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ÉPITRE III.

A MA MUSE.

ENVOI A MADAME ***.

SUR le sage emploi de la vie
Une aimable philosophie

A trop éclairé votre cœur

Pour qu'il puisse me faire un crime
De n'accorder point à la rime
Des jours que je dois au bonheur.
Je ne m'en défends point, Thémire,
paresse est ma déité:

La

Aux sons négligés de ma lyre,
Vous sentirez qu'elle m'inspire,

Et que,

d'un chant trop concerté

Fuyant l'ennuyeuse beauté,

Loin de faire un travail d'écrire,

Je m'en fais une volupté;

Moins délicatement flatté

De l'honneur de me faire lire,

Que de l'agrément de m'instruire
Dans une oisive liberté.

On ne doit écrire qu'en maître;
Il en coûte trop au bonheur.
Le titre trop chéri d'auteur
Ne vaut pas la peine de l'être;
Aussi n'est-ce point sous ce nom,
Si peu fait pour mon caractère,
Que je rentre au sacré vallon,
Moi qui ne suis qu'en volontaire
Les drapeaux brillants d'Apollon.
La muse qui dicta les rimes
Que je vais offrir à vos yeux
N'est point de ces muses sublimes
Qui pour amants veulent des dieux;
Elle n'a point les graces fières
Dont brillent ces nymphes altières
Qui divinisent les guerriers:
La négligence suit ses traces,
Ses tendres erreurs font ses graces,
Et les roses sont ses lauriers.

Ici sur le ton des préfaces,

Et des pesantes dédicaces,
Thémire, je ne prétends pas

Vous implorer pour mes ouvrages;
Par vous le goût et les appas
Me gagneraient mille suffrages;
Mais en faut-il tant à mes vers?
Mes amis me sont l'univers,

A MA MUSE.

VOLAGE Muse, aimable enchanteresse,
Qui, m'égarant dans de douces erreurs,
Viens tour-à-tour parsemer ma jeunesse
De jeux, d'ennuis, d'épines et de fleurs;
Si, dans ce jour de loisible mollesse, ́
Tu peux quitter les paisibles douceurs,
Vole en ces lieux; la voix de la Sagesse
M'appelle ici loin du bruyant Permesse,
Loin du vulgaire et des folles rumeurs ;
Parais sans crainte aux yeux d'une déesse
Qui règle seule et ma lyre et mes mœurs :
Car ce n'est point cette pédante altière

Dont la vertu n'est qu'une morgue fière,
Un faux honneur guindé sur de vieux mots,
L'horreur du sage et l'idole des sots;
C'est cette nymphe au tendre caractère,
Née au portique, et formée à Cythère,
Qui, dédaignant l'orgueil des vains discours,
Brille sans fard, et rassemble près d'elle
La Vérité, la Franchise fidèle,

Et la Vertu, dans le char des Amours.

C'est à ses yeux, au poids de sa balance,
Muse, qu'ici, dans le sein du silence,
De l'art des vers estimant la valeur,

Je veux sur lui te dévoiler mon cœur.
Mais en ce jour quelle pompe s'apprête?
Le front paré des myrtes de Vénus,
Où voles-tu? quelle brillante fête
Peut t'inspirer ces transports inconnus ?
Sur mes destins tu t'applaudis sans doute.
Mais instruis-moi: pourquoi triomphes-tu?
Comptes-tu donc qu'à moi-même rendu,
Au Pinde seul je vais tourner ma route,
Ou qu'affranchi des liens rigoureux
Qui captivaient ton enjoûment folâtre,
Je vais enfin, de toi seule idolâtre,
Donner l'essor aux fougues de tes jeux?

Si ce projet fait l'espoir qui t'enchante,
C'est t'endormir dans une vaine attente:
Sous d'autres lois mon sort se voit rangé;
Avec mon sort mon cœur n'a point changé.
Je veux pourtant que la métamorphose
Ait transformé ma raison et mes sens;
Et pour un temps avec toi je suppose
Que, consacrant ma voix à tes accents,
J'aille t'offrir un éternel encens.
Adorateur d'un fantôme frivole,
A tes autels que pourrais-je obtenir ?
Que ferais-tu, capricieuse idole?
Par le passé décidons l'avenir:

Comme tes sœurs, tu paîrais mes hommages
Du doux espoir des dons les plus chéris.
Tes sœurs! que dis-je ? hélas ! quels avantages
En ont reçus leurs plus chers favoris?
Vaines beautés, sirènes homicides,

Dans tous les temps, par leurs accords perfides,
N'ont-elles point égaré les vaisseaux

De leurs amants endormis sur les eaux?
Ouvre à mes yeux les fastes de mémoire,
Ces monuments de disgrace et de gloire:
Je lis le nom des poëtes fameux;
Où sont les noms des poëtes heureux ?

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