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à leur véritable place. On cite tout au long la piece où ils sont pris: bien loin d'en rougir pour l'auteur, on lui en fait un solemnel hommage, et on ose prétendre qu'on ne sauroit les lui imputer à crime, puisqu'il ne les a

que dans un dithirambe. « L'objet, diton, que l'auteur s'est proposé en le com» posant, le ton de fureur qu'il s'est cru autorisé à prendre dans ce genre de poésie, » expliquent, excusent, justifient ces deux » vers qui ont révolté un grand nombre d'esprits ». Grand Dieu! où en sommes-nous done? Faire ces vers, c'est sans doute une infamie; mais quel nom faudra-t-il donc donner à celui qui les justifie? Ainsi ce qui seroit horrible en prose, peut être bon en vers. Ainsi ce que l'humanité réprouveroit dans une ode elle peut l'accueillir dans un dithirambe; et il suffira donc de se commander un ton de fureur poétique, pour avoir droit d'inspirer aux autres une fureur atroce et homicide! Ah! sans doute c'est un furieux qui a fait ces. Vers; mais c'est un monstre; c'est un furieux; mais c'est un scélérat; scélérat d'autant plus vil, que s'enveloppant d'un emportement hypocrite, il feint de nous donner pour l'ouvrage de son délire, ce qui est effectivement l'ouvrage de son cœur.

Que veut-on dire encore, quand on justifie Diderot par l'objet qu'il s'est proposé en composant son ouvrage ? Est-ce donc que pour chanter la liberté qui étoit son objet (1),

(1) Ce dithirambe, rempli d'un bout à l'autre de principes ou impies ou atroces, et parfaitement dans

il faut chanter le crime? Est-ce qu'on ne peut être libres qu'en devenant des assassins? Estce que pour s'affranchir de tous les préjugés, il est permis de s'affranchir de toutes les loix divines et humaines? Nous n'oserions le dire. Mais voici que deux philosophes nous l'apprennent, l'un en vers et l'autre en prose. Voici qu'il est bien décidé que pour détruire la religion, il falloit éventrer le dernier prêtre. Nous n'en pouvons donc plus douter, et les philosophes septembriseurs n'en doutoient pas non plus. C'étoient ces deux vers qu'ils chantoient en allant massacrer nos freres : c'étoit le refrain qu'ils mêloient avec la Marseillaise; et nous savons donc maintenant que ces cannibales, ces furieux de la liberté, n'étoient que les exécuteurs testamentaires du rédacteur en chef de l'Encyclopédie.

Qu'attendre maintenant d'une nation qui écoute de tels oracles et qu'endoctrinent de tels maîtres? Quel remedé à ses maux? Quelle digue opposer à ce torrent de dépravation qui l'emporte? De quoi faut-il donc être le plus surpris, ou de l'audace de nos brigands ou de celle de nos moralistes, et quels malheurs avons nous donc le plus à craindre, ou de ceux que nous éprouvons ou de ceux qui nous

menacent.

Des lettres étrangeres nous ont annoncé l'arrivée d'Aubert Dubayet à Constantinople,

le sens des deux vers, est intitulé: les Eleuteromanes. (les furieux de la liberté ).

en qualité d'ambassadeur de la République française. Elles mandent que dans la conférence qu'il a eu avec le reiss-effendi, il a demandé entr'autres choses d'être réintégré dans les droits des ambassadeurs de France, et sur-tout dans celui de protéger les églises catholiques qui se trouvent à Constantinople et dans les échelles du Levant. Que la Porte, fort indifférente sur ce point, n'a fait nulle difficulté de consentir à cette demande; mais que tandis qu'Aubert Dubayet paroît se rendre le protecteur des catholiques, il se montre en quelque façon l'ennemi de leur culte, puisqu'il vient de déclarer qu'une partie des églises seroient converties en casernes pour les soldats français qui arrivent en cette ville, en assez grand nombre.

