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saint Vincent de Paul, ses maîtres (1); de l'abbé de Rancé, son condisciple; du P. Bourdaloue, son ami, et pour remonter plus haut, du cardinal de Bérulle et du P. de Bourgoing, qu'il a si bien loué, et surtout de saint François de Sales, dont il faisait le Panégyrique en 1660 et dont il invoque sans cesse l'autorité dans ses Lettres spirituelles et ses traités de morale mystique, ainsi qu'on l'a vu dans Bossuet directeur de conscience.

Il y a plus de justice et de vérité à s'en tenir à ces conclusions, légitimées par des faits irrécusables, qu'à vouloir à tout prix trouver en Bossuet «< un Jansénisme pratique », qui, pour n'avoir pas été «< condamné », n'en sonne pas mieux à nos oreilles de catholiques sincères, ennemis de tout Jansénisme et de tout gallicanisme.

En présence d'universitaires, très distingués d'ailleurs, qui soutiennent que le christianisme au XVIIe siècle est celui de Port-Royal, de Pascal, d'Arnauld, de Nicole, de Sacy, de Tillemont et de leurs amis (2), il est bon de se rappeler qu'à côté de ce christianisme «< outré », exagéré, faux, condamné par l'Église pour le dogme et même pour la morale, il y a le christianisme, ou plutôt le catholicisme de nos grands saints et de nos grands religieux, de saint François de Sales, de saint Pierre Fourier et de saint Vincent de Paul, du cardinal du Perron, du cardinal de Bérulle, du P. Eudes et de M. Olier, du P. Petau et de Mabillon, du P. Thomassin et de dom Montfaucon, de Bourdaloue et des Jésuites, de Fléchier et de Fénelon, de l'abbé de Rancé et enfin de Bossuet, «< l'encyclopédie de tous les Pères », comme l'appelait le P. Campioni, et sinon « l'Église catholique faite homme », ainsi que l'affirme quelque part M. Crouslé, - oubliant le gallicanisme, qui n'était pourtant pas alors une hérésie (3),

(1) « Un Nicolas Cornet, disait le P. de La Rue dans l'Oraison funèbre de Bossuet, un Vincent de Paul furent ses maîtres... et ses modèles dans la science de l'école et dans celle du salut. Ce fut de leur fonds qu'il tira l'amour de l'ancienne doctrine et l'horreur de la nouveauté. »

(2) Le P. Longhaye, dans son Hist. de la lit. fr., II, reconnaît avec raison que l'histoire littéraire est, dans certains milieux universitaires, « un pamphlet janséniste », contre lequel il faut protester.

(3) Le cardinal Pitra (voir sa Vie par Mr Bothandier, p. 826), disait avec

du moins la «< Tradition faite homme », la Tradition incarnée dans un nouveau « Père de l'Église » (1), titre que ne portera jamais un janséniste.

Pourquoi faut-il qu'une revue ait naguère fait remarquer à bon droit que les éloges les plus vifs sont venus à Bossuet du côté des laïques de notre siècle, tandis que les critiques les plus amères émanaient de certains membres du clergé? Ce serait à nous tous, pourtant, de veiller avec un soin jaloux sur la gloire de celui qui demeure, à côté de nos grands saints, le plus bel honneur de l'Église de France.

Pour moi, fidèle à une admiration respectueuse qui m'a valu le titre de « bossuétiste », je persiste à défendre Bossuet, avec l'abbé Le Dieu, l'abbé de Saint-André, Mgr de Bissy, Mgr de Saléon, Mgr Freppel, M. l'abbé Ingold, le P. Griselle et tant d'autres, contre toute accusation de Jansénisme dogmatique ou moral, et je vénère en lui, avec Sa Sainteté Léon XIII écrivant au cardinal Perraud, le 4 décembre 1898, « son lumineux génie, sa grande âme et ses trésors de doctrine ». Hier encore, dans son Encyclique aux archevêques, évêques et au clergé de France, notre grand Pape ne proposait-il pas à notre imitation «< tous les hommes éminents dont l'Église de France est fière à si juste titre, les Petau, les Thomassin, les Mabillon et tant d'autres, sans parler de votre Bossuet, appelé l'Aigle de Meaux, parce que, soit par l'élévation des pensées, soit par la noblesse du langage, son génie plane dans les plus sublimes régions de la science et de l'éloquence chrétienne »?

1er novembre 1899.

raison que « ce serait blesser les lois de la justice que de rendre un serviteur de Dieu responsable d'une doctrine qui n'a été vraiment prohibée que plus tard ».

(1) Ce n'est pas seulement La Bruyère qui l'appelait ainsi en 1693, dans son Discours de réception à l'Académie; c'est encore l'abbé de Clérambault qui parlait en 1704, à l'Académie, des « illustres prédécesseurs de Bossuet les Pères de l'Église

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ΧΙ

Encore le prétendu Jansénisme de Bossuet (1).

Il faut y revenir, puisque M. l'abbé Urbain veut à tout prix faire du grand évêque de Meaux un « janséniste en morale » et m'oblige à redescendre dans la lice, où, dit-il, il n'est « entré qu'à contre-cœur »>.

