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BOD

DÉFINITIF

ENTRE LA BELGIQUE ET LA HOLLANDE.

SUITE DE LA DEUXIÈME PARTIE.

DISCUSSION DU PROJET DE LOI.

CHAMBRE DES REPRÉSENTANTS.

SÉANCE DU +15 MARS 1839.

(PRÉSIDENCE DE M. RAIKEM.)

M. LE PRÉSIDENT. - La parole est à M. Manilius, inscrit contre le projet.

M. MANILIUS. Si je viens élever la voix dans cette discussion grave et solennelle, ce n'est point pour me lamenter sur le sort futur de mes frères du Limbourg et du Luxembourg, parce que nous devons les conserver.

Mais, messieurs les Ministres, c'est à vous que je m'adresse, c'est contre vous que je viens me prononcer sans détour. Comme représentant de la nation, je crois remplir mon devoir en vous faisant le reproche que, dans mon opinion, vous avez mal servi les intérêts de mon pays.

Eh quoi, vous avez négocié avec tout l'appui moral et matériel

dont un peuple peut disposer, et après nous avoir bercés par un mystérieux secret, que tout le monde connaissait, vous nous soumettez un odieux projet, accompagné de documents où l'on ne voit nulle part la volonté que vous auriez pu soutenir! Vous n'en aviez donc pas ? Quelles étaient vos résolutions? vous n'en aviez donc pas ? Quelles tentatives sérieuses avez-vous faites pour prévenir ou vaincre aucun obstacle? C'est en vain que l'on cherche un acte d'énergie qui justifie vos mots sublimes de persévérance et courage. Il semble que c'est au gré des vents que vous avez abandonné le vaisseau de l'État, et, dans la détresse, vous venez implorer notre appui.

Mais non, criez-vous, c'est l'industrie, c'est le commerce, c'est la finance qui réclament mon projet; c'est à eux que je cède sous le besoin d'une impérieuse nécessité. Je veux sauver le pays de la ruine qui le menace. Quelle sollicitude inattendue!

Depuis quand pouvez-vous, messieurs les Ministres, vous laisser attendrir des souffrances du commerce et de l'industrie? toujours ils vous ont trouvés durs comme un rocher. Depuis quand pouvez-vous avouer si facilement que le commerce et l'industrie peuvent souffrir? Quand jadis les souffrances étaient réellement poignantes, vous l'avez nié, vous avez poussé votre aversion jusqu'à mépriser leurs doléances, à étouffer leurs plaintes. Quoi! l'industrie qui vous a réclamé constamment les marchés les plus étendus, vous viendrez lui dire aujourd'hui que c'est en son nom, en så faveur, que vous vous empressez à céder un sixième du territoire avec 400,000 consommateurs! Vous décimez le marché, vous embarrassez les grands fleuves, vous vous obstinez, je ne sais en faveur de qui, contre l'érection de banques d'escompte, qui ne vous demandent pas des millions, mais qui veulent en importer; et c'est ainsi que vous venez nous dire sérieusement que toute votre sollicitude est pour le commerce et l'industrie souffrante! Quelle dérision!

Détrompez-vous, monsieur le Ministre, ce n'est pas ainsi que vous pouvez gagner notre confiance; le commerce et l'industrie indépendante vous apprécient mieux; ce n'est pas par des paroles qu'on efface les faits, vos antécédents sont là; les manufactures, les raffineries se ressentent tous les jours du bien que vous leur voulez; Anvers, Gand, Liége, Verviers, ont appris à vous connaître à leurs dépens.

Le commerce maritime ne vous apprécie pas moins défavorablement; la sincérité de votre sollicitude est connue partout.

Certes, Messieurs, l'industrie et le commerce, auxquels je me rallie, sont prêts à faire tous les sacrifices possibles pour la paix, mais quelle paix! pour une paix honorable et équitable qui ait des chances de durée basées sur des fondements solides.

Nous repoussons aussi une guerre générale, mais nous ne craignons pas celle que vous nous présentez en prophétie, que vous avez conçue de manière à produire une vive impression sur le public, que vous consultez quand vous l'avez alarmé par un cri équivalant au terrible sauve qui peut devant une chimère.

