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MONSIEUR DE POURCEAUGNAC.

Oui; mais quand il y aurait information, ajournement, décret, et jugement obtenu par surprise, défaut et contumace, j'ai la voie de conflit de juridiction pour temporiser, et venir aux moyens de nullité qui seront dans les procédures.

SBRIGANI.

Voilà en parler dans tous les termes; et l'on voit bien, mon. sieur, que vous êtes du métier.

MONSIEUR DE POURCEAUGNAC.

Moi! point du tout. Je suis gentilhomme.

SBRIGANI.

Il faut bien, pour parler ainsi, que vous ayez étudié la pratique.

MONSIEUR DE POURCEAUGNAC.

Point. Ce n'est que le sens commun qui me fait juger que je serai toujours reçu à mes faits justificatifs, et qu'on ne me saurait condamner sur une simple accusation, sans un récolement et confrontation avec mes parties.

SBRIGANI.

En voilà du plus fin encore.

MONSIEUR DE POURCEAUGNAC.

Ces mots-là me viennent sans que je les sache.

SBRIGANI.

Il me semble que le sens commun d'un gentilhomme peut bien aller à concevoir ce qui est du droit et de l'ordre de la justice, mais non pas à savoir les vrais termes de la chicane.

MONSIEUR DE POURCEAUGNAC.

Ce sont quelques mots que j'ai retenus en lisant les romans.

Ah! fort bien !

SERIGANI.

MONSIEUR DE POURCEAUGNAC.

Pour vous montrer que je n'entends rien du tout à la chicane, je vous prie de me mener chez quelque avocat, pour consulter mon affaire.

SBRIGANI.

Je le veux, et vais vous conduire chez deux hommes fort habiles; mais j'ai auparavant à vous avertir de n'être point surpris de leur manière de parler : ils ont contracté du barreau certaine habitude de déclamation qui fait que l'on dirait qu'ils chantent; et vous prendrez pour musique tout ce qu'ils vous diront.

MONSIEUR DE POURCEAUGNAC.

Qu'importe comme ils parlent, pourvu qu'ils me disent ce que je veux savoir?

MOVIEUR

SCÈNE XIII.

DE POURCEAUGNAC, SBRIGANI, DEUX AVO-
CATS, DEUX PROCUREURS, DEUX SERGENTS.

PREMIER AVOCAT, traînant ses paroles en chantant.
La polygamie est un cas,

Est un cas pendable.

SECOND AVOCAT, chantant fort vite en bredouillant,
Votre fait

Est clair et net,

Et tout le droit,

Sur cet endroit,

Conclut tout droit.

Si vous consultez nos auteurs,

Législateurs et glossateurs,
Justinian, Papinian,

Ulpian et Tribonian,

Fernand, Rebuffe, Jean Imole
Paul Castre, Julian, Barthole,
Josan, Alciat et Cujas,

Ce grand homme si capable
La polygamie est un cas,

Est un cas pendable.

ENTRÉE DE BALLET.

Danse de deux procureurs et de deux sergents. Pendant que
Je SECOND AVOCAT chante les paroles qui suivent :
Tous les peuples policés

Et bien sensés,

Les Français, Anglais, Hollandais,

Danois, Suédois, Polonais,
Portugais, Espagnols, Flamands,

Italiens, Allemands,

Sur ce fait tiennent loi semblable;
Et l'affaire est sans embarras.
La polygamie est un cas,

Est un cas pendable.

LE PREMIER AVOCAT chante celles-ci :

La polygamie est un cas,

Est un cas pendable.

(Monsieur de Pourceaugnac, impatienté, les chasse.)

ACTE III.

SCÈNE PREMIÈRE.

ERASTE, SBRIGANI.

SBRIGANI.

Oui, les choses s'acheminent où nous voulons; et comme ses lumières sont fort petites, et son sens le plus borné du monde, je lui ai fait prendre une frayeur si grande de la sévérité de la justice de ce pays, et des apprêts qu'on faisait déjà pour sa mort, qu'il veut prendre la fuite; et, pour se dérober avec plus de facilité aux gens que je lui ai dit qu'on avait mis pour l'arrêter aux portes de la ville, il s'est résolu à se déguiser; et le déguisement qu'il a pris est l'habit d'une femme.

ÉRASTE.

Je voudrais bien le voir dans cet équipage.

SBRIGANI.

Songez, de votre part, à achever la comédie; et tandis que je jouerai mes scènes avec lui, allez-vous-en... (Il lui parle has à l'oreille.) Vous entendez bien ?

Oui.

ÉRASTE.

SBRIGANI.

Et lorsque je l'aurai mis où je veux....... (Il lui parle à l'oreille.)

ERASTE.

Fort bien.

SBRIGANI.

Et quand le père aura été averti par moi...

(Il lui parle encore à l'oreille.) ÉRASTE.

