appelés mal-àpropos à des fonctions administratives, et même au ministère. Je n'ai pas besoin de le rappeler, car je suis persuadé qu'il n'est personne qui ne se rappelle les noms qui ont fait honneur à la patrie.

Au surplus, il y aurait de grandes difficultés à exécuter cet amendement, s'il était converti en loi; car je conçois que, pour un ministre de la religion catholique, ce ne serait pas difficile à déterminer; mais pour un ministre du culte protestant, pour un chef du consistoire israélite, pour un rabbin qui a reçu l'imposition des mains, et qui, par là, a le droit de présider l'assemblée de ses co-religionnaires, de leur faire des instructions, de leur donner la bénédiction, et enfin le petit nombre des fonctions qui, dans ce culte, peuvent être assimilées aux fonctions du ministre ecclésiastique, croyez-vous que parce qu'il aura reçu l'imposition des mains le rabbin devra être exclu du conseil général ou du conseil d'arrondissement? Ne pourrait-on pas élever la question de savoir si le chef d'un consistoire israëlite est ou n'est pas un ecclésiastique? Il sera salarié, mais cela ne prouve pas qu'il soit ecclésiastique, car il peut être salarié comme étant un officier préposé à l'exercice des droits de la religion. Je concevrais encore l'amendement s'il était sans limitation. Je n'approuverais pas, mais je concevrais qu'on dit : Un ministre de toutes les religions, un ministre surtout lorsqu'il apporte dans ses fonctions la piété, la conviction, la bonne conduite, des mœurs irréprochables, est un homme qui peut exercer cette influence; mais pourquoi cette influence sera-t-elle limitée par la circonstance qu'il sera salarié par l'Etat ?

« PrécédentContinuer »