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A la Hollande, au milieu des circonstances les plus critiques, de désordres et déchirements intérieurs, de guerres accablantes, de sacrifices considérables, il a fallu quatre-vingts ans pour être reconnue par ses anciens souverains!

Et loin d'imiter la conduite que l'Espagne a tenue envers la maison d'Orange, celle-ci, dès la huitième année, nous offre la paix, le reconnaissance de notre nationalité et du Roi de notre choix.

On a dit, et répété hier, que la Belgique est déshonorée, si elle ratifie aujourd'hui le traité proposé par les cinq grandes puissances, et accepté par nous dès l'année 1851.

Mais, Messieurs, croyez-vous que les cinq grandes puissances ne se croiraient pas déshonorées à leur tour si elles ne persistaient pas dans les stipulations du traité du 15 novembre, modifié en notre faveur?

A qui appartient-il de céder? Est-ce la Belgique qui doit céder à l'Europe? ou l'Europe à la Belgique?

Eh bien, Messieurs, dans la supposition même que céder serait synonyme de déshonneur, il y aurait quelque chose de moins amer pour nous, car, dans notre affaire, toute l'Europe cède. Les Empereurs d'Autriche, de Russie et le Roi de Prusse, qui tenaient tant à l'existence du royaume des Pays-Bas, qui n'avaient voulu nous reconnaitre qu'avec des réserves, vont vous reconnaître définitivement et sans réserve. La confédération germanique ne nous avait pas reconnus, elle va le faire.

La Hollande nous avait traités de révoltés, de mutins; le roi Guillaume nommait le Roi de notre choix un usurpateur, et il le salue du nom de Roi son égal. Je le répète, si en cédant nous pouvions être déshonorés, nous le serons au moins en nombreuse société, car l'Europe entière a cédé devant la nationalité belge, qui, malgré ses efforts, y a pris rang et place.

Je ne dirai que peu de mots des modifications, toutes en notre faveur, contenues dans le nouveau traité, touchant la dette et l'Escaut.

Et ce sera pour reconnaître les soins constants que le gouvernement du Roi a mis à plaider la cause de la Belgique. S'il n'a pas été plus heureux, certes, si les résultats ne sont pas meilleurs, cela n'a pas dépendu de lui, ni de la commission des finances qu'il a nommée, au mois de juillet, pour l'examen de cette grave question, ni des com

missaires qu'il a envoyés à Londres, et des négociations ultérieures. Notre dette a été ainsi diminuée de 3,400,000 florins.

Le syndicat, dit-on, est laissé en dehors de la question : je crois que le ministère n'a pas mal fait, et que l'adage, un peu trivial, mais trèsvrai, qu'un tiens vaut mieux que deux tu auras, sera éternellement vrai. La liquidation avec la Hollande, touchant le syndicat, eût pu durer assez longtemps pour qu'aucun membre des chambres n'en puisse voir la fin.

Et en attendant, la nation eût dû payer les 8,400,000 florins d'après le premier projet. Il est difficile de sauver ce qui est tombé dans un gouffre. Et cette idée n'est que la reproduction de celle d'un spirituel membre des états généraux, qui traitait le syndicat d'amortissement de syndicat d'engloutissement.

Et l'Escaut, le port d'Anvers!

Sous l'empire des 24 articles de 1831, l'Escaut était assimilé au Rhin; il renfermait le principe de l'établissement de droit, et l'application de la convention de Mayence, qui a excité, pendant longues années, de si justes réclamations par toutes les puissances riveraines.

On parlait alors de 3 florins par tonneau ; certes le nouveau traité, qui réduit ce droit à la moitié, et dégage la navigation de toutes vexations quelconques, sous le rapport de péages et de pilotage, est infiniment préférable.

