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contraire qui vient de s'opérer dans les dernières élections. M. Canovas del Castillo, l'intelligent et courageux ministre qui a dirigé jusqu'à la fin de cet hiver le gouvernement d'Alphonse XII, avait su et pu, par miracle, obtenir d'une Chambre que le suffrage universel avait instituée une loi qui restreignait ce suffrage en établissant deux cens; cette loi prescrivait en même temps l'adjonction d'un assez grand nombre de capacités et elle permettait de donner un quarantième des sièges aux candidats de la minorité qui auraient recueilli dans le pays tout entier, grâce au vote cumulatif, une quantité suffisante de bulletins. Cet essai, auquel présidait M. Martinez Campos, a été heureux, ce semble, s'il faut en juger par le résultat malgré la coalition des Castelar, des Martos et des Sagasta, les modérés du parti conservateur et du parti libéral forment dans le Parlement ainsi renouvelé une majorité considérable. M. Canovas del Castillo (honneur rare dans les capitales européennes de ce siècle), a été nommé député de Madrid. La suite des évènements nous montrera si la réforme électorale de l'Espagne est aussi durable qu'elle paraît efficace en ce moment. Un malheur qui touchait également en France a ému l'Espagne, pendant cette période : M. le duc de Montpensier a vu mourir son cinquième enfant, la princesse Christine, sœur de Mme la comtesse de Paris et de cette jeune reine, la princesse Mercédès, qui n'a fait que passer, comme le charme d'une fleur, sur le trône d'Espagne. L'implacable acharnement avec lequel la mort a dépeuplé cette noble maison, désolé cette grande et belle famille; la fatale fureur avec laquelle ses coups ont rompu des liens qui unissaient ainsi ces enfants de nos Bourbons et nos deux peuples; la cruauté avec laquelle elle a tour à tour brisé tant d'êtres bien-aimés et incliné si douloureusement la tête de leurs vieux parents, ont on ne sait quoi de tragique qui suffirait à nous frapper d'une mélancolique stupeur, si, en outre, notre tristesse n'était déjà due à des princes dont le nom a été la gloire et reste l'espérance de notre pays.

En Orient, la Bulgarie a choisi son premier souverain. L'élection du prince de Battenberg, derrière lequel ont disparu comme par enchantement, à l'heure du vote, les prétendances fictives du général Ignatieff et du prince Dondoukoff, n'aura surpris personne. Allemand et Russe à la fois, d'abord lieutenant dans l'armée de l'Empereur Guillaume et ensuite soldat dans l'armée du Tzar, parent de celui-ci et sujet de celui-là, le prince Battenberg personnifie bien la politique mixte des deux puissances qui, l'une à force d'audace et l'autre à force de complicité, ont commencé cette transformation de l'Orient par la guerre de 1877 et par le traité de Berlin. Il reste à savoir si ce nouvel acte de leur politique marque la fin de cette

mystérieuse alliance ou si nous assistons au début d'une nouvelle série d'opérations semblables. Tandis qu'avec le prince de Battenberg, un serviteur de la Russie, qui sera fort embarrassé de résister jamais à l'Allemagne, vient régner sur la Bulgarie, l'Autriche conclut avec la Turquie un traité qui lui permet de pénétrer, sans avoir recours à la violence, dans le défilé de Novi-Bazar; on ne prononce même plus les mots de Bosnie et d'Herzégowine : l'occupation, qui s'est accomplie comme une conquête, est aujourd'hui une possession définitive. Ainsi semble-t-il que le plan de la volonté lointaine et sourde qui conduit les choses en Orient aille s'achevant peu à peu grâce à la faveur de l'Allemagne, les deux empires de Russie et d'Autriche s'étendent, presque parallèlement et simultanément, sur le territoire divisé de la Turquie. Est-ce tout? Voici que la Bulgarie réclame déjà l'annexion de la Roumélie orientale et qu'en attendant on annonce l'intention d'établir une certaine parité dans l'administration des deux provinces. D'autre part, bien que la date déterminée par le traité de Berlin soit passée depuis le 3 mai, la Russie continue de tenir garnison dans la Roumélie; elle retarde le départ de ses troupes; elle prétend les y maintenir au moins jusqu'en août, et le Tzar dispute au Sultan, paraît-il, le droit de ramener son drapeau dans les positions des Balkans. Enfin, la Grèce, aidée par l'hellénisme quelque peu imprudent de M. Waddington, demande d'une voix de plus en plus haute que l'Europe rectifie ses frontières, selon la ligne tracée par le Congrès de Berlin. Ce sont là des préliminaires qui mènent à des résolutions graves. L'Angleterre, il est vrai, a besoin de certains loisirs pour régler ses affaires d'Afghanistan et du Cap; elle temporise en Orient, et voilà pourquoi le marquis de Salisbury imagine des commentaires qui interprètent d'une façon si accommodante les articles du traité de Berlin que la Russie néglige ou viole le plus hardiment. Pour sa part, la Russie a besoin de quelques facilités, elle aussi, pour apaiser ses troubles intérieurs. On peut donc espérer que l'année s'écoulera sans qu'aucune hostilité n'éclate en Orient. Mais il est de plus en plus visible qu'un tel état est provisoire autant que précaire, et qu'au bout de ces intrigues continuelles et de ces apprêts permanents il y a pour l'Europe un inconnu, dont, seul peut-être, M. de Bismarck voit sans déplaisir la formidable énigme.

