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M. Thiers passait du ministère du commerce et des travaux publics au ministère de l'intérieur, en conservant les travaux publics, qui furent détachés du ministère du commerce. M. de Rigny échangeait le portefeuille de la marine et des colonies contre celui des affaires étrangères. MM. Duchâtel et Persil et le vice-amiral Roussin, ambassadeur à Constantinople, étaient appelés, le premier au ministère du commerce, le second au ministère de la justice, et le troisième au ministère de la marine et des colonies, que M. de Rigny gardait par intérim. Enfin MM. d'Argout et Barthe recevaient, celui-ci la présidence de la Cour des comptes, et celui-là le gouvernement de la banque, quoique ces deux postes fussent occupés par MM. le marquis de Barbé-Marbois et le duc de Gaète, dont la démission en cette circonstance assura un assez beau dédommagement aux deux ex-ministres. M. Barthe était, en outre, appelé à la pairie. Quant au général Sébastiani, il obtint l'ambassade de Naples.

Cette crise ministérielle n'avait guère excité de sensation dans le public, que par sa prolongation. On avait compris qu'il ne s'agissait que d'un changement de personnes et non d'un changement de système. L'esprit et la volonté du conseil restaient en effet les mêmes; ou plutôt l'on pouvait conclure des antécédens de l'un de ses nouveaux membres, qu'il se réorganisait avec la résolution de persévérer encore plus énergiquement dans la marche suivie jusqu'alors. D'un autre côté, le traité américain était lui-même si abanpeu donné que l'un de ses plus chauds défenseurs, M. Duchâtel, entrait dans le cabinet. Un moment cependant on avait pu croire, sur la foi de certains noms (1), qu'une modification lé gère de politique s'opérerait dans le sens de cette opinion vague, dont les adhérens avaient bien une dénomination, celle de tiers-parti, mais dont les bases et les limites n'étaient point

(1) Les noms de MM. Dupin, Molé, Duperré, Sainte-Aulaire, avaient été plusieurs fois prononcés et mis en avant.

encore nettement tracées. La nomination de M. Persil, qui s'était mis en évidence d'une manière toute particulière par ses doctrines, ses actes et ses paroles, annonça que la difficulté avait été résolue d'une façon toute contraire. Au reste, si les négociations se fussent prolongées quelques jours encore, la France eût été surprise sans ministère par les événemens les plus graves qu'elle dût voir s'accomplir dans le cours de

l'année.

CHAPITRE VI.

Troubles à Lyon et sur divers points de la France. -Procès des Mutuellistes. Insurrection à Lyon.—Troubles dans différentes villes. — Insurrection à Saint-Etienne et à Paris. Communication des ministres aux Chambres sur ces événemens. - Démarche des Chambres auprès du roi. Manifestations de l'opinion publique. Ordonnance royale qui défère à la cour des pairs le jugement des dernières insurrections. Mesures diverses prises par le gouvernement. — Résumé de la situation.

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Nous avons eu occasion de mentionner quelques désordres qui, dans la seconde moitié du mois de février, menacèrent la tranquillité publique sur plusieurs points de la France et à Paris. Ces désordres n'étaient malheureusement que les préludes de troubles beaucoup plus sérieux. Les espérances conçues par le pays, et maintes fois exprimées du haut de la tribune, que la France était enfin délivrée des émeutes, devaient être cruellement déçues, et nous avons encore à raconter des commotions sanglantes, pareilles à celles qui éclatèrent en novembre 1831. Alors, comme aujourd'hui, les causes premières des événemens furent à peu près les

mêmes.

Une diminution faite dans le prix de la main-d'œuvre, par quelques fabricans de Lyon, avait excité un vif mécontentement parmi les ouvriers : ils en référèrent à une association dite des Mutuellistes, que les chefs d'ateliers avaient formée pour défendre les intérêts généraux de la classe ouvrière. Cette association, dont les ramifications étaient nombreuses et l'autorité presque souveraine, décréta que, du 14 février jusqu'à nouvel ordre, tous les travaux de fabrication seraient suspendus. Comme cette résolution n'avait passé qu'à une faible majorité (1297 voix contre 1044), et que les mutuellistes prévoyaient une certaine résistance à leur arrêté, des menaces de violence furent exprimées contre les

ouvriers qui continueraient à travailler malgré l'interdiction. Dans la matinée du 14, les vingt mille métiers de Lyon et des faubourgs cessèrent de battre, la violence ayant été effectivement employée envers un petit nombre d'ouvriers récalcitrans.