On ne s'en douterait guère, à voir combien de fois, depuis quatre ou cinq ans, mon honorable et savant contradicteur s'est complu à prêcher à ses lecteurs le prétendu Jansénisme de Bossuet et ses autres prétendus travers, dans la Revue de l'histoire littéraire de la France, en 1895, en 1896 et en 1897, dans la Revue du Clergé français du 15 janvier 1897, du 1er juillet 1897, du 1er septembre 1899 (2), et du 1er février 1900. Personne, que je sache, ne l'a jamais poussé à se faire le champion de certaines idées universitaires ou autres qui passent pour injustes contre Bossuet, et s'il tient « à sortir au plus vite » du terrain de la discussion courtoise, il y avait mieux à faire : c'était de ne pas y entrer du tout, de s'adonner à d'heureuses recherches à propos de Fénelon, de sa Lettre à l'Académie, et de laisser en paix la grande mémoire de Bossuet, gallican, mais non pas janséniste.

M. Urbain nous avoue que son admiration pour ce « très grand homme » n'est pas «< sans mélange » : il n'y paraît que trop. Pourquoi donc trouver mauvais qu'on le traite comme il traite lui-même un si « grand homme » et qu'on n'admire pas «< sans mélange » toutes ses critiques, surtout quand elles semblent injustifiées?

(1) Réponse à un nouvel article de M. Urbain dans la Revue de Clergé français du 1er février 1900.

(2) Cette série d'articles n'explique-t-elle pas le mot de « campagne antibossuétiste »? En tout cas, je le retire bien volontiers.

D'un côté, M. Urbain parle de mon « entraînante argumentation », de mon «< brillant talent », et il m'appelle << distingué, savant, éloquent professeur, éminent » même, quoique j'aie refusé et pour cause, hélas ! de tels qualificatifs.

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De l'autre, il s'évertue à me montrer « sollicitant les textes », « dénaturant le sens de l'auteur »>, ce qui serait déloyal et employant une « méthode » tellement défectueuse «< qu'en raisonnant » comme moi, mon distingué contradicteur soutiendrait une absurdité, que je devrais bien lui laisser pour compte.

Mais si ma méthode est si fautive et ma déloyauté si flagrante, suis-je donc « éloquent, éminent »? Et si je suis << éminent, éloquent », ai-je commis tant de méfaits? Je ne dirai pas avec Pascal : « Contradiction, mauvaise marque de vérité ». Je me contenterai de répondre, avec un modeste personnage de Racine,

que je n'ai mérité

Ni cet excès d'honneur ni cette indignité.

Témoin, les félicitations que m'a values mon article du 1er novembre 1899 sur « le prétendu Jansénisme de Bossuet », de la part du clergé de Paris et d'ailleurs. Les lecteurs de la Revue du Clergé français me pardonneront donc, je l'espère, de revenir à la charge, non pas pour moi qu'importe après tout ma personne? mais pour Bossuet, dont il faut défendre la gloire avec un soin jaloux contre toutes les injustices et à propos duquel il sera toujours vrai de dire avec Sainte-Beuve : « On ne se lasse pas de repasser devant cette grande figure (1).

>>

I

Rappelons d'abord comment Bossuet n'était pas plus janséniste pour la morale que pour le dogme (2).

(1) Causeries du lundi, XII, p. 261.

(2) On verra plus loin, IV, pourquoi je parle et du dogme et de la mo

Toute sa vie, il les a combattus également.

Il avait eu le bonheur d'être élevé par Nicolas Cornet et saint Vincent de Paul, les deux hommes les plus antijansénistes du milieu du XVIIe siècle (1), si bien que, cinquante ans plus tard, « la secte» appelait encore les élèves du grand maître de Navarre « les Cornets » et les considérait avec raison comme ses pires ennemis. Elle faisait cet honneur à Bossuet, lorsqu'elle constatait le zèle qu'il déployait contre le Cas de conscience en bon « Cornet qu'il était ». « M. de Meaux, disait le janséniste Louail (Histoire du Cas de conscience), est dans les sentiments de M. Cornet, et je n'aime pas les Cornets. >>

Cela prouve au moins que Bossuet n'avait en rien changé de doctrine dogmatique et morale, et qu'il était en 1703 tel qu'il avait été en 1652, au collège de Navarre.

Le Dieu nous dit, dans ses Mémoires, page 23, que, si son maître louait souvent le docteur janséniste Launoy, de Navarre, c'était « sans approuver néanmoins ses erreurs ni ses sentiments particuliers, qu'il ne cessait de blâmer en public, tant il était attentif à la bonne doctrine » (2). Il fit même interdire plus tard par le roi des conférences que ce docteur janséniste donnait chez lui.

A Metz, à Paris, à la cour, l'attitude de Bossuet fut celle « d'un docteur sublime, tel qu'il a toujours paru dans tous les âges de sa vie, toujours occupé pour l'Église et combattant pour ses intérêts. Ses patrons furent des personnes graves, d'une probité connue et d'une piété sincère » : Nicolas

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rale, également mis en cause par M. Urbain. - Que si quelqu'un trouve ici quelque redite, il voudra bien l'excuser, d'abord au nom des droits de la défense, obligée de suivre un contradicteur, quand il se répète, et puis au nom de M. Brunetière, disant quelque part (Études critiques, VI, 1) : « Ce que l'on doit assurément le moins craindre, quand on s'est proposé d'agir par la plume ou par la parole, c'est de se « répéter »>; - et d'autant moins, qu'en fait, on ne se « répète » presque jamais. On peut bien dire les mêmes choses; mais on les dit d'une autre manière, et alors sont-ce bien les mêmes choses? « C'est la même balle dont on joue, a dit Pascal; mais on la place mieux. >>

(1) En dehors des Jésuites, bien entendu.

(2) C'est moi qui souligne ces mots.

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