Auguste BOUCHER.

M. RAUDOT

Le Correspondant vient de perdre un de ses plus anciens et meilleurs collaborateurs, M. Raudot, qui nous adressait, il y a peu de mois encore, des études politiques et économiques animées de ce patriotisme ardent que l'âge n'avait pu affaiblir et qui restera comme le trait distinctif de tous ses écrits.

Ses premiers ouvrages, en effet, la France avant la Révolution, qui eut deux éditions rapides, de la Décadence de la France, publiée en 1849, et réimprimée plusieurs fois, de la Grandeur possible de la France, publiée en 1851, l'avaient ainsi montré, dès le début, passionné pour la grandeur de son pays; et dans ses dernières pages sur les détresses de l'agriculture et l'abaissement du chiffre de la population, publiées ici même, on retrouvait le même souffle juvénile et la même préoccupation généreuse.

C'était avant tout un patriote, de l'école de Berryer, et si, de bonne heure, il s'était attaché aux principes monarchiques auxquels il est demeuré fidèle toute sa vie, c'est parce qu'il y trouvait, mieux que dans des combinaisons diverses et éphémères, la garantie de la liberté, de la puissance et de la sécurité qu'il ambitionnait pour son pays.

Né en 1801, dans une vieille propriété de famille de la Côte-d'Or, M. Raudot fut d'abord avocat, puis, vers la fin de la Restauration, entra dans la magistrature, et devint substitut du procureur du roi à Sens, à Auxerre et à Versailles. C'est là que le trouva la révolution de 1830. Il n'hésita pas à donner sa démission, malgré le brillant avenir qui s'ouvrait devant lui, et il n'est pas le seul membre de sa famille qui ait donné ce témoignage de noble fidélité à de fermes convictions. Retiré dans l'Yonne, où il s'occupa d'agriculture et devint bientôt membre du conseil général, il fut élu député par ce département, en novembre 1848, à la place du prince Louis-Napoléon Bonaparte, qui avait opté pour la Seine. Singulière mobilité de ce suffrage universel qui venait de naître, et que nous avons vu, depuis, se donner tant de démentis à lui-même! Il était alors le premier à acclamer le prétendant à l'Empire; six mois plus tard, il choisissait un royaliste, et nous le voyons aujourd'hui porter, aux mêmes lieux et sur le même pavois, deux ministres de la République : M. Lepère, ministre d'aujourd'hui, et M. Paul Bert, ministre de demain, en attendant d'autres variations et d'autres retours!

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A la Constituante et à la Législative, M. Raudot siéga à droite, en s'associant à toutes les mesures contre l'anarchie. Rendu à la vie privée par le coup d'Etat, il resta éloigné des affaires publiques pendant toute la durée du second Empire, se consacrant aux intérêts locaux groupés autour de lui, et dotant sa chère petite ville d'Avallon d'améliorations et de bienfaits dont la population ouvrière lui témoignait spontanément sa reconnaissance par l'hommage d'une médaille d'or.

En 1871, l'estime publique l'envoya à l'Assemblée nationale, où il fit partie, comme autrefois, de la droite monarchique, et s'associa activement aux plus importants travaux des commissions. On le voyait fréquemment à la tribune, débattant avec autorité les questions d'affaires, et intervenant sans relâche dans les discussions de budget pour y défendre les économies. C'était là son terrain de prédilection, et souvent il excita par ses vives critiques la mauvaise humeur de M. Thiers, qui n'aimait pas que l'on contestât ses chiffres et qui disait de son contradicteur avec une spirituelle malice: Il raudote!

