C'est sur le mariage où ma mère s'apprête Que j'ai voulu, monsieur, vous parler tête à tête; Et j'ai cru, dans le trouble où je vois la maison, Que je pourrois vous faire écouter la raison.. Je sais qu'avec mes vœux vous me jugez capable. De vous porter en dot un bien considérable : Mais l'argent, dont on voit tant de gens faire cas, Pour un vrai philosophe a d'indignes appas; Et le mépris du bien et des grandeurs frivoles Ne doit point éclater dans vos seules paroles,
Aussi n'est-ce point là ce qui inc charme en vous; Et vos brillants attraits, vos yeux-perçants et doux, Votre grace et votre air, sont les biens, les richesses, Qui vous ont attiré mes vœux et mes tendresses: C'est de ces seuls trésors que je suis amoureux.
Je suis fort redevable à vos feux généreux. Cet obligeant amour a de quoi me confondre, Et j'ai regret, monsieur,. de n'y pouvoir répondre. Je vous estime autant qu'on sauroit estimer; Mais je trouve un obstacle à vous pouvoir aimer. Un crur, vous le savez, à deux ne sauroit être, Et je sens que du mien Clitandre s'est fait maitre. Je sais qu'il a bien moins de mérite que vous, Que j'ai de méchants yeux pour le choix d'un époux; Que, par cent beaux talents, vous devriez me plaire : Je vois bien que j'ai tort; mais je n'y puis que faire, Et tout ce que sur moi peut le raisonnement, C'est de me vouloir mal d'un tel aveuglement
Ic don de votre main, où l'on me fait prétendre,
Me livrera ce caœur que possède Clitandre; Et, par mille doux soins, j'ai lieu de présumer. Que je pourrai trouver l'art de me faire aimer..
Non à ses premiers vœux mon ame est attachées Et ne peut de vos soins, monsieur, être touchée. Avec vous librement j'ose ici m'expliquer, Et mon aveu n'a rien qui vous doive choquer. Cette amoureuse ardeur, qui dans les cœurs s'excile, N'est point, comme l'on sait, un effet du mérite : Le caprice y prend part; et, quand quelqu'un nous plait, Souvent nous avons peine à dire pourquoi c'est. Si l'on aimoit, monsieur, par choix et par sagesse, Vous auriez tout mon cœur et toute ma tendresse; Mais on voit que l'amour se gouverne autrement. Laissez-moi, je vous pric, à mon aveuglement, Et ne vous servez point de cette violence Que, pour vous, on veut faire à mon obéissance. Quand on est honnête homine, on ne veut rien devoir A ce que des parents ont sur nous de pouvoir; On répugne à se faire, immoler co qu'on aime, . Et l'on veut n'obtenir un cœur que de lui-mêine. Ne poussez point ma mère à vouloir, par son choix, Exercer sur ines vœux la rigueur de ses droits. Otez-moi votre ainour, et portez à quelque autre Les hommages d'un cœur aussi cher que le vôtre.
Le moyen que ce cœur puisse vous contenter? Imposez-lui des lois qu'il puisse exécuter.
De ne vous point aimer peut-il être capable, A moins que vous cessiez, madame, d'être aimable, Et d'étaler aux yeux les célestes appas?..
Eh! monsieur, laissons là ce galimatias. Vous avez tant d'Iris, de Philis, d'Amarantes, Que partout dans vos vers vous peignez si charinantes, El. pour qui vous jurcz tant d'amoureuse ardeur...
C'est mon esprit qui parle, et ce n'est pas mon cœur.
D'elles on ne me voit amoureux qu'en poëte; Mais j'aime tout de bon l'adorable Henriette.
Eh! de grace, monsieur...
Si c'est vous offenser, Mon offense envers vous n'est pas prête à cesser. Cette ardeur, jusqu'ici de vos yeux ignorée, Vous consacre des voeux d'éternelle durée.
Qu'il ne fait pas bien sûr, à vous le trancher net, D'épouser une fille en dépit qu'elle on ait;
Et qu'elle peut aller, en se voyant contraindre, A des ressentiments que le mari doit craindre?
Un tel discours n'a rien dont je sois altéré. A tous événements le sage est préparé. Guéri, par la raison, des foiblesses vulgaires, Il se met au-dessus de ces sortes d'affaires, Et n'a garde do prendre aucune ombre d'ennui .De tout ce qui n'est pas pour dépendre de lui.
En vérité, monsieur, jo suis de vous.ravic; Et je ne pensois pas que la philosophie Fût si belle qu'elle est, d'instruire ainsi les gens A porter constamment do pareils accidents. Cette fermeté d'ame, à vous si singulière, Mérite qu'on lui donne une illustre matière, Est digne de trouver qui prenne avec amour Les soins continuels de la mettre en son jour;
Les savants ne sont bons que pour précher en chaise; Et, pour mon mari, moi, mille fois je l'ai dit, Je ne voudrois jamais prendre un homme d'esprit ; L'esprit n'est point du tout ce qu'il faut en ménage. Les livres cadrent mal avec le mariage;
Et je veux, si jamais on engage ma foi,
Un mari qui n'ait point d'autre livre que moi, Qui ne sache A ne B, n'en déplaise à madame, .Et ne soit, en un mot, docteur que pour sa femme, PHILAMINTE, à Chrysale.
Est-ce fait? et, sans trouble, ai-je assez écouté Votre digne interprète ?
Elle a dit vérité. PHILAMINTE.
Et moi, pour trancher court toute cette dispute, Il faut qu'absolument mon desir s'exécute. Montrant Trissutín.
Henriette et monsieur seront joints de ce pas. Je l'ai dit, je le veux ne me répliquez pas; Et, si votre parole à Clitandre est donnée, Offrez-lui le parti d'épouser son ainée.
Voilà dans cette affaire un accommodement.
A Henriette et à Citandre.
Voyez; y donnez-vous votre consentement ? HENRIETTE.
CLITANDRE, à Chrysale. lé! monsieur! BÉLISE.
On pourroit bien lui faire Des propositions qui pourroient mieux lui plaire; Mais nous établissons une espèce d'amour Qui doit être épuré comme l'astre du jour : La substance qui pense y peut être reçue; Mais nous en bannissons la substance étendue.
ARISTE, CHRYSALE, PHILAMINTE, BELISE, HENRIETTE, ARMANDE, TRISSOTIN, UN NOTAIRE, CLITANDRE,
J'ai regret de troubler un mystère joyeux Par le chagrin qu'il faut que j'apporte en ces lieux. Ces deux lettres me font porteur de deux nouvelles Dont j'ai senti pour vous les atteintes cruelles :
L'une, pour vous, me vient de votre procureur;
L'autre, pour vous, me vient de Lyon.
Digne de nous troubler, pourroit-on nous écrire?
Monsieur, l'amitié qui me lie à monsieur votre
» frère me fait prendre intérêt à tout eẻ qui vous
» touche. Je sais que vous avez mis votre bien entre » les mains d'Argante et de Damon, et je vous donne avis qu'en même jour ils ont fait tous deux banque>> route. >>>
O cicl! tout à la fois, perdre ainsi tout son bien! PHILAMINTE, à Chrysale. Ah! quel honteux transport! Fi! tout cela n'est rien : Il n'est pour le vrai sage aucun revers funeste Et, perdant toute chose, à soi-même il se reste.. Achevons notre affaire, et quittez votre ennui.
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