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De voir, par votre choix, devenir mon époux ?

ORGON.

Tartufe.

MARIANE.

Il n'en est rien, mon père, je vous jure. Pourquoi me faire dire une telle imposture ?

ORGON.

Mais je veux que cela soit une vérité;

Et c'est assez pour vous que je l'aie arrêté.

MARIANE.

Quoi! vous voulez, mon père...

ORGON.

Oui, je prétends, ma fille,

Unir, par votre hymen, Tartufe à ma famille.

Il sera votre époux, j'ai résolu cela;

(apercevant Dorine.)

Et comme sur vos vœux je... Que faites-vous là?
La curiosité qui vous presse est bien forte,

Ma mnie, à nous venir écouter de la sorte.

DORINE.

Vraiment, je ne sais pas si c'est un bruit qui part
De quelque conjecture, ou d'un coup de hasard;
Mais de ce mariage on m'a dit la nouvelle,

Et j'ai traité cela de pure bagatelle.

ORGON.

Quoi donc ! la chose est-elle incroyable?

DORINE.

A tel point

Que vous-même, monsieur, je ne vous en crois point.

ORGON.

Je sais bien le moyen de vous le faire croire.

DORINE.

Oui, oui, vous nous contez une plaisante histoire!

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Allez, ne croyez point à monsieur votre père;

Il raille.

ORGON.

Je vous dis...

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Eh bien! on vous croit donc; et c'est tant pis pour vous. Quoi! se peut-il, monsieur, qu'avec l'air d'homme sage, Et cette large barbe au milieu du visage

Vous soyez assez fou pour vouloir...

ORGON.

Écoutez :

Vous avez pris céans certaines privautés

Qui ne me plaisent point; je vous le dis, ma mie.

DORINE.

Parlons sans nous fâcher, monsieur, je vous supplie.
Vous moquez-vous des gens d'avoir fait ce complot?
Votre fille n'est point l'affaire d'un bigot:

Il a d'autres emplois auxquels il faut qu'il pense.
Et puis, que vous apporte une telle alliance?
A quel sujet aller, avec tout votre bien,

Choisir un gendre gueux ?...

ORGON,

Taisez-vous. S'il n'a rien, Sachez que c'est par là qu'il faut qu'on le révère. Sa misère est sans doute une honnête misère; Au-dessus des grandeurs elle doit l'élever, Puisqu'enfin de son,bien il s'est laissé priver Par son trop peu de soin des choses temporelles, Et sa puissante attache aux choses éternelles. Mais mon secours pourra lui donner les moyens De sortir d'embarras, et rentrer dans ses biens: Ce sont fiefs qu'à bon titre au pays on renomme; Et, tel que l'on le voit, il est bien gentilhomme.

DORINE.

Oui, c'est lui qui le dit; et cette vanité,
Monsieur, ne sied pas bien avec la piété.
Qui d'une sainte vie embrasse l'innocence

Ne doit point tant prôner son nom et sa naissance;

Et l'humble procédé de la dévotion

Souffre mal les éclats de cette ambition.

A quoi bon cet orgueil ?... Mais ce discours vous blesse : Parlons de sa personne, et laissons sa noblesse.

Ferez-vous possesseur, sans quelque peu d'ennui,

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D'une fille comme elle un homme comme lui?
Et ne devez-vous pas songer aux bienséances,
Et de cette union prévoir les conséquences?
Sachez que d'une fille on risque la vertu
Lorsque dans son hymen son goût est combattu;
Que le dessein d'y vivre en honnête personne
Dépend des qualités du mari qu'on lui donne,

Et que ceux dont partout on montre au doigt le front
Font leurs femmes souvent ce qu'on voit qu'elles sont.
Il est bien difficile enfin d'être fidèle

A de certains maris faits d'un certain modèle;
Et qui donne à sa fille un homme qu'elle hait
Est responsable au ciel des fautes qu'elle fait.
Songez à quels rérils votre dessein vous livre.

ORGON.

Je vous dis qu'il me faut apprendre d'elle à vivre!