Mais ce prétendu radotage était plein de bon sens, et l'Assemblée, en se rendant plus d'une fois aux sages observations du député de l'Yonne, tînt à lui prouver la haute estime qu'elle faisait de ses connaissances et de son caractère en le nommant président de la commission du budget, où il a eu l'honneur de précéder M. Gambetta, sans y exercer la même domination despotique.

Lorsque l'Assemblée nationale, avant de se séparer, eût à élire 75 sénateurs inamovibles, M. Raudot fut désigné par le groupe de droite auquel il appartenait, et sans la coalition qui vint déranger toutes les combinaisons conservatrices en assurant le triomphe des candidats d'extrême gauche, son succès n'était pas douteux, puisque, dans la déroute même des conservateurs, il ne lui manqua que 2 ou 3 voix pour être élu, tant les diverses fractions de la Chambre honoraient en lui la dignité du caractère unie à l'expérience de la politique et des affaires.

Rendu de nouveau et d'une façon définitive à la retraite, M. Raudot consacra ses derniers loisirs à l'étude des questions d'histoire et d'économie sociale qui avaient rempli sa carrière, et nos lecteurs n'ont pas oublié les cris d'alarme et les pressants conseils que l'abaissement et les souffrances de notre pays arrachaient à sa plume originale et vigoureuse. Que ne dirait-il pas aujourd'hui, s'il pouvait revenir au Parlement, de ces dépenses folles et de ces gaspillages dont il était l'intraitable adversaire !

M. Raudot ne fut pas un moins ferme chrétien qu'un sincère ami de la liberté, et les croyances du catholique réglèrent toujours chez lui la conduite du politique. Durant un demi-siècle, il a donné l'exemple d'une vie consacrée au bien avec désintéressement, et à la dernière heure il a demandé à la religion la confirmation dé ses immortelles espérances.

On annonce que la municipalité d'Avallon doit donner son nom à l'une des rues principales de la cité qu'il a assainie, en plaçant en outre son portrait à côté de ceux de Vauban et de Davout dans la grande salle de l'Hôtel de Ville. De pareils hommages disent assez ce que fut M. Raudot pour sa patrie d'adoption. Le Correspondant ne pouvait oublier non plus sa mémoire, et en saluant une dernière fois ce vaillant collaborateur de trente années, il a tenu à rappeler ici même les titres et les services qui assurent à son nom la reconnaissante estime des gens de bien.

L'un des gérants: JULES GERVAIS.

Léon LAVEDAN.

Paris. -E. DE SOYE et FILS, imprimeurs, place du Panthéon, 5.

LES DERNIERS JOURS

DE

MGR DUPANLOUP

Les pages émouvantes que l'on va lire n'étaient point destinées à la publicité. Ecrites au moment même de la mort de Mgr Dupanloup, elles ont un caractère intime qui n'aime pas le grand jour. Mais les détails qu'elles renferment nous ont paru si propres à éclairer l'un des côtés les moins connus et les plus admirables de l'âme du grand évêque, que nous en avons vivement désiré la publication. La pieuse famille à laquelle ces pages appartenaient à tous les titres a bien voulu consentir, sur nos instances, à les livrer à l'édification générale.

Le moment est venu de faire mieux connaître le défenseur éloquent et dévoué de toutes les saintes causes, de mettre en relief la haute et profonde piété qui a inspiré toutes ses œuvres. Les vrais amis de l'Eglise seront heureux de trouver dans cet écrit, qui a la valeur d'un témoignage, le récit fidèle de cette sainte mort, juste récompense d'une si belle vie.

Ce sera d'ailleurs une première esquisse de la grande figure que M. l'abbé Lagrange doit mettre dans une lumière complète.

Albi, 1er mai 1879.

+ ETIENNE-EMILE, archevêque d'Albi.

L'évêque d'Orléans est mort! mort sous le toit de ceux qu'il appelait ses amis de cinquante ans, en vue des montagnes de sa chère Savoie, à laquelle il a légué son cœur. Il est mort dans cette demeure suspendue aux flancs des Alpes, où, prêtre, il avait médité et écrit N. SÉR. T. LXXVIX (CXV DE LA COLLECT.) 4° LIV. 25 MAI 1879. 37

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