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mant que les voitures qu'on atteloit étoient celles qu'il étoit chargé d'escorter, voulut faire monter sa troupe à cheval; mais il éprouva l'opposition la plus décidée de la part du peuple. Les écuries où les chevaux des dragons avoient été placés, furent occupées et gardées par lagarde nationale. Le roi inquiet de voir qu'aucune des mesures sur lesquelles il comptoit n'avoit été prise, mit imprudemment la tête à la portière et fit quelques questions relativement à la route. Ce fut dans ce moment fatal, que la ressemblance extrême de la figure de Louis XVI, avec l'effigie empreinte sur les assignats, frappa le fils du maître de poste de Sainte-Menehould, qui soupçonnoit déjà que cette voiture que des détachemens de troupes devoient escorter, comme conduisant un trésor contenoit des personnes suspectes; en y regardant de plus près, il crut aussi reconnoître la reine, et jugea que les autres voyageurs devoient faire partie de la famille royale, ou de sa suite. Il fut encore confirmé dans cette opinion, en entendant donner au postillon l'ordre de prendre la route de Varennes, et en voyant l'officier qui commandoit le détachement, parler d'un air trèsanimé à l'un des couriers. (1) Cependant, la crainte de donner une fausse alarme, lui fit garder le silence; mais aussitôt que les deux voitures

(1) Pièces justificatives No. III.

furent parties, il monta à cheval pour les suivre, ou plutôt pour arriver à Varennes avant elles, par un chemin de traverse, et les faire arrêter si ses soupçons se trouvoient fondés. Leurs majestés changèrent encore de chevaux à Clermont en Argonne, sans éprouver la moindre difficulté. M. de Damas, qui commandoit ce poste, tenoit sa troupe prête, attendant toujours le courrier qui devoit lui annoncer l'arrivée du roi; mais cette précaution ayant été négligée pour le poste de Clermont, comme pour tous les autres, leurs majestés y arrivèrent et en partirent, sans que M. de Damas en eût aucune connoissance. Cependant, une demi-heure, ou environ, après leur départ, sur la description qu'on lui fit des deux voitures qui venoient de passer, et qui avoient pris la route de Varennes, il ne douta point que ces voitures ne fussent celles de lá famille royale, et donna aussitôt à ses dragons l'ordre de monter à cheval. Le district, la municipalité et la garde nationale du lieu, alarmés de ce départ précipité et mystérieux, s'y opposèrent par tous les moyens qui étoient en leur pouvoir. Les dragous, cédant aux instances et aux menaces de la garde nationale, eurent la lâcheté d'abandonner leur chef, qui fut réduit à partir seul pour Varennes, où il arriva quelques momens après l'arrestation violente de leurs majestés, provoquée par le maître de poste de Sainte-Menehould, qui avoit

précédé la famille royale de plus d'une heure.

Cette nouvelle désastreuse parvint à Paris dans la nuit du 22 juin. A dix heures du soir, un grand bruit se fit entendre dans l'assemblée; au milieu de mille cris de joie, on distinguoit les mots : le roi est pris! le roi est arrêté ! Dans ce moment, deux courriers, annoncés par de grands applaudissemens, entrèrent dans la salle et remirent au président, les paquets dont ils étoient chargés. Avant d'en faire l'ouverture, le président invita l'assemblée au plus profond silence, et en donna l'ordre aux tribunes. Ces paquets contenoient une lettre des officiers - municipaux de Varennes Clermont, Sainte-Menehould', et plusieurs copies des ordres donnés par M. de Bouillé pour la marche et l'emplacement des différens détachemens destinés à protéger le passage du roi. La lecture de ces pièces fut suivie de plusieurs motions différentes. Celles de MM. Lameth ayant obtenu la majorité, la rédaction des décrets qu'ils avoient proposés, fut renvoyée au comité militaire; elle fut terminée en moins d'une heure et adoptée en ces termes :

« L'assemblée nationale, ouï la lecture etc. etc. » décrète que les mesures les plus puissantes et » les plus actives, seront prises pour protéger la s sûreté de la personne du roi, de l'héritier pré» somptif de la couronne et des autres personnes » de la famille royale dont le roi est accompagné,

» et pour assurer leur retour à Paris; ordonne que » pour l'exécution de ces dispositions, MM. de » Latour - Maubourg, Pétion et Barnave se » rendront à Varennes et autres lieux où il sera » nécessaire de se transporter, avec le titre et le » caractère de commissaires de l'assemblée na» tionale; leur donne pouvoir de faire agir les » gardes nationales et les troupes de ligne; de » donner des ordres aux corps administratifs et » municipaux, ainsi qu'à tous les officiers civils » et militaires; et généralement de faire et or» donner tout ce qui sera nécessaire à l'exécution » de leur mission; leur recommande spéciale»ment de veiller à ce que le respect dû à la di» gnité royale soit maintenu; décrète en outre, » que lesdits commissaires seront accompagnés » de M. Dumas, adjudant-général de l'armée » chargé de faire exécuter leurs ordres. »

Le second décret suspendoit M. de Bouillé de toutes fonctions militaires, défendoit à toute personne de lui obéir, ordonnoit aux tribunaux et corps administratifs de le faire. arrêter et conduire à Châlons, et aux gardes nationales, aux troupes de ligne, ainsi qu'à tous les citoyens, de prêter main-forte à son arrestation.

Enfin, un troisième décret, rendu sur la proposition de M. d'André, enjoignit au département de Paris, à la municipalité et au commandant de la garde nationale, de prendre toutes les me

sures nécessaires à la sûreté de la personne du roi et de sa famille.

A une heure du matin, le jeudi 23 juin, la délibération fut suspendue, la séance continuant toujours. A huit heures et demie, le président se fit remplacer et alla, avec un grand nombre de députés, à la procession de la FêteDieu. Ils furent escortés par un détachement de grenadiers de la garde nationale, qui ayant eu la permission de prêter, entre les mains de l'assemblée, le nouveau serment prescrit aux troupes, défilèrent dans la salle au bruit des applaudissemens auxquels se mêloit une musique militaire jouant le fameux air révolutionnaire, ça ira.

Dans le cours de cette journée, plusieurs individus ayant ou prétendant avoir contribué à arrêter le roi, furent admis à la barre, et y racontèrent, avec l'impudence la plus révoltante, les moyens qu'ils avoient employés pour commettre cet attentat, notamment leurs menaces de tirer dans la voiture de leurs majestés, si elle ne s'arrêtoit pas; et ces prouesses régicides furent accueillies par des acclamations qui ne l'étoient pas moins. Robespierre proposa même de décerner des couronnes civiques à ceux qu'il appeloit les sauveurs de la patrie, et cette proposition, vivement applaudie par l'assemblée, fut renvoyée au comité de constitution.

A cinq heures du soir, une lettre des trois

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