Images de page
PDF
ePub

Arts du

CHAPITRE IX.

Arts du deffin.

LES Peintres de la Chine font depuis defin. long-temps décriés en Europe: mais il me femble que pour les apprécier fainement, il faudroit connoître quelquesuns de leurs bons ouvrages, & ne pas les juger d'après les éventails & les paravents que nous tirons de Canton. Que feroit-ce, fi l'on alloit prononcer fur l'Ecole Françoife d'après nos deffus de portes du pont Notre-Dame? Les Chinois prétendent avoir eu leurs Le Brun, leurs Le Sueur, leurs Mignards; ils ont encore aujourd'hui des Peintres qui jouiffent parmi eux d'une grande célébrité. Mais on ne tranfporte point leurs ouvrages de Peking à Canton, parce qu'ils ne feroient point achetés des Marchands Européens. Il faut à ceux-ci des nudités, des fujets galans & licencieux; & fouvent (c'est un excès que déplorent quelques Miffionnaires) ils ont féduit à prix d'argent des barbouilleurs de Canton, pour en obtenir des tableaux dont l'obfcénité pût

piquer le goût des voluptueux de l'Eu

rope.

Il paroît cependant qu'on s'accorde affez à refufer aux Artistes Chinois la correction du deffin, l'entente de la perfpective, & la connoiffance des belles proportions humaines. Mais ceux même qui leur refufent le talent de bien peindre la figure, ne peuvent leur difputer celui de rendre fupérieurement les fleurs & les animaux. Ils traitent ces fortes de fujets avec beaucoup de vérité, de grace & d'aifance, & ils fe piquent fur-tout de mettre dans les détails une exactitude qui pourroit nous paroître minutieufe. Un Peintre Européen racontoit qu'étant employé au palais à peindre des fleurs de lien-hoa fur le devant d'un grand payfage, un Peintre Chinois, de fes amis, lui fit obferver qu'il avoit mis quelques fibres & quelques échancrures de moins dans les feuilles. » C'eft une » bagatelle fans doute, ajoutoit-il, & » l'on ne peut guere s'en appercevoir du point de vue de votre tableau ; » mais un connoiffeur ne pardonne pas » ici ces fortes de négligences: la vérité, felon nous, eft le premier mé» rite d'un tableau «. Les Livres élé

ככ

[ocr errors]

Arts du

deffin.

deffin.

[ocr errors]

mentaires Chinois, qui expofent les reArts du gles de l'art de peindre, s'étendent spécialement fur ce qui concerne les plantes & les fleurs; ils entrent dans le plus grand détail fur chacune de leurs parties, dont ils affignent les mefures & les proportions; ils traitent féparément de la tige, des branches, des feuilles, des boutons, des fleurs, en indiquant toutes les différences de formes & de teintes qu'y mettent les faifons. Ils remarqueront, par exemple, que la nuance n'est pas la même fur les feuilles de deux tiges de fleurs femblables, lorsque l'une eft entiérement épanouie, & que l'autre ne commence qu'à fleurir. Enfin l'on ne s'étonne nullement à la Chine qu'un Peintre demande à fon éleve combien une carpe porte d'écailles entre tête & queue.

La Peinture doit faire peu de progrès à la Chine, parce qu'elle n'y est point encouragée par le Gouvernement, qui la met au nombre des arts futiles, qui ne contribuent en rien à la profpérité de l'Etat. Les galeries & les cabinets de l'Empereur font remplis de nos tableaux; il employa long-temps le pinceau des freres Caftiglione & Attiret,

[ocr errors]

Artiftes habiles qu'il aimoit, & dont il fréquentoit fouvent l'atelier; mais par la raison du peu d'utilité politique de la peinture, il ne voulut point accepter l'offre qu'ils lui firent d'établir une école & de former des éleves. Ce Prince craignit que cet acte d'approbation ne réveillât peut-être l'ancien goût des Chinois pour les tableaux; goût effréné, qui n'avoit point connu de bornes fous les dynasties précédentes.

La peinture à frefque étoit connue à la Chine long-temps avant l'Ere Chrétienne. Elle eut beaucoup de vogue fous les Han, qui en couvrirent les murs de leurs principaux temples. Ce genre de peinture fit de nouveaux progrès, & obtint encore plus de faveur aux cinquieme & fixieme fiecles, qui furent des fiecles de luxe pour la Chine. On raconte du Peintre Kao-hiao, que les éperviers qu'il avoit peints fur le mur extérieur d'une falle impériale, étoient fi reffemblans, que les petits oifeaux n'ofoient en approcher, ou s'en éloignoient avec effroi en pouffant des cris. Outre le cheval de Yang-tfé, que plufieurs prirent pour un animal réel, of cite encore la porte du Peintre Fan-hien: on dit que lorsqu'on

[ocr errors]

Arts du

deffin.

defin.

étoit entré dans le temple, à moins Arts du d'être prévenu ou d'y faire bien attention, on rifquoit de vouloir fortir par cette porte, qui étoit peinte fur la muraille. L'Empereur actuel a dans fon parc un village Européen peint à fresque, qui produit la plus agréable illufion. Le reste de la muraille repréfente un payfage & des collines, qui fe confondent fi heureufement avec les montagnes éloignées qui font derriere, qu'il eft difficile d'imaginer une compofition plus ingénieufe & mieux rendue. Ce bel ouvrage a été exécuté par des Peintres Chinois, d'après des deffins qui leur ont été fournis.

La gravure à trois, à quatre, & même à cinq couleurs, eft très-ancienne à la Chine, qui a de long-temps précédé l’Europe dans la découverte de cette maniere de graver.

Le cifeau des Sculpteurs Chinois est rarement exercé, parce que, fi l'on excepte les idoles des temples, on ne connoît point dans cet Empire l'ufage & le luxe des ftatues: cette efpece de profcription, qui date de la haute antiquité, est encore aujourd'hui maintenue par le Gouvernement. On n'apperçoit aucune statue ni dans les places, ni dans les édifices

publics.

« PrécédentContinuer »