Ainsi donc des rives de l'Escaut aux rives du Bosphore, la religion catholique est persécutée, au nom de la tolérance. Ainsi, sous le prétexte dérisoire de la protection de tous les cultes, qui ne sont ceux de personne, on opprime le seul qui est celui de tout le monde.

Qu'Aubert Dubayet ait demandé d'être réintégré dans le droit qu'avoient les anciens ambassadeurs de France, de protéger les églises du Levant, c'est déja une assez grande contradiction, et on n'expliquera pas sans peine comment le représentant d'une république, qui ne connoît aucune religion, qui ne connoît pas même de Dieu, sous le rapport de république, demande néanmoins de remplacer à cet égard les anciens représentans du fils aîné de l'église. Mais ce qu'on ne conçoit pas du tout, c'est qu'on demande la protection de ces églises pour

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les changer en casernes ; et n'en déplaise à son excellence, c'est abuser cruellement des mots que de changer ainsi un protectorat en une perfidie. Quelle étrange idée doivent donc avoir de la loyauté et de la morale françaises, ces bons musulmans qui ne connoissent pas les droits de l'homme, mais ceux de l'humanité, qui ne sont pas philantropes, mais qui sont tolérans? Dès 1791, les missionnaires desservans les églises françaises dans les échelles du Levant, avoient été persécutés; ils eurent comme nous l'honneur d'être réfractaires; aucun d'eux ne voulut s'abaisser à prêter un serment que leur proposoient les impies, et c'est pour les punir d'une aussi grande témérité, qu'à cette époque, les fonds destinés à leur entretien, furent supprimés. Ils savoient depuis que l'église catholique étoit aussi protégée en France, dans le style de M. l'ambassadeur. Ils savoient que nos temples étoient changés en casernes, en théatres, en magasins, en écuries, en lieux de prostitution; mais ils se consoloient au moins de tant de crimes et de scandales, en voyant leurs autels debout et leurs églises respectées. Il falloit donc, pour leur ravir cette consolation, que la philosophie se mêlât de les protéger. Heureux encore, dans ce surcroît de malheur et d'outrages, de ne 'connoître point la loi du 3 brumaire, de ne pas pourrir dans les cachots, comme nos prêtres octogénaires et infirmes, et de s'être sauvés sur la terre de l'esclavage, des traitemens affreux qu'ont éprouvés leurs freres sur le sol de la liberté.

Mais comment pouvons-nous être surpris de

l'injustice

l'injustice et de la contradiction d'Aubert Dubayet, quand nous voyons le gouvernement français montrer tant de respect et d'égards pour le grand turc, et tant d'acharnement à poursuivre le pape. On enrichit le turban de nos pierreries, et on voudroit enlever celles de la tiare. On envoie à sa hautesse des présens magnifiques, prix lamentable de notre sang et de nos larmes, et on enleve au souverain pontife les statues et les tableaux qui sont les ressources de ses états et les richesses de son peuple; et tandis que l'ennemi des lettres et des arts, le fléau de la liberté, le seul despote de l'Europe, qui n'a pour regles que ses caprices et pour sanction des loix que le fatal cordon, épuise toutes les faveurs et les caresses de la République, Pie VI, protecteur des arts, bienfaiteur de l'humanité, adoré de ses sujets, respecté de l'Europe entiere; un des pontifes les plus sages et les plus modérés qui ait rempli la chaire de Saint Pierre, est en butte à tous les outrages, à toutes les persécutions. Quoi donc! la morale crapuleuse et fataliste de Mahomet plairoit-elle davantage aux philosophes que la doctrine sublime et pure de JésusChrist? L'alcoran a-t-il donc fait plus de bien à l'humanité que l'évangile ? ou bien y auroitil quelque analogie entre le prophete de la Mecque qui établit l'empire du croissant à coups de sabre, et les philosophes de Paris qui ont établi le regne de la raison à coups de bayonnettes?

Quoi qu'il en soit, le pape continue toujours de se montrer de plus en plus digne de son caractere et de la place qu'il occupe. On connoît sa Tome III. No. 26.

B

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