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L'ÉCOLE DES MARIS,

COMÉDIE EN TROIS ACTES.

1661.

A MONSEIGNEUR LE DUC D'ORLEANS, FRÈRE UNIQUE DU ROI.

MONSEIGNEUR,

E fais voir ici à la France des choses bien pen proportionnées. Il n'est rien de si grand et de si superbe que le nom que je mets à la tète de ce livre, et rien de plus has que ce 'qu'il contient Tout le monde trouvera cet assemblage étrange; et quelques-uns pourront bien dire, pour en exprimer l'inégalité, que c'est poser une couronne de perles et de diamants sur une statue de terre, et faire entrer par des portiques magnifiques et des arcs triomphaux superhes dans une méchante cabane. Mais, Monseigneur, ce qui doit me servir d'excuse, c'est qu'en celte aventure je n'ai eu aucun choix à faire, et que l'honneur que j'ai d'être à Votre Altesse Royale m'a imposé une nécessité absoluc de lui dédier le premier ouvrage que je mets de moi-même au jour. Ce n'est pas un présent que je lui fais, c'est un devoir dont

je m'acquitte; et les hommages ne sont jamais regardés par les choses qu'ils portent. J'ai donc osé, Monseigneur, dédier une bagatelle à Votre Altesse Royale, parce que je n'ai pu m'en dispenser; et si je me dispense ici de m'étendre sur les belles et glorieuses vérités qu'on pourroit dire d'elle, c'est par la juste appréhension que ces grandes idées ne fissent éclater encore davantage la bassesse do mon offrande. Je me suis imposé silence pour trouver un endroit plus propre à placer de si belles choses; el tout ce que j'ai prétendu dans cette épitre, c'est de justifier mon action à toute la France, et d'avoir cette gloire de vous dire à vous-même, Monseigneur, avec toute la soumission possible, que je suis,

DE VOTRE ALTESSE ROYALE,

Le très humble, très obéissant et très fidèle serviteur,

J.-B. P. MOLIÈRE.

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M'obliger à porter de ces petits chapeaux
Qui laissent éventer leurs débiles cerveaux;
Et de ces blonds cheveux, de qui la vaste enflure
Des visages humains offusque la figure?
De ces petits pourpoints sous les bras se perdans
Et de ces grands collets jusqu'au nombril pendans?
De ces manches qu'à table on voit tåler les sauces!
Et de ces cotillons appelés hauts-de-chausses?
De ces souliers mignons de rubans revêtus,
Qui vous font ressembler à des pigeons pattus?
Et de ces grands canons où, comme en des entraves
On met tous les matins ses deux jambes esclaves,
Et par qui nous voyons ces messieurs les galans
Marcher écarquillés ainsi que des volans?
Je vous plairois, sans doute, équipé de la sorte?
Et je vous vois porter les sottises qu'on porte.

ARISTE.

Toujours au plus grand nombre on doit s'accommoder
Et jamais il ne faut se faire regarder.
L'un et l'autre excès choque, et tout homme bien sage
Doit faire des habits ainsi que du langage,
N'y rien trop affecter, et, sans empressement,
Suivre ce que l'usage y fait de changement.
Mon sentiment n'est pas qu'on prenne la méthode
De ceux qu'on voit toujours renchérir sur la mode;
Et qui, dans cet excès dont ils sont amoureux,
Seroient fachés qu'un autre eût été plus loin qu'eux;
Mais je tiens qu'il est mal, sur quoi que l'on se fonde,
De fuir obstinément ce que suit tout le monde,
Et qu'il vaut mieux souffrir d'être au nombre des fous,
Que du sage parti se voir seul contre tous.

SGANARELLE.

Cela sent son vieillard, qui, pour en faire accroire, Cache ses cheveux blancs d'une perruque noire.

ARISTE.

C'est un étrange fait du soin que vous prenez
A me venir toujours jeter mon âge au nez;
Et qu'il faille qu'en moi sans cesse je vous voic
Blåmer l'ajustement, aussi bien que la joie :
Comme si, condamnée à ne plus rien chérir,
La vicillesse devoit ne songer qu'à mourir,

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Mon dicu! chacun raisonne et fait comme il lui plait.
Elles sont sans parents, et notre ami leur père
Nous commit leur conduite à son heure dernière;
Et nous chargeant tous deux, ou de les épouser,
Ou, sur notre refus, un jour d'en disposer,
Sur elles, par contrat, nous sut, dès leur enfance,
Et de père et d'époux donner pleine puissance :
D'élever celle-là vous prites le souci,
Et moi, je me chargcai du soin de celle-ci;
Selon vos volontés vous gouvernez la vôtre,
Laissez-moi, je vous prie, à mon gré régir l'autre.

Il me semble...

ARISTE.

SGANARELLE.

