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fidèle, obéissante, malgré tant de provocations, malgré tant de craintes qu'on lui inspirait pour son avenir, cette armée a aussi payé sa dette à la patrie, et sa conduite en cette occasion l'honore plus à mes yeux qu'une brillante victoire.

Un jour viendra peut-être où les vœux de l'armée seront comblés, et bien loin de songer à la dissoudre, comme un honorable préopinant le disait hier, le gouvernement considérera sans doute comme un devoir de conserver au pays la principale sauvegarde de son indépendance. Je demanderai à M. le Ministre de la guerre de vouloir bien s'expliquer à ce sujet.

Pour nous, Messieurs, ne craignons pas de nous déshonorer en cédant à la loi d'une invincible nécessité. Pour les nations comme pour les individus, l'honneur n'a jamais commandé le suicide. État né d'hier, gardons-nous de placer l'honneur national là où ne le placent point les empires les plus puissants. Vous voudrez bien me permettre de vous rappeler un trait de notre époque, qui me paraît avoir une analogie frappante avec ce qui se passe aujourd'hui chez nous.

Le Tyrol, cette province dévouée depuis tant de siècles à la maison d'Autriche, fut cédée à la Bavière en 1805. Les Bavarois traitèrent le Tyrol en pays conquis, établirent des contributions extraordinaires et inusitées. Sous prétexte de développer l'intelligence des Tyroliens, et, dans le fait, pour leur ôter leur caractère national, ils abolirent des usages antiques, foulèrent aux pieds des priviléges, toujours respectés par la maison d'Autriche; enfin ils firent la guerre à l'esprit religieux de ces braves montagnards, supprimèrent les couvents et soumirent le clergé à d'odieuses vexations. Cette politique inhabile porta ses fruits, et le mécontentement fut bientôt à son comble.

Lorsque la guerre de 1809 fut sur le point d'éclater, le gouvernement autrichien encouragea ses anciens sujets à briser le joug de leurs oppresseurs. Un prince de la maison impériale, l'archiduc Jean, avait préparé les voies à l'insurrection. Elle éclata simultanément dans tout le pays, le 10 avril. Un aubergiste nommé André Hofer, dont la mémoire est aujourd'hui vénérée en Tyrol, comme celle de Guillaume Tell en Suisse, se mit à la tête des insurgés. Les femmes, les enfants partagèrent l'élan général. Vingt mille paysans attaquèrent et prirent Inspruck; bientôt des troupes autrichiennes entrèrent dans le Tyrol, sous le commandement d'un de nos compatriotes, le marquis de

Chasteler. Proscrit par Napoléon, il fut obligé d'en sortir après la victoire de Ratisbonne. Le brave André Hofer ne se découragea pas. Seul, il soutint la lutte avec des succès divers. Après la bataille d'Aspern, l'empereur François déclara, par un rescrit solennel, qu'il ne signerait jamais un traité qui n'unirait pas les Tyroliens et les Autrichiens d'une manière indissoluble. Bientôt la bataille de Wagram força l'Autriche à signer la paix, et l'empereur, malgré l'engagement qu'il venait de contracter, se trouva dans la triste nécessité de déclarer aux Tyroliens qu'il ne leur restait plus qu'à se soumettre. Malheureusement ses conseils ne furent pas suivis. Après une résistance opiniâtre, et dont l'issue ne pouvait être douteuse contre les Bavarois et les Français réunis, André Hofer fut réduit à se cacher.

Vainement le prince Eugène voulut faciliter son évasion. Il s'obstina à ne pas quitter le Tyrol et conservait toujours la pensée de recommencer les hostilités. Enfin sa retraite fut découverte; arrêté par un détachement de 1,500 hommes, il fut conduit en Italie, livré à Mantoue à une commission militaire, jugé et exécuté dans les vingtquatre heures. La mort d'André Hofer fut celle d'un héros ; loin de se plaindre de l'Autriche, il s'adressa aux Tyroliens prisonniers pour les prier de lui pardonner les maux qu'il avait attirés sur eux et sur le pays en n'écoutant pas les conseils de leur père commun. Il exprima l'espoir que le Tyrol retournerait un jour à ses anciens princes. Trois ans s'étaient à peine écoulés, et le dernier vœu d'André Hofer était exaucé : l'empereur François faisait élever un monument à la mémoire de ce martyr du Tyrol, sur le sommet du Breuner, théâtre de ses exploits; et les liens antiques de l'Autriche et du Tyrol, renoués depuis un quart de siècle, paraissent maintenant devoir être indissolubles.

