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par un décret du 15 juillet, qui déclara le tribunal de cette odieuse institution définitivement supprimé, en statuant que les propriétés, revenus et autres biens qu'elle possédait, ainsi que le produit de cent une places de chanoines, qui en dépendaient, seraient consacrés à l'extinction de la dette publique. Tous les employés de ce tribunal, non pourvus de prébendes ecclésiastiques ou d'emplois civils rétribués, recevraient leurs appointemens de la caisse d'amortissement, jusqu'à ce qu'ils fussent placés. Ce décret répondait de nouveau après tant d'autres à la réaction qui s'opérait en Espagne contre l'absolutisme apostolique sous lequel le peuple espagnol avait si long-temps courbé la tête; réaction dont une affreuse calamité allait bientôt donner un épouvantable ! témoignage.

De l'Andalousie, qu'il dépeuplait en concurrence avec la famine, le choléra, après avoir franchi la Sierra-Morena en sautant d'un seul bond du Guadalquivir au Tage, était arrivé aux portes de la capitale vers la fin de juin, en dépit de tous les cordons de troupes, de toutes les juntes sanitaires que la peur avait encore fait établir. L'effroi s'empara des habitans de Madrid, dont les plus riches prirent aussitôt la fuite, à l'exemple de la reine et de la cour, qui se hâtèrent de se retirer à Saint-Ildefonse, en défendant toute communication entre ce château royal et le dehors. Toutefois, pendant une quinzaine de jours, Madrid n'offrit à signaler que quelques cas de maladies suspectes, renfermés dans la classe indigente, et qui ne semblaient pas assez caractérisés pour accréditer l'existence du choléra asiatique. Mais tout à coup, dans la journée du 16 juillet, le fléau se déclara avec tant de fureur, qu'il mourut en vingt-quatre heures 243 personnes, et le lendemain un nombre plus considérable encore (1). Cette invasion subite de l'épidémie, le lugubre tin

(1) Depuis le 28 juin jusqu'au 21 août, le nombre des cholériques

tement des cloches, la vue continuelle des brancards couverts (camillas) qui voituraient des malades aux hôpitaux, et l'administration des secours spirituels aux mourans, qui se faisait avec une solennité qu'on n'avait pas eu la prudence d'empêcher, frappèrent de terreur toutes les imaginations. Alors, comme cela était arrivé presque partout à l'apparition du choléra, on donna cours aux rumeurs les plus absurdes; des bruits d'empoisonnement de fontaines se répandirent parmi le peuple, et changèrent la terreur en irritation. Il imputa ce crime à la classe qui lui était maintenant la plus odieuse, aux moines, et parmi les moines, à ceux que sa haine distinguait, aux jésuites et aux franciscains, qu'on accusait, non sans raison, d'être partisans décidés de don Carlos. Cette journée finit néanmoins sans troubles; mais il était aisé de prévoir que la suivante ne se passerait pas aussi tranquillement.

Le 17 au matin on remarqua une grande agitation dans les esprits, et sur plusieurs points des individus furent maltraités par le peuple, comme ayant tenté d'empoisonner les fontaines. On commença à proclamer hautement que les franciscains, et particulièrement les jésuites, avaient rempli Madrid d'empoisonneurs. Vers les deux heures, un homme qu'on prétendait avoir surpris jetant de l'arsenic dans la tonne d'un porteur d'eau, fut poursuivi et massacré sur le seuil du corps-de-garde de la Puerta del Sol. Alors des groupes

morts à Madrid a été de 4,869, et se décompose de la manière sui

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On voit que, relativement à la population, la mortalité a été aussi forte à Madrid qu'à Paris, avec cette différence que le mouvement d'accroissement a été moins rapide.

nombreux se formèrent dans ce quartier, et successivement dans les autres parties de la ville, principalement aux environs du couvent des jésuites, situé rue de Tolėde. Cependant aucune mesure n'avait été prise par l'autorité civile ou militaire. Les jésuites, voyant leur maison à peu près cernée par une populace exaspérée, barricadèrent leur porte; on assura même, mais cela ne fut pas prouvé, que quelques coups de fusil avaient été tirés par eux. Les portes furent forcées, et, avant que des troupes régulières arrivassent, plusieurs jésuites, qui essayaient de s'échapper déguisés en bourgeois, furent égorgés dans le couvent et dans la rue. Le reste de la communauté, réfugié dans la sacristie, fut sauvé par le courage et la présence d'esprit d'un garde urbain qui, le sabre à la main, déclara aux assaillans qu'ils auraient à passer sur son corps avant de pénétrer dans l'asile des religieux. Le capitaine-général parut sur ces entrefaites et ne réussit qu'à empêcher que les moines, qui se préparaient à la mort, ne fussent tous mis en pièces. Quelques uns, cependant, qui n'avaient pas pu ou voulu se réunir à leurs confrères, furent encore assassinés dans le couvent.