On aura toujours certaine crainte sur la navigation de l'Escaut, à laquelle la Hollande pourrait susciter des embarras quelconques. Si nous n'avions que cette seule voie vers l'Océan, je concevrais la justesse de cette supposition; mais le port d'Ostende, si amélioré depuis l'existence du gouvernement belge, sera toujours un contre-poids et une garantie pour la Belgique. La Flandre orientale appelle aussi avec empressement la jouissance du canal de Terneuse, qui a coûté à la province et à la ville de Gand plus d'un demi-million. A peine commençait-elle à jouir de ses sacrifices, que la révolution est arrivée, el le magnifique bassin de Gand, destiné à recevoir des bâtiments de diverses parties du monde, n'était plus qu'un vaste et bel étang.

Tout le monde est d'accord que le provisoire tue, qu'il est urgent d'en sortir.

La crise financière est par trop flagrante pour en parler.

Il me reste à vous entretenir de deux mots, dont on a parlé hier dans cette enceinte et dont on parlera encore.

Persévérance et courage, sont les deux mots dont on a fait d'autant plus de bruit, qu'ils ont pu être interprétés diversement. Pour mon compte, je n'ai jamais pensé que le mot courage, exprimé dans le discours du trône, était synonyme de faire la guerre. Il pouvait être interprété ainsi par ceux qui désiraient la guerre, ou étaient entraînés par des idées plus chevaleresques que froidement raisonnées.

Ce mot n'a excité aucun talisman, il était pour moi synonyme de courage de la persévérance, ou persévérance courageuse. Et, dans cette acception, il est applicable jusqu'à ceux qui, dans les plus grands malheurs, dans les fers même, supportent leurs peines avec un noble courage, et les Polonais en donnent un bel et noble exemple.

Oui, Messieurs, j'ose le dire, les Belges ont défendu nos compatriotes du Luxembourg et du Limbourg avec persévérance et courage. Oui, nous avons la conscience de pouvoir nous rendre le témoignage que nous avons fait tout ce qui est humainement possible.

Adresses des conseils provinciaux, des chambres législatives, négociations, armements; nous nous sommes résignés aux plus grands sacrifices. Voilà des faits qu'on ne pourra jamais contester, pour le passé et le présent.

Et pour l'avenir, nous payerons pendant de longues années les immenses frais qui ont été faits; car nous avons été jusqu'à compromettre, pour ainsi dire, notre propre existence. Mais là aussi doivent s'arrêter nos généreux efforts. Il y a des bornes à tout.

Serait-il plus avantageux, pour nos compatriotes du Luxembourg et du Limbourg, de nous voir faire naufrage ensemble?

Notre mandat n'exige pas des actes de semblable témérité. C'est un mandat de conservation qui nous est imposé. Représentants de la nation belge, nous nous devons au salut de 4,000,000 d'hommes, qui ne cesseront de regarder nos anciens compatriotes comme des frères, et pourront les accueillir avec un véritable empressement.

Et constitués, comme nous le serons définitivement, en relation directe avec toutes les puissances de l'Europe, nous pourrons leur offrir des garanties durables et assurées, et le meilleur de tous les biens, la paix.

Avec l'olivier de la paix, le commerce et l'industrie reprendront leur empire, et les intérêts matériels, depuis plusieurs mois en souffrance, ne tarderont pas à renaître avec la confiance, source du crédit.

Les sciences, les lettres et les arts, ces trois puissants leviers de l'intelligence humaine, se réuniront de nouveau; et les associations littéraires, qui sont formées sur plusieurs points, y contribueront de tout leur pouvoir.

Et la Belgique, j'en ai l'espoir fondé, ne tardera pas à reprendre, si la Providence la seconde, le rang glorieux qu'elle occupait jadis dans la civilisation européenne.

Je termine, Messieurs, en exprimant en 1839, comme en 1831, la douleur que j'éprouve de voir ainsi briser l'anneau qui nous unissait depuis des siècles à nos frères du Luxembourg et du Limbourg, si désireux de rester Belges et d'en porter le nom, et surtout de devoir nous séparer d'honorables collègues qui représentent ici les parties à céder.

