Images de page
PDF
ePub

poser que le nouveau système de société serait bientôt, en Autriche, l'objet de quelques essais.

<< M. Owen racontait ainsi la visite à New-Lanark de Nicolas, le dernier empereur de Russie, alors grand-duc:

[ocr errors]

<< Avant de me quitter, le grand-duc s'informa avec << bienveillance de ce que je comptais faire de mes deux << fils. Ne doutant pas que le grand-duc m'offrirait de les << prendre sous sa protection, je lui répondis simplement : « Les élever pour être des manufacturiers en coton. >> En << conséquence de cette réponse, ils furent maintenus dans << la voie de devenir des hommes utiles, pratiques, indépendants, au lieu d'être asservis aux caprices d'une cour << et exposés aux chances de défaveur qui aurait pu les > atteindre comme tant d'antres.

« A cette époque, Malthus alarmait le public en affir«mant que la population se multipliait trop prompte<< ment, et que le paupérisme et le manque de travail ré<< sulteraient de l'excès de population. Les économistes s'ef<< forçaient de faire prévaloir cette doctrine dans le public. << Dans notre conversation, le grand-duc me dit : Votre << pays est trop peuplé. Je vous prendrai avec deux mil<< lions d'individus et je pourvoirai à tout ce qu'il faudra << pour établir de semblables communautés. >> Je remerciai << son Altesse impériale pour son offre libérale; mais, étant << fort indépendant sous le rapport pécuniaire et très-atta«ché à New-Lanark et à sa population, qui était, en quelque << sorte, ma création, je déclinai encore cette proposition. « Il est probable que le refus de ses offres bienveillantes « produisit sur le grand-duc une impression défavorable, << et je dois avouer que, dans deux autres occasions où je << me suis trouvé en rapport avec les membres éclairés de «< cette famille impériale, j'ai dû, avec les meilleures in

«

<< tentions, mais par ignorance de l'étiquette de cour, leur

paraître agir un peu rudement envers eux. »

<< En 1828, le cabinet anglais, alors présidé par le duc de Wellington, provoqua le départ de M. Owen pour le Mexique; afin de visiter un district de plus de soixante lieues de largeur sur quatre-vingts, situé sur la frontière du Mexique et des Etats-Unis et comprenant la Sonora et le Chihuahua, dans la vue d'y établir le gouvernement de la paix, lequel servirait d'exemple à toutes les nations. En arrivant à Mexico, le gouvernement le reçut avec des marques de déférence, et lui fit positivement l'offre en question.

Lorsque le ministre d'Angleterre, M. Packenham, << dit M. Owen, me transmit cette proposition, je fus « étonné, je l'avoue; cependant, saisissant à l'instant la << condition essentielle pour l'accomplissement d'une pa<< reille tâche, je priai M. Packenham de remercier le << président et son gouvernement pour leur générosité et « pour la confiance qu'ils me témoignaient, mais de leur << dire qu'il existait un obstacle qui, s'il n'était pas écarté, empêcherait le succès de l'entreprise et ferait avorter << tous les moyens que j'emploierais pour établir le gou« vernement pacifique. Cet obstacle était la religion catho<«<lique, seule autorisée par la loi dans la république. « Pour que le système social que j'établirais pût donner « la paix à toute la population, il faudrait qu'il règnat << dans le pays, non pas seulement la tolérance, mais la « liberté civile et religieuse la plus absolue. Si cet obstacle << ne pouvait être écarté, la tentative échouerait et il se<< rait par conséquent inutile de la commencer. Dans le << cas contraire, j'entreprendrais cette tâche très-volon<< tiers.

<< Cette explication fut donnée au président par M. Pac

« kenham, et le président, à ma nouvelle surprise, ré>pondit : « Nous pensions bien que M. Owen ferait cette <objection, et nous sommes préparés à proposer au pre<< mier congrès une loi établissant la liberté religieuse au << Mexique, comme elle existe maintenant dans les Etats<< Unis. » Ceci m'étant répété, je répliquai: « Lorsque << cette loi sera passée, j'accepterai volontiers le gouver«nement du grand district qui m'est offert si libérale

<< ment. >>

« Sur ces entrefaites, M. Owen, à la demande du gouvernement américain, consentit à remplir le rôle de médiateur entre l'Union et le Cabinet anglais, relativement à un refroidissement qui existait entre les deux pays depuis quelque temps. L'intervention de M. Owen réussit à rétablir des relations cordiales entre les deux gouvernements.

<< Bientôt M. Owen apprit que la loi qu'il requiérait des Mexicains n'avait point été adoptée. Le clergé catholique avait employé toute son influence pour renverser les projets libéraux du pouvoir exécutif, et il y avait réussi.