Habitants du Limbourg et du Luxembourg, l'exemple du Tyrol ne sera pas perdu pour vous; il vous servira à la fois de leçon et d'encouragement. En vous séparant de nous comme les généreux Tyroliens, ce sera pour vous une consolation de penser qu'il existe encore une Belgique indépendante, une Belgique toujours prête à vous accueillir, une Belgique dont le vœu constant sera de pouvoir un jour vous recevoir de nouveau dans son sein. Comme les Tyroliens, vous plaindrez votre patrie, vous ne l'accuserez pas. Vous le savez, dans une situation toujours précaire, toujours menaçante, elle ne vous a jamais distingués de ses autres enfants. Aujourd'hui même encore, s'il s'offrait

une chance quelconque de salut, nous ne reculerions devant aucun sacrifice, nous ferions tout ce qui est humainement possible pour vous conserver tout, excepté de manquer à la sainteté de la foi jurée ; tout, excepté de nous exposer à commettre un parricide. Maintenant il nous reste encore envers vous un dernier devoir à remplir : c'est de vous épargner les maux d'une lutte désespérée; c'est d'obtenir pour vous quelques garanties, de vous offrir quelques dédommagements. Nous ne l'ignorons pas, ce sont là des réparations bien incomplètes. Tous, vous ne pouvez quitter le sol qui vous a vus naître. Vous du moins, chers collègues, qui avez traversé avec nous les jours d'épreuve, vous qui avez travaillé avec tant de dévouement à constituer la Belgique, n'abandonnez pas notre patrie commune. Sachez-le bien, si tous nous ne nous sommes pas associés à des manifestations qui nous semblaient devoir prolonger inutilement de généreuses illusions, nous n'en cómprenons pas moins tous les sentiments qui vous oppressent. Revenez siéger au milieu de nous, revenez attendre et préparer avec nous un meilleur avenir; plus que jamais le pays aura besoin du concours de tous les bons citoyens.

Pour nous, Messieurs, sachons supporter avec dignité une calamité commune. Nous n'avions tous qu'une même pensée, qu'un même but. S'il ne nous a pas été donné de l'atteindre, ne nous livrons pas du moins à de tristes récriminations. Que tous les partis, que toutes les rivalités s'effacent devant l'auguste image de la patrie en deuil de ses enfants. Une tâche honorable encore nous est réservée. Nous continuerons de nous dévouer à la cause de l'ordre, à la cause de la paix, à la cause de la civilisation. Après tant d'agitations, la Belgique a besoin de se rasseoir, elle a soif de calme et de repos. Les années qui viennent de s'écouler ont montré ce qu'elle peut, lorsqu'elle s'applique ses ressources. Je le disais dans une autre occasion, nous avons donné un exemple utile, en dirigeant vers les développements de tous les intérêts cette agitation inquiète qui est le caractère de notre époque : heureux et fiers d'appartenir à un pays où tout le monde se donne la main, sur tous les degrés de l'échelle sociale, où le mérite seul exerce une véritable supériorité, nous continuerons de marcher dans cette voie de progrès et d'améliorations. Ce n'est pas là combattre, c'est servir au contraire ces intérêts moraux qui seront toujours si puissants chez un peuple loyal et religieux. L'extension de la fortune publique, l'amélioration du sort des classes inférieures, l'aisance du

peuple enfin, bien loin de le faire passer sous le joug brutal d'un matérialisme grossier, sont aussi des garanties de sa moralisation. Ce but si digne de tous nos efforts, ce but qu'avait indiqué à la France l'illustre Périer, nous ne le perdrons jamais de vue. Union, conciliation, que ce soit là notre devise. Cicatrisons toutes les plaies de la révolution, relevons le crédit de cette capitale, que tant d'efforts, tant de sacrifices pour la cause commune, ont altéré d'une manière si déplorable. Effaçons les derniers vestiges de ces journées de deuil, dont le souvenir nous est si pénible. Rallions autour du trône tous les partis, tous les sentiments, tous les intérêts; tendons la main à tous les peuples; montrons enfin à l'Europe qui nous observe que nous avons pris notre nationalité au sérieux, et puisse notre sagesse, notre loyauté, notre attachement à cette jeune dynastie, notre unique appui, faire révoquer un jour l'arrêt injuste que nous sommes à la veille de subir!