DORINE.

Vous n'en feriez que mieux de suivre mes leçons.

ORGON.

Ne nous amusons point, ma fille, à ces chansons;
Je sais ce qu'il vous faut, et je suis votre père.
J'avais donné pour vous ma parole à Valère :
Mais, outre qu'à jouer on dit qu'il est enclin,
Je le soupçonne encor d'être un peu libertin ;
Je ne remarque point qu'il hante les églises.

DORINE.

Voulez-vous qu'il y coure à vos heures précises,
Comme ceux qui n'y vont que pour être aperçus ?

ORGON.

Je ne demande pas votre avis là-dessus.

Enfin avec le ciel l'autre est le mieux du monde,
Et c'est une richesse à nulle autre seconde.

Cet hymen de tous biens comblera vos désirs,
Il sera tout confit en douceurs et plaisirs.
Ensemble vous vivrez, dans vos ardeurs fidèles,
Comme deux vrais enfants, comme deux tourterelles :
A nul fâcheux débat jamais vous n'en viendrez ;
Et vous ferez de lui tout ce que vous voudrez.

DORINE.

Elle? Elle n'en fera qu'un sot, je vous assure.

ORGON,

Quais ! quels discours!

DORINE.

Je dis qu'il en a l'encolure,

Et que son ascendant, monsieur, l'emportera
Sur toute la vertu que votre fille aura.

ORGON.

Cessez de m'interrompre, et songez à vous taire,
Sans mettre votre nez où vous n'avez que faire.

DORINE.

Je n'en parle, monsieur, que pour votre intérêt.

ORGON.

C'est prendre trop de soin; taisez-vous, s'il vous plaît.

Si l'on ne vous aimait...

DORINE.

ORGON.

Je ne veux pas qu'on m'aime.

DORINE.

Et je veux vous aimer, monsieur, malgré vous-même.

Ah!

ORGON.

DORINE.

Votre honneur m'est cher, et je ne puis souffrir Qu'aux brocards d'un chacun vous alliez vous offrir.

Vous ne vous tairez point!

ORGON.

DORINE.

C'est une conscience

Que de vous laisser faire une telle alliance.

ORGON.

Te tairas-tu, serpent, dont les traits effrontés...

DORINE.

Ah! vous êtes dévot, et vous vous emportez!

ORGON.

Oui, ma bile s'échauffe à toutes ces fadaises,
Et tout résolument je veux que tu te taises.

DORINE.

Soit. Mais, ne disant mot, je n'en pense pas moins.

ORGON.

Pense, si tu le veux ; mais applique tes soins

(à sa fille.)

A ne m'en point parler, ou... Suffit... Comme sage,
J'ai pesé mûrement toutes choses.

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DORINE à part.

Oui, c'est un beau museau.

ORGON

Que quand tu n'aurais même aucune sympathie

Pour tous les autres dons...

DORINE à part.

La voilà bien lotie!

(Orgon se tourne du côté de Dorine, et, les bras croisés, l'écoute et la regarde en face.)

Si j'étais en sa place, un homme assurément
Ne m'épouserait pas de force impunément;
Et je lui ferais voir, bientôt après la fête,
Qu'une femine a toujours une vengeance prête.
ORGON à Dorine.

Donc de ce que je dis on ne fera nul cas?

DORINE.

De quoi vous plaignez-vous? Je ne vous parle pas.

Qu'est-ce que tu fais donc ?

ORGON.

DORINE.

Je me parle à moi-même.
ORGON à part.

Fort bien. Pour châtier son insolence extrême,

Il faut que je lui donne un revers de ma main.

(11 se met en posture de donner un soufflet à Dorine; et, à chque mot qu'il dit à sa fille, il se tourne pour regarder Dorine, qui se tient droite sans parler.)

Ma fille, vous devez approuver mon dessein...

Croire que le mari..... que j'ai su vous élire...

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Enfin, ma fille, il faut payer d'obéissance,

Et montrer pour mon choix entière déférence.

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