Il me semble, et je le dis tout haut,

Que sur un tel sujet c'est parler comme il faut.
Vous souffrez que la vôtre aille leste et pimpante,
Je le veux bien qu'elle ait et laquais et suivante,
J'y consens; qu'elle coure, aime l'oisiveté,
Et soit des damoiseaux fleurée en liberté,

:

,"

J'en suis fort satisfait mais j'entends que la mienne
Vive à ma fantaisie et non pas à la sienne;
Que d'une serge honnête elle ait son vêtement,
Et ne porte le noir qu'aux bons jours seulement;
Qu'enfermée au logis, en personne bien sage,
Elle s'applique toute aux choses du ménage,
A recoudre mon linge aux heures de loisir,
Ou bien à tricoter quelques bas par plaisir;
Qu'aux discours des muguets elle ferme l'oreille,
Et ne sorte jamais sans avoir qui la veille.
Enfin la chair est foible, et j'entends tous les bruits.
Je ne veux point porter de cornes, si je puis;
Et, comme à m'épouser sa fortune l'appelle,
Je prétends, corps pour corps, pouvoir répondre d'elle.

ISABELLE.

Vous n'avez pas sujet, que je crois...

SCANARELLE.

Taisez-vous.

Je vous apprendrai bien s'il faut sortir sans nous. LÉONOR.

Quoi donc, monsicur?

SGANARELLE.

Mon dieu ! madame, sans langage, Je ne vous parle pas, car vous êtes trop sage. LÉONOR. Voyez-vous Isabelle avec nous à regret?

SGANARELLE.

Oui, vous me la gåtcz, puisqu'il faut parler net.
Vos visites ici ne font que me déplaire,
Et vous m'obligerez de ne nous en plus faire.
LÉONOR.

Voulez-vous que mon cœur vous parle net aussi ?
J'ignore de quel œil elle voit tout ceci :
Mais je sais ce qu'en moi feroit la défiance;

Et, quoiqu'un même sang nous ait donné naissance,
Nous sommes bien peu sœurs, s'il faut que chaque jour
Vos manières d'agir lui donnent de l'amour.

LISETTE.

En effet, tous ces soins sont des choses infâmes.
Sommes-nous chez les Turcs, pour renfermer les femmes?
Car on dit qu'on les tient esclaves en ce lieu,
Et que c'est pour cela qu'ils sont maudits de Dieu.
Notre honneur est, monsieur, bien sujet à foiblesse,
S'il faut qu'il ait besoin qu'on le garde sans cesse.
Pensez-vous, après tout, que ces précautions
Servent de quelque obstacle à nos intentions?
Et, quand nous nous mettons quelque chose à la tête,
Que l'homme le plus fin ne soit pas une bête ?
Toutes ces gardes-lå sont visions de fous;
Le plus sûr est, ma foi! de se fier en nous;
Qui nous gêne, se met en un péril extrême,

Et toujours notre honneur veut se garder lui-même.
C'est nous inspirer presque un désir de pécher,
Que montrer tant de soins de nous en empêcher;
Et, si par un mari je me voyois contrainte,
J'aurois fort grande pente à confirmer sa crainte.
SGANARELLE, à Ariste.

Voilà, beau précepteur, votre éducation.
Et vous souffrez cela sans nulle émotion?

ARISTE.

Mon frère, son discours ne doit que faire rire;
Elle a quelque raison en ce qu'elle veut dire.
Leur sexe aime à jouir d'un peu de liberté ;
On le retient fort mal par tant d'austérité;
Et les soins défiants, les verroux et les grilles
Ne font pas la vertu des femmes ni des filles.
C'est l'honneur qui les doit tenir dans le devoir,
Non la sévérité que nous leur faisons voir.
C'est une étrange chose, à vous parler sans feinte,
Qu'une femme qui n'est sage que par contraintc.
En vain sur tous ses pas nous prétendons régner,
Je trouve que le cœur est ce qu'il faut gagner;
Et je ne tiendrois, moi, quelque soin qu'on se donne,
Mon honneur guère sûr aux mains d'une personne
A qui, dans les désirs qui pourroient l'assaillir,
Il ne manqueroit rien qu'un moyen de faillir.

SGANARELLE.

Chansons que tout cela.

ARISTE.

Soit; mais je tiens sans cesse Qu'il nous faut en riant instruire la jeunesse, Reprendre ses défauts avec grande douceur, Et du nom de vertu ne lui point faire peur. Mes soins pour Léonor ont suivi ces maximes; Des moindres libertés je n'ai point fait des crimes, A ses jeunes desirs j'ai toujours consenti, Et je ne m'en suis point, grace au ciel, repenti. J'ai souffert qu'elle ait vu les belles compagnics, Les divertissements, les bals, les comédies; Ce sont choses, pour moi, que je tiens de tout temps Fort propres à former l'esprit des jeunes gens; Et l'école du monde, en l'air dont il faut vivre, Instruit mieux à mon gré que ne fait aucun livre.

Elle aime à dépenser en habits, linge et neuds;
Que voulez-vous? Je tâche à contenter ses vœux;
Et ce sont des plaisirs qu'on peut, dans nos familles,
Lorsque l'on a du bien, permettre aux jeunes filles.
Un ordre paternel l'oblige à m'épouser;
Mais mon dessein n'est pas de la tyranniser.
Je sais bien que nos ans ne se rapportent guère,
Et je laisse à son choix liberté tout entière.
Si quatre mille écus de rente bien venants,
Une grande tendresse et des soins complaisants,
Peuvent, à son avis, pour un tel mariage,
Réparer entre nous l'inégalité d'âge,

Elle peut m'épouser; sinon choisir ailleurs.
Je consens que sans moi ses destins soient meilleurs;
Et j'aime mieux la voir sous un autre hyménée,
Que si contre son gré sa main m'étoit donnée.

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