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coalition puissante se formoit pour venir au secours du roi et de la reine; que l'empereur étoit déjà assuré du concours des cercles, de la Suisse, de l'Espagne, de la Sardaigne, etc. etc.; qu'il ne s'agissoit plus que de déterminer, par un plan bien combiné, la manière la plus avantageuse de déployer ces forces, et les mesures à prendre dans l'intérieur, pour seconder ce mouvement et en assurer le succès, sans que leurs majestés fussent réduites à la nécessité d'exécuter le projet de retraite à Metz, dont M. de Mercy avoit informé l'empereur!

Après le dîner, M. le comte d'Artois vint retrouver M. de Calonne, et le chargea de rédiger sur le-champ un mémoire sur les différens objets que son altesse royale avoit traités dans cette première conversation. La rédaction de ce mémoire et du plan qui en étoit le résultat, étant terminée le même jour à huit heures du soir, M. le comte d'Artois alla aussitôt, accompagné de M. de Calonne, en donner connoissance à l'empereur.

La discussion de ce plan dura plus de deux heures; l'empereur y corrigea de sa main plusieurs articles, et notamment celui où la marche des troupes étoit indiquée du mois de juillet an mois d'août; il la fixa au mois de juillet au plus tard. Lorsque toutes les dispositions eurent été convenues et arrêtées, sa majesté impériale fit entre le comte Alphonse, et lui donna de vive

voix l'assurance de sa ferme résolution pour l'exécution du plan dont il seroit porteur. « Vous ferez bien mes complimens à mon frère et à ma sœur, ajouta l'empereur. Vous leur direz que nous » allons nous mêler de leurs affaires, et que ce » ne sera pas par des paroles, mais par des » effets. »

»

Le comte Alphonse devant repartir le lendemain pour Paris, le reste de la nuit fut employé à faire trois copies du plan qu'il devoit emporter. Celle qui étoit destinée pour le roi, étoit écrite avec du lait, et fut remise au comte Alphonse, qui, par distraction et sans que M. de Calonne s'en apperçut, emporta aussi la minute corrigée de la main de l'empereur. Il lui étoit expressément récommandé d'en apprendre tous les articles par cœur avant de partir, dans le cas où des circonstances imprévues obligeroient à déchirer la copie dont il étoit chargé. Le lendemain de son départ, il fut joint à Bâle par un aide-decamp de M. le comte d'Artois, qui lui remit une lettre de M. de Calonne, par laquelle ce ministre lui marquoit que les lettres que son altesse royale venoit de recevoir de madame Elizabeth, l'informoient qu'on étoit instruit en France de son voyage, et de l'affaire qui en étoit l'objet ; qu'il seroit certainement arrêté et fouillé à la frontière, et qu'il ne devoit pas hésiter à brûler la copie dont il étoit porteur, après en avoir fait revivre l'écri

ture avec de la poudre de charbon, ou en la chauffant, pour en inculquer plus profondément le contenu dans sa mémoire, et être en état d'en faire au roi le rapport le plus exact.

Le comte Alphonse ne douta pas que les inquiétudes que madame Elisabeth avoit données à M. le comte d'Artois, n'eussent été suggérées à cette princesse par quelqu'une de ces personnes qui, soit par curiosité, soit pour faire parade de zèle, s'empressent de répandre des alarmes chimériques, ou de répéter des bruits qu'elles inventent tout exprès, pour tâcher de découvrir quelque chose d'un secret qu'on leur cache. Il se contenta donc de brûler, en présence de l'aidede-camp qui lui avoit été envoyé, la copie écrite avec du lait, qu'il devoit remettre au roi, mais non la minute qui étoit aussi dans son portefeuille.

La mission du comte Alphonse, n'avoit pas empêché le roi de s'occuper du plan et des préparatifs de son départ pour Montmédi. La voiture de voyage, que le comte de Fersen avoit été chargé de faire faire pour leurs majestés, étoit prête; et M. de Goguelas, envoyé par M. de Bouillé dans les derniers jours du mois d'avril, pour instruire le roi des différentes dispositions projetées par ce général, attendoit les ordres définitifs de sa majesté. M. de Montmorin, qui ignoroit également la mission du comte Alphonse, et

le projet de départ pour Montmédi, entretenoit la correspondance la plus active, pour accélérer l'exécution de son plan; il fut alors informé, par M. de Mercy, des progrès et du succès de la négociation relative à la coalition des puissances. Le roi, à qui il en rendit compte, calculant que l'armée autrichienne pouvoit arriver dans les environs d'Arlon vers le milieu du mois de juin, fit repartir M. de Goguelas dans les premiers jours du mois de mai, et le chargea d'une lettre, par laquelle sa majesté donnoit cet avis à M. de Bouillé, lui annonçant qu'elle se proposoit de partir le 15 juin; qu'ainsi toutes les dispositions devoient être combinées pour cette époque; que néanmoins le roi se réservoit de l'instruire plus positivement du jour et de l'heure fixe de son départ.

Le roi, par une autre lettre, datée du 27 mai, instruisit M. de Bouillé que le départ de la famille royale étoit définitivement fixé au 19 juin, entre minuit et une heure (1). Le lendemain, le comte Alphonse, dont le roi n'avoit reçu aucune nouvelle depuis son départ, arriva à Paris le septième jour après son départ de Mantoue, sans avoir été fouillé, arrêté ni questionné, soit à la frontière, soit dans les villes qu'il avoit traversées. En arrivant, il vit M. de C., et lui communiqua le plan arrêté à Mantoue, dont il avoit fait une nou

(1) Voyez les mémoires de M. de Bouillé, chap. XII,

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velle copie. Leurs majestés, instruites de son arrivée, chargèrent M. de C. de l'amener le lendemain à onze heures du matin, dans la chambre du roi, par la porte qui donnoit dans l'appartement du premier valet-de-chambre de sa majesté. Il s'y rendit à l'heure convenue; le rọi et la reine y étoient déjà, et lui firent l'accueil que méritoit le service qu'il venoit de leur rendre. Il remit à leurs majestés le plan dont il avoit été chargé, et dont voici l'extrait le plus fidèle :

« L'empereur fera filer trente-cinq mille » hommes sur la frontière de la Flandres et du » Hainault. A la même époque, les troupes des » cercles se porteront au nombre de quinze mille » hommes au moins, sur l'Alsace. Les Suisses, » en même nombre, se présenteront sur la fron

tière du Lyonnais et de la Franche-Comté. » Le roi de Sardaigne, sur celle du Dauphiné » avec quinze mille hommes. L'Espagne a déjà » rassemblé douze mille hommes dans la Cata

logne, et portera à vingt mille les troupes qui » menaceront les provinces méridionales. Tous » ces différens corps formeront une masse de » cent mille hommes ou environ, qui se portera » en cinq colonnes, sur chacune des frontières

auxquelles ces différens états correspondent. A »ces armées, se joindront des régimens restés » fidèles, des volontaires armés dont on est sûr, » et tous les mécontens des provinces.

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