En présence des souvenirs qu'avaient laissés les événemens de 1831, ces mesures, dont les résultats devaient être de condamner d'abord les ouvriers à l'inaction, et par suite, de les faire tomber dans la détresse, inspirèrent les plus vives alarmes à la population lyonnaise; les émigrations se multiplièrent, les négocians firent sortir leurs marchandises de la ville; on s'attendait à quelque scène désastreuse. Ces craintes semblaient d'autant plus fondées que, si la crise était encore purement industrielle, les associations républicaines, en intervenant dans la contestation, et en exploitant l'oisiveté et la misère des ouvriers, pourraient, d'un moment à l'autre, donner à la question un caractère politique. Ces appréhensions ne se réalisèrent point; quoique inoccupés pendant plusieurs jours, les ouvriers ne portèrent aucune grave atteinte à la tranquillité publique, et les manœuvres des associations républicaines ne parvinrent à produire que quelques agitations auxquelles ils restèrent pour la plupart étrangers. Le but des mutuellistes était d'obtenir une augmentation de salaire; les fabricans persistèrent à la refuser: comme les ressources moins bornées des fabricans leur permettaient d'attendre plus long-temps, force fut aux ouvriers de se soumettre; l'interdiction fut donc levée, et les travaux reprirent, après dix jours environ de suspension. L'autorité, pendant toute cette période difficile, s'était abstenue de prendre parti dans la querelle entre les fabricans et les ouvriers; elle s'était seulement mise sur ses gardes, et n'avait recouru à la force active que lorsque violence avait été faite à ceux qui voulaient continuer le tra-vail, ou lorsque l'ordre matériel avait été troublé dans les rues et sur les places.

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L'intérêt public avait été fortement excité par ces événemens, les craintes qu'ils faisaient naître s'augmentant de leur coïncidence avec l'expédition du général Romarino en Savoie, et avec des perturbations survenues, vers la même époque, sur d'autres points de la France. A Saint-Etienne, à Marseille, quelques démonstrations républicaines avaient eu lieu; la capitale elle-même, ainsi qu'on l'a vu plus haut, avait été agitée par des mouvemens tumultueux. Quoique ces troubles n'eussent pas offert de gravité dans leurs résultats, et qu'ils cussent été partout comprimés sans peine, la confiance générale n'en restait pas moins ébranlée. Ce qui venait de se passer à Lyon trahissait une situation sérieuse et alarmante. D'une part le mécontentement et le malaise de la classe ouvrière, qui l'entretenaient dans une effervescence continuelle; de l'autre l'activité et l'énergie des partis politiques qui s'emparaient habilement de ces germes de troubles pour les développer et les diriger, ces deux causes permanentes menaçaient le pays, par leur combinaison possible, de violentes commotions. Dans cet état de choses, ce ne fut pas sans anxiété qu'on vit arriver le procès de six membres de la société des mutuellistes, inculpés comme chefs de la coalition de février. Des déclarations faites, des résolutions arrêtées par les associations industrielles, et particulièrement une protestation très-vive des mutuellistes contre la loi sur les associations, des mouvemens au sein des sociétés politiques, enfin de vagues rumeurs, tous ces indices donnaient à penser que le procès serait un moment de danger pour la ville. Le tribunal avait néanmoins exprimé le désir qu'il n'y eût qu'un faible déploiement de force militaire, ne voulant pas juger sous la protection des baïonnettes: l'autorité administrative avait cru devoir déférer à ce vou.

De graves désordres marquèrent l'ouverture du procès, qui eut lieu le 5 avril: un témoin à charge fut l'objet des plus mauvais traitemens; le procureur du roi, qui accourut aussitôt pour interposer son autorité, reçut lui-même des in

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