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que je vous ay donnée, & de croire que vous aurez de mes nouvelles avant qu'il foit demain au foir. Comme la partie n'eft pas égale, il faut user de ftratageme, & éluder adroitement le malheur qui me cherche, je veux que Sganarelle fe reveste de mes habits, & moy...

SGANARELLE.

Monfieur, vous vous moquez, m'expofer à estre tué fous vos habits, &...

D. JUAN.

Allons vifte, c'est trop d'honneur que je vous fais, & bien-heureux eft le valet qui peut avoir la gloire de mourir pour fon Maitre.

SGANARELLE.

Je vous remercie d'un tel honneur. O Ciel, puis qu'il s'agit de mort, fais-moy la grace de n'eftre point pris pour un autre!

Fin du fecond A&e.

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Ma foy, Monfieur, avoüez que j'ay cu raison, & que nous voila l'un & l'autre déguifez à merveille. Voftre premier deffein n'eftoit point du tout à propos, & cecy nous cache bien mieux que tout ce que vous vouliez faire.

D. JUAN.

Il eft vray, que te voila bien, & je ne fçay où tu as efté déterrer cét attirail ridicule.

SGANARELLE.

Oüy, c'est l'habit d'un vieux Medecin, qui a esté laiffé en gage au lieu où je l'ay pris, & il m'en a coûté de l'argent pour l'avoir. Mais fçavez-vous, Monfieur, que cét habit me met déja en confideration? que je fuis falué des gens que je rencontre, & que l'on me vient confulter ainfi qu'un habile homme?

Comment donc ?

D. JUAN.

SGANARELLE.

Cinq ou fix Païfans & Païfanes en me voyant paffer me font venus demander mon avis fur differentes maladies.

D. JUAN.

Tu leur as répondu que tu n'y entendois rien?

SGANARELLE.

Moy, point du tout, j'ay voulu foûtenir l'honneur de mon habit, j'ay raisonné fur le mal, & leur ay fait des ordonnances à chacun.

D. JUAN.

Et quels remedes encore leur as-tu ordonnez?

SGANARELLE.

Ma foy, Monfieur, j'en ay pris par où j'en ay pû attraper, j'ay fait mes ordonnances à l'avanture, & ce feroit une chofe plaifante fi les malades guériffoient, & qu'on m'en vinst remercier.

D. JUAN.

Et pourquoy non? par quelle raison n'aurois-tu pas les mefmes privileges qu'ont tous les autres Medecins? ils n'ont pas plus de part que toy aux guérifons des malades, & tout leur art eft pure grimace. Ils ne font rien que recevoir la gloire des heureux fuccez, & tu peux profiter comme eux du bon-heur du malade, & voir attribuer à tes remedes tout ce qui peut venir des faveurs du hazard, & des forces de la nature.

SGANARELLE.

Comment, Monfieur, vous efter auffi impie en Medecine?

D. JUAN.

C'eft une des grandes erreurs qui foient parmy

les hommes.

SGANARELLE.

Quoy, vous ne croyez pas au fené, ny à la caffe, ny au vin hemetique?

D. JUAN.

Et pourquoy veux-tu que j'y croye?

SGANARELLE.

Vous avez l'ame bien mécreante. Cependant vous voyez depuis un temps que le vin hemetique fait bruire fes fufeaux. Les miracles ont converty les plus incredules efprits, & il n'y a pas trois femaines que j'en ay veu, moy qui vous parle, un effet merveilleux.

Et quel?

D. JUAN.

SGANARELLE.

Il y avoit un homme qui depuis fix jours eftoit à l'agonie, on ne fçavoit plus que luy ordonner, & tous les remedes ne faifoient rien, on s'avisa à la fin de luy donner de l'hemetique.

D. JUAN.

Il réchapa, n'eft-ce pas ?

SGANARELLE.

Non, il mourut.

D. JUAN.

L'effet eft admirable.

S GANARELLE.

Comment? il y avoit fix jours entiers qu'il ne pouvoit mourir, & cela le fit mourir tout d'un coup. Voulez-vous rien de plus efficace?

D. JUAN.

Tu as raifon.

SGANARELLE.

Mais laiffons-là la Medecine où vous ne croyez point, & parlons des autres chofes: car cét habit me donne de l'efprit, & je me fens en humeur de difputer contre vous. Vous fçavez bien que vous me permettez les difputes, & que vous ne me défendez que les remontrances.

D. JUAN.

Et bien ?

SGANARELLE.

Je veux fçavoir un peu vos penfées à fonds. Eft-il poffible que vous ne croyez point du tout au Ciel?

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Tout de mefme. Et au Diable, s'il vous plaît ?

Oüy, oüy.

D. JUAN.

SGANARELLE.

Auffi peu. Ne croyez-vous point à l'autre vie?

D. JUAN.

Ah, ah, ah.

SGANARELLE.

*

Voila un homme que j'auray bien de la peine à convertir. Et dites-moy un peu, le Moine bourru, qu'en croyez-vous? eh.

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