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commencé à opérer des réformes avec cette sage lenteur qui est toujours le solide garant du succès. Elles lui sont demandées de toutes parts par les hommes vivans dans le monde, mais qui, restés fidèles au culte des belles-lettres de l'antiquité, reportent vers les maîtres de leur enfance le tribut d'une expérience, et l'indication de besoins que ces maîtres ne peuvent recueillir dans la sphère circonscrite où ils passent leur vie laborieuse. Presser l'Université d'abréger les cours de langues anciennes, c'est servir ses intérêts les plus réels, en même temps que ceux des familles. Elle conservera d'autant plus d'élèves qu'elle leur demandera moins de temps pour les instruire. Les pères et les fils renonceront à l'instruction littéraire la plus relevée, si elle ne peut s'acquérir qu'en lui sacrifiant une partie du temps que réclame l'étude d'une profession spéciale; car, aujourd'hui que toute profession, pour être exercée avec profit, exige le savoir complet de ce qui la constitue et de ce qui s'y rattache, il faudrait, pour acquérir tant de connaissances, et pour consacrer d'abord six ou sept années à n'apprendre que la langue des Grecs et des Romains, une aisance de fortune qu'on ne trouve guère parmi les jeunes gens que l'aptitude naturelle et le goût portent vers de fortes études.

A la sortie des écoles primaires, l'instruction devrait être telle pendant trois ou quatre ans, qu'elle profitât également et aux enfans qu'on n'a pas le projet d'initier à la connaissance des langues anciennes, et aux enfans que leurs familles destinent à recevoir ce haut enseignement. Celui-ci en serait plus rapide, d'abord parce qu'il serait dégagé d'une foule de choses accessoires dont on embarrasse aujourd'hui les classes inférieures de nos colléges, et en second lieu, parce que les trois ou quatre années d'études faites en langue française auraient été comme un temps d'épreuve pour la capacité des élèves. Les parens n'entreprendraient pas de faire rendre familière la littérature des deux grands peuples de l'antiquité à des enfans qui n'auraient que lentement, péniblement, appris leur langue maternelle, et retenu quelques notions d'histoire, de géographie, de mathématiques et de sciences naturelles. Les classes de nos colléges universitaires seraient ainsi allégées d'une foule d'élèves médiocres, dont les lents progrès ne s'obtiennent qu'au prix de l'infatigable patience du professeur, et à l'aide d'un temps fort long, qui serait mieux employé à seconder l'activité d'esprit des élèves doués de plus heureuses dispositions.

INSTRUCTION PRIMAIRE.

Les efforts du Gouvernement vers la diffusion de l'instruction primaire ne prennent aucun relâche. Puissent-ils porter la lu

mière et la confiance jusque dans ces villages reculés où la superstition et l'ignorance se sont jusqu'alors entretenues l'une par l'autre !

Le ministre a rendu compte de l'emploi du million que vous avez voté pour aider aux progrès de l'enseignement primaire dans l'année 1832. Beaucoup d'opérations méritent des éloges; mais la critique trouve aussi sa part.

D'abord, pourquoi ne rendre compte que des dépenses auxquelles ce million a subvenu? Une somme de 73,000 fr. avait été accordée aussi à titre de prélèvement du vingtième sur les rétributions universitaires payées dans tous les colléges et dans les institutions et les pensions. Cette somme infailliblement a été distraite du produit des rétributions, et l'usage si moral auquel elle était destinée a dû s'accomplir.

En second lieu, on s'étonne d'un prélèvement de 48,428 fr. qui a été fait sur le million, pour fournir à quarante et quelques départemens les frais de registres des comités que l'ordonnance royale du 16 octobre 1830 a réorganisés dans chaque arrondissement de sous-préfecture, pour la surveillance de l'instruction primaire. On nous offrira peut-être pour explication que le ministre n'a donné de secours qu'à ceux de ces comités pour lesquels les conseils-généraux de département n'avaient point voté d'allocations spéciales dans leurs budgets.

Sans doute le ministre n'a pu forcer les conseils-généraux à voter un crédit pour de pareils frais. Le droit de contrainte ne saurait venir que de la loi attendue. Mais qu'on réfléchisse que le secours national en faveur de l'instruction primaire est destiné aux besoins les plus pressans, à ceux-là qui n'auraient pas d'autre moyen de satisfaction. Ainsi, comme un conseil-général n'aide point les communes de son département à créer des écoles, parce que la dépense serait au-delà de ses ressources, on conçoit que l'Etat vienne en aide aux communes qui s'imposent des sacrifices. Mais les frais de bureau des comités n'absorbent que des sommes modiques. Ils peuvent donc être supportés avec facilité par les départemens; et si les conseils-généraux ont refusé un crédit, ce n'est pas au trésor public à y pourvoir. Dès à présent le ministre doit s'abstenir de toute distraction pareille à celle que nous venons de blâmer.