<< M. Robert Owen est le fondateur des infant schools (nommées en français salles d'asile). Bien des personnes en avaient déjà conçu l'idée, mais il fut le premier qui la réalisa. De Fellenberg a institué l'éducation unie à l'industrie agricole, seulement, dans son système il n'a pas eu en vue l'éducation des petits enfants. Henri Brougham fit un rapport au parlement sur les résultats obtenus à NewLanark, et M. Owen, ayant été consulté, envoya à Londres le maître d'école qu'il avait formé et qu'il exerçait déjà depuis trois ans, pour fonder le premier établissement public; cet infant school fut ouvert à Westminster, en 1819, sous les auspices de MM. Brougham, Romilly, Ben Smith, Macaulay et lord Lansdowne. »

A l'impartial article de miss Henriette Martineau, il faut

le remarquer, était économiste et, par conséquent, ne faisait pas partie des disciples de Robert Owen, nous ajouterons quelques observations extraites du travail publié sur ce socialiste par M. Louis Reybaud:

« Owen, livré de très bonne heure à l'industrie, ne reçut qu'une éducation fort insuffisante, mais il y suppléa par ses lectures. Une de celles qui le frappèrent le plus, fut le Contrat Social, traduit en anglais, car Owen ne parla jamais la langue française. Il emprunta les éléments de son système de communauté à John Bellers, économiste oublié du XVIe siècle.

« Au moment où M. Owen prit la direction de l'établissement de New-Lanark, cet établissement était loin d'être prospère. Les bras manquaient à la manufacture et la disette d'hommes empêchait de se montrer difficile sur le choix. Les enfants que l'on tirait des hospices d'Edimbourg étaient si faibles, qu'à moins de les énerver, il était impossible de les employer fructueusement. Produit d'éléments vicieux ou misérables, cette malheureuse colonie était un théâtre ouvert à la paresse, à la pauvreté, au vol, à l'ignorance, à l'ivrognerie, aux dissensions religieuses et à une discorde perpétuelle. M. Owen, en arrivant au milieu de cette triste population, avait de plus à expier sa qualité d'Anglais, peu pardonnée en Ecosse. Il avait à lutter contre des habitudes et des penchants enracinés: il avait à la fois à refaire l'ordre moral de la colonie et à réhabiliter une entreprise industrielle qui périclitait. Il étudia et comprit tous les maux qu'il avait à guérir; il les traita en détail et attentivement, il les réprima sans violence, il les guérit sans châtiment. Ainsi, pour punir le vol et le recel, on ne chercha point à sévir contre les voleurs et les recéleurs, mais on leur apprit, ce qui vaut mieux, à rougir d'eux-mêmes en les entourant d'ouvriers probes

3

dont les discours étaient honnêtes et la conduite irréprochable. En fait d'expiation, la peine infligée par un supérieur n'est rien pour un coupable; ce qui lui est intolérable, c'est le mépris de ses égaux. Tout le code répressif de New-Lanark était renfermé dans cette pensée. Quelques contre-maîtres sages et probes, formés sous les yeux et par les soins de M. Owen, lui servirent d'instruments; s'inspirant du chef, ils propagèrent les idées d'ordre et de bienveillance mutuelle. La police de l'établissement se fit ainsi de travailleur à travailleur, sans dureté, sans espionnage, et peu à peu la moralité devint la règle et le vice une rare exception. Le vicieux, au milieu de cette société normale, devenait un être déclassé qui, ne sachant où rattacher ses mauvais desseins, était conduit nécessairement de l'impuissance au repentir. La manie des disputes et l'ivrognerie cédèrent comme avait cédé le vol. M. Owen avait ouvert pour son compte un magasin de détail où de bon wiskey se vendait à un tiers audessous du prix des autres débitants, lesquels, au bout de quelque temps, furent obligés de céder la place. Alors, maître du marché, l'ivrognerie méprisée par la population sobre fut bientôt obligée de disparaître.

« Jean-Jacques avait dit : « L'homme est bon, sortant << des mains de Dieu. Owen disait : « L'homme n'est ni bon, ni mauvais en naissant. Il est surtout le produit < des circonstances qui l'entourent: il devient mauvais, << si elles sont mauvaises; bon, si elles sont bonnes. Là fut sa règle de conduite et ce fut en l'observant rigoureusement qu'il obtint tous ses succès. »

En moins de quatre années, New-Lanark était régénéré; les ouvriers s'étaient éclairés, enrichis et la spéculation industrielle était devenue excellente. Les enfants n'étaient pas admis dans les ateliers avant l'âge de dix ans; et,

« PrécédentContinuer »