Certainement, j'ai senti toute la gravité de ma position: peu touché de ce cri d'alarme, j'ai réfléchi, j'ai consulté, j'ai fouillé dans les nombreux documents émanant du commerce et de l'industrie, j'ai trouvé partout dans les enquêtes, dans les avis des chambres de commerce, que, dans chaque occasion, on s'est plaint de l'exiguïté de notre territoire, du peu d'étendue de notre marché; et vous voulez que nous consentions à le réduire encore d'un sixième! c'est impossible.

Messieurs, l'industrie n'est pas un corps sans âme, les sentiments élevés, le génie qui'le pousse à l'amour du travail, le poussent aussi à celui de l'honneur ; ainsi sauraient-ils abandonner leurs frères par un froid intérêt? c'est impossible.

Or donc, Messieurs, vous le voyez, ce lambeau de cabinet ou de conseil de Ministres se trouve accablé sous un concert unanime de reproches, partis de tous les bancs de cette enceinte; pas une voix n'a su s'empêcher de désavouer leur marche; plus, Messieurs, l'autre partie retirée du conseil, qui est égale en nombre, repousse aussi le projet; ainsi, d'après l'art. 38 de la constitution, la chambre rejette la proposition mise en délibération en cas de partage de voix ; partant, les trois Ministres cramponnés à leurs bancs ne représentent point à mes yeux la majorité du conseil, ils ne se trouvent pas même en nombre pour délibérer, car il y a six ministères.

Je sais bien, Messieurs, que cette maxime ne peut pas être applicable au conseil du cabinet; mais, dans une question aussi grave, est-il prudent de s'obstiner à ne recourir qu'à son propre avis? Je sais bien aussi qu'on peut répondre qu'il y a six Ministres d'accord, quand on considère M. de Theux, Ministre de l'intérieur, d'accord avec M. le Ministre des affaires étrangères; M. Nothomb, Ministre des travaux publics, d'accord avec M. le Ministre de la justice;

M. le général Willmar, Ministre de la guerre, d'accord avec les finances.

Mais, Messieurs, dans une question de la plus haute importance où il y va du sort de l'État, peut-on mépriser ainsi les lumières d'un conseil convenablement composé?

Réfléchissez, messieurs les Ministres, recomposez votre ministère s'il vous est possible, ou bien retirez-vous; malgré tout le mal que vous avez fait, dans mon opinion vous feriez encore un bien en vous retirant.

Messieurs, l'on vous a dit: La révolution est close; mais elle l'est depuis l'avènement au trône de notre auguste monarque, qui a sanctionné notre constitution. Nous possédons des lois organiques à l'envi de tous les peuples voisins; nous avons une armée régulière, belle et fière, capable de défendre nos droits et de venger les torts que l'on pourrait nous faire. La révolution a fait place depuis longtemps à un corps social, composé d'éléments le mieux, le plus heureusement conçus et établis.

C'est sur de telles bases que nous pouvons prétendre rester ce que nous sommes. Conservons nos frères; l'on se gardera de heurter cet édifice compacte, qui est destiné à faire un jour l'orgueil de l'Europe entière.

.

C'est dans cette conviction, Messieurs, que je repousse le projet de toutes mes forces, projet d'ailleurs qui n'émane que d'un conseil incomplet de la couronne, qui a résolu sans majorité.

M. LE PRÉSIDENT. La parole est à M. Andries, inscrit pour le projet.

M. ANDRIES. Messieurs, j'ai écouté avec une attention religieuse les différents orateurs qui ont parlé en faveur de la résistance aux propositions du 23 janvier, car j'avoue que c'est de ce côté que me portent toutes mes sympathies, et je serais déterminé à me prononcer définitivement pour ce parti, si un système se présentait qui fût réellement acceptable. Je n'ai encore rien trouvé de semblable dans les différents discours que j'ai entendus.

Le député de Tournay, qui a parlé dans la séance du 5 de ce mois, où il s'est fortement prononcé pour la résistance, a fini par avouer qu'il n'a pas de plan de résistance. C'est une affaire toute gouver

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