La seconde nature de dépenses à laquelle le million a subvenu est la fondation ou le secours pour la fondation et l'entretien des écoles normales et des écoles modèles. Une somme de 68,655 fr. 15 c. a été absorbée. On sait que le ressort d'une académie comprend plusieurs départemens, et que ce ressort est le mêine que celui de la cour royale qui siége presque toujours dans la ville chef-lieu d'académie. Les académies de Cahors, Montpelier, Pau et Poitiers n'ont rien reçu.

L'enseignement mutuel a obtenu un secours de 27,215 fr. ré¬ parti entre seize académics. On a donné 5,000 fr. à celle de Nîmes, qui n'a encore que 54 écoles dirigées par cette méthode; 3,500 fr. à celle de Montpellier, qui n'en a que 19; 3,150 fr. à celle de Cahors, qui n'en a que 14 aucune de ces écoles n'est fréquentée par les filles.

Les académies de Besançon, Dijon, Nancy, Pau, Poitiers, Strasbourg, sont parmi celles qui n'ont aucun contingent dans les encouragemens. Ces académies comptent parmi les plus florissantes sous le rapport du nombre et de la bonne méthode des écoles. Dans le seul ressort de Strasbourg, il y a 244 écoles d'enseignement mutuel pour les garçons, et 17 pour les filles.

C'est cette académie qui est incomparablement la plus avancée ; elle l'est plus que celle même de Paris, qui, pour les sept départemens dont elle se compose, n'a que 117 écoles d'enseignement mutuel pour les garçons, et 34 pour les filles.

L'académie du royaume qui a fait les efforts les moins heureux est celle d'Orléans. Les trois départemens qu'elle renferme ne possèdent entre eux que 13 écoles elles sont pour les garçons seuls.

La troisième classe de dépenses comprend les encouragemens et secours aux instituteurs. Elle absorbe 79,158 fr. Toutes les acadé⚫ mies ont pris part à la distribution; quelques-unes pour des som. mes bien modiques. Par exemple, Poitiers a reçu 250 fr.; Caen, 220 fr.; Dijon, 110 fr. Rennes et Bourges ont reçu les secours les plus larges: la première a obtenu 9,073 fr.; la seconde, 6,840 fr.

Pour la quatrième classe, qui comprend l'achat des livres élémentaires et objets d'enseignement, il a été employé 137,233 fr. En livres et cartes on a distribué 728,290 exemplaires, qui ont coûté 88,115 fr. de prix d'acquisition, et 903 fr. de frais de transport. Quelques autres articles de la dépense n'obtiennent pas une approbation aussi facile; ceux-ci, par exemple: indemnités pour travaux extraordinaires relatifs à l'instruction primaire, 1,512 fr.; indemnités aux recteurs pour le même sujet, 18,100 fr.; indemnités aux membres de la commission des livres élémentaires, 7,740 fr.; frais divers d'impression, 5,250 fr.

En discutant le budget de 1832, on a eu égard aux travaux plus nombreux qu'exigeait le mouvement imprimé à l'instruction, et on a fixé en conséquence les frais des recteurs et les frais du ministère. Voilà la critique des deux premiers articles et du quatrième. Quant au troisième, il excite une vive surprise : jamais on n'avait révélé l'existence d'une commission payée qui, placée près du ministère, s'occupait du choix des livres élémentaires. Si un pareil soiu ne peut être rempli par le Conseil royal, il faut du moins que la publicité soit donnée aux noms et aux travaux des hommes qui

en sont chargés: ce n'est que de la şorte que la garantie morale et le contrôle financier seront possibles. Mais toujours est-il que la somme de 7,740 fr. est fort élevée, si elle a été employée tout entière en indemnités pour examen des livres dont le prix a fait l'objet de la quatrième classe de dépenses.

Une somme de 108,679 fr. a passé en frais de premier établissement, d'acquisition et d'entretien du mobilier des écoles.

Enfin, celle de 492,108 fr. a été consacrée en achats, constructions, réparations de maisons d'écoles. Il est des académies qui ont perçu des sommes considérables pour ce double objet. Par exemple, il a été accordé à Rennes 118,420 fr.; à Metz, 54,568 fr. ; à Dijon, 28,100 fr.; mais il n'a été donné à Limoges que 1,760 fr.; à Douai, que 480 fr. Pau est la seule académie qui n'ait

rien eu.