Cela va le mieux du monde.

SBRIGANI.

Voici notre demoiselle. Allez vite, qu'il ne nous voie ensemble.

SCÈNE II.

MONSIEUR DE POURCEAUGNAC en femme, SBRIGANI.

SBRIGANI.

Pour moi, je ne crois pas qu'en cet état on puisse jamais

MOLIÈRE. T. II.

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vous connaître ; et vous avez la mine, comme cela, d'une femme de condition.

MONSIEUR DE POURCEAUGNAC.

Voilà qui m'étonne, qu'en ce pays-ci les formes de la justice ne soient point observées.

SBRIGANI.

Oui, je vous l'ai déjà dit, ils commencent ici par faire pendre un homme, et puis ils lui font son procès.

MONSIEUR DE POURCEAUGNAC.

Voilà une justice bien injuste!

SBRIGANI.

Elle est sévère comme tous les diables, particulièrement sur ces sortes de crimes.

MONSIEUR DE POURCEAUGNAC.

Mais quand on est innocent?

SBRIGANI.

N'importe; ils ne s'enquêtent point de cela; et puis, ils ont en cette ville une haine effroyable pour les gens de votre pays; et ils ne sont point plus ravis que de voir pendre un Limosin.

MONSIEUR DE POURCEAUGNAC.

Qu'est-ce que les Limosins leur ont fait ?

SBRIGANI.

Ce sont des brutaux, ennemis de la gentillesse et du mérite des autres villes. Pour moi, je vous avoue que je suis pour vous dans une peur épouvantable; et je ne me consolerais de ma vie, si vous veniez à être pendu.

MONSIEUR DE POURCEAUGNAC.

Ce n'est pas tant la peur de ia mort qui me fait fuir, que de ce qu'il est fâcheux à un gentilhomme d'être pendu, et qu'une preuve comme celle-là ferait tort à nos titres dé noblesse.

SBRIGANI.

Vous avez raison; on vous contesterait après cela le titre d'écuyer. Au reste, étudiez-vous, quand je vous mènerai par la main, à bien marcher comme une femme, et prendre le langage et toutes les manières d'une personne de qualité.

MONSIEUR DE POURCEAUGNAC.

Laissez-moi faire. J'ai vu les personnes du bel air. Tout ce qu'il y a, c'est que j'ai un peu de barbe.

SBRIGANI.

Votre barbe n'est rien; il y a des femmes qui en ont autant que vous. Çà, voyons un peu comme vous ferez. (Après que M. de Pourceaugnac a contrefait la femme de condition.) Bon.

MONSIEUR DE POURCEAUGNAC.

Allons donc, mon carrosse. Où est-ce qu'est mon carrosse ?

Mon Dieu ! qu'on est misérable d'avoir des gens comme cela ! Est-ce qu'on me fera attendre toute la journée sur le pavé, et qu'on ne me fera point venir mon carrosse?

Fort bien.

SBRIGANI.

MONSIEUR DE POURCEAUGNAC.

Hola! hot cocher, petit laquais! Ah! petit fripon, que de coups de fouet je vous ferai donner tantôt! Petit laquais! petit laquais! Où est-ce donc qu'est ce petit laquais? Ce petit laquais ne se trouvera-t-il point? Ne me fera-t-on point venir ce petit laquais? Est-ce que je n'ai point un petit laquais dans le monde?

SBRIGANI.

Voilà qui va à merveille. Mais je remarque une chose : cette coiffe est un peu trop déliée : j'en vais querir une un peu plus épaisse, pour vous mieux cacher le visage, en cas de quelque rencontre.

MONSIEUR DE POURCEAUGNAC.

Que deviendrai-je cependant?

SBRIGANI.

Attendez-moi là. Je suis à vous dans un moment, vous n'avez qu'à vous promener.

(Monsieur de Pourceaugnac fait plusieurs tours sur le théâtre, en continuant à contrefaire la femme de qualité.)

SCÈNE III.

MONSIEUR DE POURCEAUGNAC, DEUX SUISSES.

PREMIER SUISSE, sans voir monsieur de Pourceaugnac. Allons, dépêchons, camarade; li faut allair tous deux nous à la Crève, pour regarter un peu chousticier sti monsiu de Porcegnac, qui l'a été contané par ortonnance à l'être pendu par son cou,

SECOND SUISSE, sans voir monsieur de Pourceaugnac.
Li faut nous loër un fenêtre pour voir sti choustice.

PREMIER SUISSE.

Li disent que l'on fait téjà planter un grand potence tout neuve, pour l'y accrocher sti Porcegnac.

SECOND SUISSE.

Li sira, mon foi, un grand plaisir di regarter pendre sti Limossin.

PREMIER SUISSE.

Oui! te li foir gambiller les pieds en haut tefant tout le monde.

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