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Quant à la falle des ancêtres, voici quelle eft fa destination. C'est un vafte Obfeques. bâtiment, réputé commun à toute une famille. Toutes les branches s'y rendent à certaine époque de l'année. C'eft quelquefois une troupe de fept à huit mille perfonnes, dont la fortune, les dignités, l'existence fociale different beaucoup; mais là nulle diftinction de rang le Lettré, l'Artifan, le Mandarin, le Laboureur, tous marchent de pair dans ces affemblées. L'âge feul y regle la préféance. Le plus âgé l'aura fur tous les autres, fût-il d'ailleurs le plus pauvre.

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L'ornement diftinctif de cette falle est une longue table adoffée à la muraille, & chargée de gradins. On voit communément fur cette table l'image de quelqu'un des ancêtres qui a rempli avec diftinction dans l'Empire un pofte éclatant, ou que fes talens ont illuftré. Quelquefois auffi ce ne font que des noms d'hommes, de femmes & d'enfans de la famille, écrits fur des tablettes, de même que la date de leur mort, & l'âge qu'ils avoient les dignités qu'ils poffédoient quand ils moururent. Ces tablettes font fur deux rangs, & n'ont qu'environ un pied de haut.

C'est au printemps que les parens s'af Obfeques, femblent dans cette falle. Ils s'y rendent même quelquefois en automne; mais cet ufage n'eft point de rigueur. Le feul privilége accordé aux plus riches dans ces deux occafions, c'eft de faire préparer un festin, & de traiter à leurs dépens toute la famille. Ajoutons que le feftin femble avoir été préparé pour les ancêtres & que l'hommage en est d'abord fait à leur mémoire. Ce n'est qu'après cette offrande qu'on fe permet d'y toucher.

Ces hommages, rendus aux ancêtres dans la falle qui leur eft confacrée, ne difpenfent point les Chinois de vifiter, une ou deux fois l'année, leur vraie fépulture. C'eft, pour l'ordinaire, au mois d'Avril qu'ils rempliffent ce devoir. On commence par arracher les herbes & les brouffailles qui environnent le fépulcre ; après quoi on renouvelle les marques de refpect, de reconnoiffance, & de douleur ordinaire, c'eft-à-dire, dans les mêmes formes qu'au moment des obfeques. De là, on dépofe fur le tombeau, du vin & des viandes, qui enfuite forment le dîner des affiftans.

Tels font les honneurs que rendent les

peut

Chinois à leurs parens qui ceffent d'être, & qu'ils continuent de rendre conftam- Obfeques ment à leur mémoire. Ce ne fut être d'abord parmi eux qu'un fimple ufage, dicté par la feule impulfion de la Nature; c'eft maintenant une loi qu'ils ne braveroient pas impunément. Confuçius leur a dit: Rendez aux morts les mêmes devoirs que s'ils étoient préfens & pleins de vie. C'étoit un confeil; mais à la Chine, les confeils de Confucius. font devenus des préceptes.

Il eft fuperflu d'obferver qu'à la Chine les familles très-pauvres n'entretiennent point de falle pour honorer les manes de leurs ancêtres. Tout fe réduit à placer les noms de leurs plus proches parens défunts, dans le lieu le plus apparent de leurs maifons. Ce n'eft point chez la partie pauvre d'un peuple qu'on doit chercher fes mœurs, fes ufages, fon caractere; elle ne peut ni donner le ton, ni même le recevoir.

tere général

CHAPITRE X I I.

Coup d'œil fur le caractere général des
Chinois.

Il faudroit avoir été contemporain des Coup d'oeil premiers Chinois, pour ofer dire quel fur le carac étoit leur caractere primitif. Celui qu'ils des Chinois. ont maintenant leur fut donné : c'eft le fruit d'une longue difcipline, & de quatre mille ans d'habitude. Montagne a dit qu'elle devenoit une feconde nature: il eft du moins certain qu'elle atténue qu'elle détériore beaucoup la premiere. En voici un exemple frappant. Parcourez les différentes Provinces de France; vous trouverez dans chacune, des nuances des traits de caractere qui diftinguent leurs divers habitans, qui rappellent même leur origine différente. C'eft que le bâton & les Rites n'y donnent jamais aucun fignal. Parcourez l'Empire de la Chine; tout vous femblera fondu dans le même creufet, & façonné par le même moule.

Il en résulte que la Nation Chinoise forme, en général, une Nation douce, affable, polie jufqu'au fcrupule, mefurée dans

tout ce qu'elle fait, & attentive à bien combiner ce qu'elle doit faire; moins Coup d'œil furveillante à ne point hafarder la bonne fur le carac fa tere général foi, qu'à ne point compromettre fa pru- des Chinois, dence; fe méfiant de l'Etranger & le trompant; trop prévenue en faveur de ce qu'elle eft, pour fentir ce qu'elle n'est pas, & de ce qu'elle fait pour chercher à mieux s'inftruire. Il faut l'envifager comme un antique monument, refpectable par fa date, admirable dans quelques-unes de fes parties, défectueux dans quelques autres, mais dont quarante fiecles d'existence attestent l'immuable folidité,

Cette bafe fi folide ne porte que fur un feul point d'appui, fur cette foumiffion graduée, qui, du fein d'une famille s'éleve de proche en proche jusqu'au trône. A celà près, le Chinois a fes paffions & fes caprices, que les Loix mêmes ne s'efforcent pas toujours de réprimer. Il est né plaideur; & là, comme autre part, il peut, à son gré, se ruiner à la fuite des Tribunaux. Il aime l'argent; & ce qui pafferoit pour ufure en France, n'eft qu'une rétribution autorisée à la Chine. Il est vindicatif, fans aimer les voies de fait elles lui font interdites mais

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