Mais une force supérieure et irrésistible me contraint à l'acceptation du traité, cette force a laquelle je cède, est le salut du peuple belge, et la nécessité de voir notre nationalité reconnue, légitimée, sanctionnée par toutes les puissances de l'Europe, y compris la Hollande ellemême, avec qui nous avions été réunis en 1815 par la force majeure.

Messieurs, à l'exemple des peuples les plus puissants qui ont eu aussi des jours mauvais, tels que l'Autriche qui, en 1815, accepta le traité de Presbourg; comme la Prusse qui, en 1807, se soumit au traité de Tilsitt; comme la France elle-même qui, deux fois, en 1814 et 1815, dut se résigner aux deux traités de Paris; la Belgique doit céder aussi à la nécessité, ou, selon l'expression du Ministre de Hollande, en adhérant à ce même traité, céder à l'empire des circonstances.

M. LEFEBVRE - MEURET a la parole pour continuer son discours. L'honorable orateur reprend en ces termes :

Je n'entrerai pas dans tous les détails des nombreuses déceptions ministérielles, je ne viendrai pas vous répéter une à une toutes les infamies qui ont été commises, je n'en finirais pas. Vous dire avec quelle impudence le pouvoir s'est joué du peuple et de l'armée, avec quelle audace il a dilapidé les deniers publics, tout cela ne restituerait rien au contribuable, tout cela n'essuierait pas ses sueurs; mais je vous dirai que si nous avions les mêmes priviléges que les membres de la chambre des représentants, je n'hésiterais pas à accuser le ministère du crime de haute trahison. Je crois que si cette accusation n'a

pas été lancée dans l'autre chambre, c'est qu'on s'y est réservé pour un temps plus propice, et, si je ne me trompe, le ministère inqualifiable ne perdra rien pour attendre.

Quelle que soit la culpabilité du ministère, nous avons autre chose à faire qu'à nous occuper de lui; mais au moins qu'il ne soit pas un obstacle à ce que nous conservions l'honneur et l'indépendance; s'il ne se sent pas capable de remplir cette mission, qu'il se retire, et il aura au moins fait une bonne action. Une armée nombreuse a été mise sur pied; mais aucun calcul de prévoyance n'a été fait pour que la charge qu'elle devait faire peser sur nos finances fût allégée. Ce n'est pas faute que des avis aient été donnés, et moi-même j'ai mis, dès l'abord, le gouvernement sur la voie de prendre des moyens qui fussent en harmonie avec un bon système de défense et les ressources que nous pouvions raisonnablement employer. Sourd à tous les avertissements, le gouvernement s'est plu à dessécher le trésor : beau moyen, en vérité, de faire adhérer au méprisable traité; mais de ce que le gouvernement a été au-devant des vœux de la conférence, en fatiguant le pays par des déboursés inutiles, il ne s'ensuit pas qu'il faille continuer cette marche et que l'on ne puisse pas prendre de meilleures dispositions; que provisoirement, par exemple, une armée seulement de 50 à 60,000 hommes reste sur pied de guerre ; qu'elle soit répartie de manière à pouvoir garder le territoire; qu'une portion de cette armée occupe les parties du Limbourg et du Luxembourg qu'on veut nous arracher, mais qu'immédiatement il soit procédé dans ces parties territoriales à des travaux de fortifications pour aider la défense et soutenir les troupes préposées à la garde du pays; que ces travaux soient faits en majeure partie par l'armée elle-même, et bientôt vous aurez une position qui permettra de renvoyer dans leurs foyers 10,000 hommes. Continuez vos travaux de fortification, perfectionnez-les, soignez-les, et, peu après, vous pourrez encore renvoyer 10,000 hommes dans leurs foyers, car je soutiens qu'avec 30 à 40,000 hommes bien répartis, mais protégés avec soin par des fortifications satisfaisantes, ne fussent-elles la plupart qu'en terre, nous serions à l'abri de toute invasion; cela n'empêcherait pas que des mesures soient prises pour qu'en cas d'attaque on puisse réunir de plus grandes forces et promptement.

Avec nos chemins de fer, par des combinaisons bien calculées, par des transports accélérés par chariots et voitures, la Belgique, qui a

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