Dans le même temps, le couvent de San-Francisco-elGrande, chef-lieu de l'ordre, était attaqué par d'autres groupes où l'on remarquait des urbains et des soldats isolés, malgré plusieurs bataillons de troupes, qui, n'ayant pas d'instructions, laissèrent agir le peuple, et furent témoins impassibles du massacre de plus de quarante franciscains. On disait même que bon nombre de soldats de la ligne avaient pris part à cet attentat. Les religieux s'étaient défendus long-temps, car leur couvent n'avait été envahi que vers neuf heures du soir.

En ce moment le couvent de Saint-Thomas, chef-lieu de l'ordre des dominicains en Espagne, était aussi forcé et complétement dévasté; mais ici il ne paraît pas qu'il y ait eu de victimes, sans doute parce que les moines avaient trouvé moyen de se sauver. Dans la même soirée d'autres couvens furent menacés, et surtout celui des carmes, situé à

peu

de

distance de la Puerta-del-Sol. Des troupes de ligne arrivèrent enfin pour prévenir de nouveaux désastres.

Le lendemain 18, le peuple, toujours mêlé d'un certain nombre de gardes urbains et de soldats, fit mine de vouloir attaquer le célèbre couvent d'Atocha, à l'extrémité méridionale du Prado: des troupes accoururent; le prieur, à la tête de sa communauté, ordonna d'ouvrir le couvent qui fut visité, et aucun excès ne fut commis. Dès lors le calme se rétablit et ne fut plus troublé.

Chose étrange pour tous ceux qui supposent que l'Espagne est restée stationnaire! cette horrible catastrophe des moines ne produisit pas même un sentiment de compassion parmi leurs concitoyens, et sous le rapport religieux qui semblait dominer toutes les questions dans ce pays, le 17 juillet 1834 à Madrid avait présenté, si l'on excepte d'ailleurs ses violences sanguinaires, le même spectacle que le 13 février 1831 à Paris, lors du sac de l'archevêché et de l'église de SaintGermain-l'Auxerrois..

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A la suite de ce massacre, un décret royal, signé à SaintIldefonse le 18, proclama que toute réunion qui se dirigerait - avec des armes vers un couvent ou une maison particulière dans le but de troubler la paix publique, devrait après trois sommations de l'autorité se séparer, ou sinon serait dispersée par la force. Les sommations faites, tout individu arrêté en flagrant délit serait condamné à huit ou quatre années de galères, selon qu'il aurait ou non des armes.

Le gouvernement destitua en outre toutes les autorités de Madrid elles avaient réellement à se reprocher leur imprévoyance et leur faiblesse au milieu de ces scènes sanglantes qui coûtèrent la vie à 69 moines. Ceux des perturbateurs qu'on avait pu saisir furent livrés aux tribunaux qui appliquèrent à quelques uns d'entre eux un châtiment sévère. La milice urbaine fit elle-même justice des individus de ce corps qui avaient pris part à ces meurtres, en les expulsant de ses rangs.

CHAPITRE VIII.

ESPAGNE. Ouverture de l'assemblée des Cortès.

Exclusion de don

Réglement de la

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Discours de la reine régente. Conspiration ultrà-libérale à Madrid. Opérations préliminaires des deux Chambres.-Adresses des Chambres en réponse au discours du trône. - Déclaration des droits politiques. Carlos et de ses descendans du trône d'Espagne. dette étrangère.-Exclusion de M. Burgos de la Chambre des procérès. — Suite des opérations militaires dans les provinces insurgées. Mina est nommé au commandement de l'armée du Nord. - Nomination d'un nouveau ministre de la guerre. Troubles dans les provinces du midi. - Choléra. Suite des travaux des Chambres : Objets divers. - Projet de loi sur la milice urbaine. Projet de loi pour une levée de 25,000 hommes. Pétition pour la reconnaissance des anciennes colonies espagnoles en Amérique. — Budget pour 1835. Discussion de la liste civile. Etat des choses dans les provinces insurgées.

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Malgré la présence du choléra, le ministère n'avait pas varié un moment sur la nécessité inexorable d'ouvrir les Cortès au terme fixé précédemment, et, le 24 juillet, la reine régente, déterminée par les conseils de M. Martinez de la Rosa, interprète de tous ses collègues, revint à Madrid pour présider à cette solennité, qui se fitau palais de Buen-Retiro. Arrivée dans la salle des séances, la régente, au devant de laquelle des députations étaient allées, suivant le cérémonial prescrit, prit place sur un siége à la gauche du trône, qui resta inoccupé en l'absence de la jeune reine Isabelle, et dit ces paroles : « Illustres procerès du royaume, MM. MM. les procuradores du royaume, asseyez-vous »; puis elle reçut des mains du président du conseil des ministres le discours qu'elle devait prononcer. (Voyez l'Appendice.)

« Unir étroitement, disait-elle au début de ce discours, le trône de mon anguste fille aux droits de la nation, en donnant pour base commune à ce trone et à ces droits les antiques institutions qui ont élevé ces royaumes à un si baut degré de prospérité et de gloire, tel est le noble but que je me suis proposé, but dont il n'est pas de témoignage plus éclatant et plus solennel que votre présence dans cette enceintes >>

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