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avance à

légèreté naturelle d'une jeunesse nombreuse, et lui imprimoit ce respect, sans lequel il ne peut y avoir ni docilité, ni décence, ni progrès; dans ces décorations attachées au mérite d'une profession honorable et laborieuse, et qui n'attestant que la gloire des lettres et des arts, ne produisoient que l'émulation, sans orgueil et sans danger; dans cette noble indépendance des instituteurs, toujours choisis et jugés par leurs pairs, et non pas par une multitude ignorante, ou par des administrations étrangeres à la science; dans la nature même des émolumens de leur travail, toujours assurés sur des fonds publics, et dont la répartition fut toujours invariable, et n'eut jamais rien de précaire ni d'humiliant; dans la perspective encourageante d'une existence toujours la même et toujours distinguée, d'une vieillesse toujours aisée, pénible et honorée trop juste récompense d'un long dévouement; dans la discipline des maisons d'enseignement, qui commandoit la régularité des mœurs, attribut indispensable de la profession d'instituteur; dans le goût du travail, résultat naturel de cette discipline et de l'esprit général de ces maisons de doctrine, et qui dédioit sans cesse de nouvelles productions aux lettres, aux sciences, à la morale, à la religion; enfin, dans ces solemnités annuelles, dont la pompe innocente, enflammant l'imagination de la jeunesse, lui arrachoit des efforts qui déceloient de bonne heure le secret de ses forces, et furent souvent les prémices du talent et du génie. »

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» Ombres illustres, que j'aime à évoquer

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ici, (car où pourrois-je les évoquer ailleurs?) voilà donc ce qu'ont anéanti les barbares du dix-huitieme siecle, qui se sont nommés Philosophes! Autrefois vous aimiez à tourner encore vos regards sur ces écoles antiques où respiroit votre génie, où vos noms étoient vénérés, où vos leçons étoient répétées. Aujourd'hui vous les détournez avec horreur et peut-être avec pitié; et qu'y verriez-vous? Des cachots, des solitudes, des dévastations. Ce n'est pas seulement la basse envie, l'envie aveugle et forcenée, qui a voulu frapper tout ce qui l'humilioit: l'insatiable rapacité a cherché des dépouilles, même où il n'y avoit guere de richesses qui fussent à son usage. Tout a été pillé, saccagé, enlevé, et des bandits qui ne savoient pas lire ont envahi les dépôts et les monumens de la science, ont mis à l'encan tout ce qu'ils avoient pris sans le connoître l'ont vendu au nom de la Nation; comme si elle eût jamais avoué cette prostitution infame, comme s'il pouvoit y avoir en Europe une nation qui fit sa propriété du brigandage, qui consentît à se nourrir de sang et de dépouilles, et à laisser mourir de faim ceux qu'elle n'auroit pas égorgés en les dépouillant. Brigands, qui avez spolié, mis dans les fers, torturé, traîné à l'échafaud les successeurs des Rollin et des Fénélon, gardez pour vous le salaire des crimes qui ne sont qu'à vous, et cessez au moins d'outrager la nation, qui n'en a pas plus le produit que la honte, qui vous parle ici par ma voix, comme parlera l'histoire, comme parle l'Europe entiere, comme parle quiconque n'est ni votre esclave, ni votre complice.

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Mais qu'importe les plaintes? et où sont les réparations? quelle puissance seroit capable de remédier à tant de désastres, et de combler tant d'abymes? Ah! si les hommes vertueux dont j'ai appelé les mânes pouvoient aimer la vengeance, je leur dirois: Regardez ce qui a remplacé votre ouvrage; voyez ces efforts si multipliés et si impuissans pour bâtir sans aucune base , pour organiser le désordre et réaliser le néant; tous ces plans également stériles, tour-à-tour préconisés et rejetés, ces généralités chimériques, qui, en voulant tout embrasser, n'atteignent jamais à rien; ces théories si follement ambitieuses et si complettement inexécutables où l'orgueil des mots est en raison du vuide des idées, ce charlatanisme puérile qui croit changer les choses en changeant les noms, et qui se retranche obstinément dans les spéculations de l'avenir quand il est sans cesse repoussé par l'impossibilité actuelle. Voyez cette profonde et honteuse ignorance des premiers principes et des premiers élémens de toute éducation publique, ignorance portée au point de ne pas même distinguer et classer ce qui convient aux différens âges de l'homme, à l'enfance, à l'adolescence, à la jeunesse, à l'âge adulte; de confondre des académies avec des écoles, des rassemblemens de gens de lettres avec des maisons d'éducation, d'imaginer qu'il suffit de nommer des maîtres pour attirer des disciples, que l'on peut instruire et former des enfans et des adolescens, sans aucun point de réunion habituelle et obligée, sans aucun but marqué et distinct, sans aucun lien moral d'attache