Cette notice détaillée de l'emploi du million qui avait été mis, en 1832, à la disposition du ministre pour l'encouragement de l'instruction primaire, était nécessaire. La Chambre y puisera assurément d'utiles avis à donner au ministre en lui continuant un crédit.

Il reste à connaître quels progrès a faits l'enseignement. Nous devons rechercher la vérité complète à ce sujet; d'abord parce que les fonds sortis du trésor public ont eu leur part d'influence dans les améliorations; et puis ce n'est qu'avec la connaissance parfaite de l'état actuel de l'enseignement, que vous pourrez déterminer ce qu'il est de votre devoir d'entreprendre dans le cours de cette année.

L'accroissement des écoles a été sensible en 1832. Quelques rapprochemens entre cette année et la précédente vont prouver les progrès obtenus.

En 1831, il y avait encore manque d'écoles dans 13,998 com

munes.

En 1832, le nombre de ces communes s'est réduit à 11,439. Différence en moins, 2,559.

En 1831, on trouvait des écoles dans 24,148 communes.

En 1832, le nombre des communes qui en étaient pourvues était de 26,710. Différence en plus, 2,562. Ce chiffre est inférieur à celui de 2,559, par suite de la réunion de trois communes à d'autres communes qui possédaient des écoles.

En 1831, le nombre total des écoles était de 30,796.

En 1832, il s'est élevé à 42,092, savoir: 32,520 entretenues par les communes, et 9,572 dirigées par des maîtres qui en faisaient leur entreprise personnelle. La différence, en faveur de l'année dernière, est donc de 12,704. Les écoles de garçons étaient trois fois plus nombreuses que celles des filles; car les premières étaient de 31,420, les autres de 10,670.

Sur le nombre total de 42,092, il est 1,354 écoles qui sont di

rigées par l'enseignement mutuel : c'est à peu près le trenteunième. Il n'y en avait, en 1831, que 804.

Ces 1,334 se divisent ainsi : écoles de garçons, il est une école de filles, 129. D'où il suit que, pour les garçons, 1,205; écoles sur 26 qui ait adopté la meilleure méthode; et pour les filles il n'en est, sur 83 écoles, qu'une seule.

La méthode simultanée dirige 24,173 écoles des deux sexes.

La méthode individuelle se trouve encore dans 16,185 écoles, c'est-à-dire dans les deux cinquièmes du nombre total des écoles primaires.

Il n'y a plus que 1,518 écoles du premier degré, dont le tiers est pour les garçons; il en est 20,234 du deuxième degré, et 20,340 du troisième.

Le recensement officiel de la population du royaume, arrêté à la fin de l'année dernière, porte les enfans de l'âge de cinq à douze ans au nombre de 4,602,356. C'est dans cette période de la vie que les enfans fréquentent plus particulièrement les écoles primaires.

- Cependant toutes ces écoles ensemble n'instruisaient, en 1832, que 1,335,624 enfans, dont les trois quarts peuvent être supposés n'avoir pas au-delà de douze ans; c'est-à-dire 1,451,718. Bientôt il sera établi que les garçons qui, de l'âge de 7 à 8 ans jusqu'à 20, étudient dans les colléges, les institutions ou les pensions, s'élèvent à peu près au nombre de 53,000. On admet que la moitié environ de ceux-ci ne dépasse pas l'âge de 12 ans; c'est donc 27,000 à ajouter. Ainsi on a, pour total des enfans de 5 à 12 ans qui étudient dans nos diverses écoles publiques, 1,178,718, et il en reste, en dehors de ces écoles, 3,328,658.

Cependant il faut, pour compléter le nombre des étudians, comprendre aussi les enfans qui sont élevés dans quelques maisons entretenues par l'Etat; par exemple, les garçons admis au collége militaire de La Flèche, les filles élevées dans les trois maisons de la Légion-d'Honneur; il faut ajouter aussi tous les enfans qui, dans la période de 5 à 12 ans, ne reçoivent d'instruction que dans l'intérieur de leurs familles, puis ceux qui la reçoivent d'instituteurs volontaires; par exemple, des prêtres, à qui les réglemens universitaires donnent le droit d'avoir trois élèves pensionnaires; enfin on doit comprendre aussi les jeunes filles classées dans les pensionnats particuliers. Le nombre de tous ces enfans ne s'élève pas assurément à 328,000. Ainsi, le nombre restant des enfans âgés de 5 à 12 ans qui manquent absolument d'instruction est donc au moins de 300,000. C'est plus des deux tiers du nombre total.

On doit remarquer que les académies où l'enseignement mutuel a plus ou moins de prospérité, sont précisément celles où les enfans fréquentent plus ou moins les écoles. Ainsi, dans le res

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