MOTION D'ORDRE.

M. LE CHEVALIER DE BOUSIES. J'ai une interpellation à adresser au ministère. Je lui demanderai comment il se fait que le gouvernement a déjà mis en discussion à la chambre des représentants, qui l'a déjà adopté, et même une commission du sénat s'en occupe en ce moment, un projet corollaire de celui qui est en ce moment en discussion. Cette manière d'agir qui préjugeait notre décision avant notre vote, avant même que la discussion fût commencée dans cette enceinte, me semble porter atteinte à la liberté de nos discussions; elle préjuge, elle violente même nos opinions, et froisse gravement la dignité du sénat.

Je demande donc que le ministère ajourne la discussion du projet de loi jusqu'à ce que soit terminé le vote sur la loi qui est soumise aujourd'hui à nos délibérations. Je suis certain que le sentiment qui m'a guidé en faisant cette motion aura de l'écho parmi mes collègues.

M. LE COMTE DE RENESSE. - Messieurs, il est bien étonnant que le gouvernement préjuge nos décisions avant le vote sur le traité que nous discutons en ce moment. Comment! il présente un projet de modifications au tarif des douanes! il fait voter la chambre des représentants sur cette loi, avant de savoir si le sénat acceptera le traité! C'est une atteinte à nos droits, c'est dire qu'il mène le sénat

comme il veut; il est à ma disposition, il n'oserait voter contre ce traité! Messieurs, pouvons-nous souffrir une pareille atteinte? Pouvons-nous souffrir que le gouvernement fasse si peu de cas de nos opinions? Est-ce bien rationnel de venir présenter une pareille loi avant l'acceptation du traité? Le gouvernement, en s'empressant, Messieurs, de vous présenter cette loi de douanes, a ses vues; c'est pour nous influencer.

Vous avez bien voulu, Messieurs, me nommer de la commission à laquelle vous avez envoyé cette loi avec d'autres ; lorsque nous avons procédé à sa nomination, j'y ai coopéré avec vous autres, Messieurs, croyant qu'il ne s'agissait de former une commission que pour les lois relatives à la réexportation des grains entreposés, et à celle allouant un crédit au département de l'intérieur. Je pensais que la loi sur les douanes ne serait proposée qu'après que nous aurions voté le traité.

Ce n'est qu'en rentrant chez moi que j'ai vu figurer, sur le billet de convocation, cette modification du tarif des douanes; et bien certainement, si j'avais compris, lors de la formation de la commission, que ce changement du tarif devait déjà être envoyé à une commission, je m'y serais opposé et j'aurais fait voir l'inconvenance de s'occuper d'une pareille loi avant le vote du traité; car, Messieurs, si pourtant le traité venait à être rejeté, vous auriez envoyé cette loi à une commission; celle-ci pouvait vous faire son rapport avant la clôture des débats sur le traité. Ce rapport pouvant être pour l'acceptation du changement de la loi de douane touchant le territoire, dans quelle contradiction nous serions tombés! D'un côté, acceptation du changement du tarif par votre commission; de l'autre, rejet du traité. Il va, Messieurs, de la dignité du sénat de ne pas s'exposer à être inconséquent avec lui-même ; il va de la dignité du premier corps de l'État de ne pas se laisser mener.

M. DE THEUX, Ministre des affaires étrangères et de l'intérieur. — Messieurs, le gouvernement, en faisant la proposition à la chambre des représentants, la chambre des représentants elle-même, en discutant le projet de loi dont a parlé l'honorable préopinant, n'ont fait aucune espèce d'impiétement sur les prérogatives du sénat; en proposant le projet de loi qui autorise le gouvernement à signer le traité de paix avec la Hollande et les grandes puissances, le ministère a dû accompagner ce projet d'autres projets comprenant des mesures réparatrices envers le Limbourg et le Luxembourg. C'est le même

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