ment et de respect entre les instituteurs et les éleves, sans aucun frein de discipline, sans aucun moyen de subordination, et sans aucun plan d'avancement; qu'on peut rétablir la morale, si déplorablement avilie, l'inspirer et l'inculquer à des enfans, à des adolescens, avec des méthodes métaphysiques, sans aucune de ces notions religieuses, si naturelles pour ainsi dire à l'instinct de l'homme, les seules qui réunies à des objets sensibles, aient une véritable autorité sur ce premier âge, parce qu'elles seules parlent à son cœur, et que le cœur devance nécessairement la raison; notions si essentielles et si sacrées, même en politique humaine, qu'en supposant (ce qui n'est pas) qu'elles pussent être inutiles à l'intelligence formée, elles seroient encore d'une indispensable nécessité pour ce premier âge, puisqu'incapable de raisonnemens abstraits, il ne peut et ne doit que croire, aimer et obéir. Voyez enfin toute la génération qui a eu le malheur de naître dans ces temps abominables, livrée au plus funeste abandon, à moins de secours particuliers qui sont toujours rares, et condamnée à croître au milieu de la plus dévorante contagion de principes, d'exemples, d'actions et de paroles, qui ait jamais infecté l'espece humaine, sans que depuis quatre années, les réformateurs du monde aient pu seulement ouvrir une école où l'enfance puisse apprendre à lire et à écrire, à honorer Dieu et ses parens.>> A qui ce tableau de l'université fait-il le plus d'honneur? Est-ce à l'esprit, est-ce au cœur M. de Laharpe? est-ce au fils? est-ce à la mere? Jamais la piété filiale s'exprima-t-elle avec

de

ane effusion plus tendre? Que d'esprit sansaucun abus de l'esprit ! ou plutôt, quel bon sens! quelle vérité ! quel heureux mélange de sentimens et d'idées ! Qui ne partage pas ses regrets? qui ne se prosterne pas en idée, avec lui, devant ces tristes et vénérables souvenirs? et si l'éloquence n'est autre chose que l'art de faire passer dans autrui, les sentimens dont on est animé, qui pourra disputer à M. de Laharpe d'être un homme éloquent?

Mais nous ne pouvons résister au plaisir de citer les dernieres pages du discours où il nous semble que l'orateur s'est surpassé lui-même.

"..... Ce ne sera pas ma faute, si je ne parviens pas à détromper ceux qui se persuadent si follement, ou qui voudroient se persuader encore qu'ils sont faits pour commander à l'opinion, qu'en faisant le mal, ils ont changé la nature du bien, que personne ne peut plus honorer ce qu'ils insultent, ni mépriser ce qu'ils voudroient mettre en honneur; et que si ce n'est plus, comme autrefois, la terre entiere, au moins c'est toute la France qui doit être à jamais l'esclave et l'écho de leur atroce extravagance. Il ne tiendra pas à moi de dissiper cet étrange rêve d'un orgueil surhumain, et de leur montrer leurs systêmes absurdes, renfermés avec eux dans le cercle. très-étroit de leur existence très-précaire, et conspués avec horreur par le monde entier..... Je ne le dissimulerai point, le charme s'est éloigné et affoibli; et que n'altéreroient pas nos longues années de révolution? Je sais que la faculté d'oublier est un des biens de l'homme, qui ne pourroit guere supporter à-la-fois, tout

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