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protestants, libres sur le sol de leur patrie, avaient lutté pour le Christ et pour le roi? Nous ne hasardons rien en affirmant que les théologiens protestants eussent vaincu le philosophisme sur les bords de la Seine, comme les théologiens anglais le vainquirent sur ceux de la Tamise. Voltaire et ses lieutenants se fussent trouvés en face d'hommes qui eussent, à leur fausse science, opposé une vraie science; ils ne se seraient pas lassés dans cette lutte de l'incrédulité contre le Christ, et là où Voltaire ne trouva que quelques prêtres qu'il immolait à son impitoyable. raillerie, il aurait trouvé des Bocharts qui l'auraient dépouillé de ses oripeaux scientifiques, et des Pierre Du Moulin qui, aussi spirituels que lui, auraient trouvé dans leur carquois quelques-uns de ces traits acérés et mordants dont les blessures lui étaient si cuisantes. Voltaire eût été vaincu, Rousseau l'eût été également, et la royauté, pour se protéger contre le Contrat social, eût eu l'amour profond et inaltérable que les réformés avaient pour leur roi. Fidèles sous des princes persécuteurs, qu'auraient-ils donc été sous des princes bons, justes, équitables? Supprimez, dirons-nous, de l'histoire, la révocation de l'édit de Nantes et laissez debout le régent avec ses folies, Louis XV avec sa vie infàme, Louis XVI avec ses faiblesses de caractère, le char de la révolution se mettra en marche sans doute, nous aurons 1789; mais 1789 n'ira pas s'échouer sur les écueils sanglants et honteux de 1793, et l'échafaud de Louis XVI ne se dressera pas. Il s'est dressé. Qui l'a dressé? Louis XIV.

Au point où nous sommes arrivé de nos récits, l'incrédulité triomphe, et on dirait qu'on entend le glas des funérailles du christianisme dans ces chants ridicules et emphatiques qui retentissent dans les églises en l'honneur de la déesse Raison et de l'Être suprême. Catholicisme et protestantisme sont proscrits, et un peuple en délire, au chant ignoble de son Ça ira, inaugure son nouveau culte en coupant des têtes. Détournons nos regards de ces fêtes sanglantes et arrêtons-les sur l'homme qui, depuis soixante ans, a travaillé sans relâche au relèvement de sa chère Jérusalem, et qui, après l'avoir crue relevée, la voit crouler de nouveau sous le marteau des bonnets rouges du jacobinisme.

XV.

Les derniers jours de Paul Rabaut furent abreuvés de douleurs et d'amertume, et si sa foi n'eût pas été celle qui croit contre toute espérance, il serait descendu dans la tombe avec l'assurance que ce protestantisme auquel il avait consacré sa vie tout entière y descendrait avec lui. Il l'avait vu tour à tour attaqué par la superstition romaine et par l'incrédulité; ses temples, un moment ouverts en 1792, s'étaient fermés bientôt après, et la Convention nationale avait eu, comme l'épiscopat français, ses tables de proscription; et chose douloureuse! le pieux vieillard avait été témoin de l'apostasie d'un grand nombre de ses frères, et chose honteuse! des pasteurs huguenots sétaient, comme le lâche archevêque de Paris, Gobel, coiffe de l'infâme bonnet rouge, ce symbole de l'athéisme et de la licence décorée du nom de liberté. Dieu, dont les voies sont insondables, voulut que son vieux serviteur passi par tous les degrés de l'épreuve; qu'il souffrît comme Français, en voyant sa chère patrie livrée à la plus affres anarchie; comme pasteur, en assistant à la fermeture de ces sanctuaires dont il avait fait la réouverture; comme père, en savourant toutes les amertumes des deuils domestiques.

Ses deux fils Saint-Étienne et Pommier furent nommés membres de la Convention nationale. Dans le procès du roi, Saint-Étienne s'éleva, avec une grande énergie, contre la compétence de l'assemblée. Dans un discours mémorable, il s'écria, en s'adressant à ses collègues: «Huit jours encore, huit jours seulement, et le jugement des siècles va commencer pour vous, sans que ni les ré flexions tardives, ni les vains regrets, ni les retours inutiles sur le passé, puissent vous garantir de ce poids de l'opinion publique, dont la nature est de grossir, de croître et d'accabler enfin ceux qui l'ont accumulé sur leurs têtes.» Puis il s'écriait dans un saint mouvement d'indignation: «Quant à moi, je vous l'avoue, je suis las de ma portion de despotisme; je suis fatigué, harcele, bourrele de la tyrannie que j'exerce pour ma part, et je soupire après le moment où vous aurez créé un tribunal

national qui me fasse perdre les formes et la contenance d'un tyran.>>

Les efforts généreux de Saint-Étienne, pour sauver le descendant des persécuteurs de ses frères, furent inutiles. Le roi, comme le dit M. de Sèze, son défenseur, cherchait parmi les conventionnels des juges et n'y voyait que des accusateurs. L'assemblée se déclara compétente. Saint-Étienne reconnut, avec la presque totalité de ses membres, la culpabilité de l'infortuné monarque; mais il plaida, avec force, en sa faveur les circonstances atténuantes (il y en avait tant!), afin de détourner le glaive fatal de dessus sa tête royale; il demanda l'appel au peuple, il fut rejeté; il se rallia alors à ceux qui demandaient la détention ou le bannissement à la paix. Les conventionnels étaient incertains, la majorité penchait pour cette dernière peine, quand Vergnaud s'élance à la tribune et, dans le plus beau discours qu'il eût encore prononcé, il fait pencher la balance et la mort est votée.

XVI.

L'exécution du roi fut le signal de faire tomber des têtes; le monstre (la Convention) se dévora lui-même; et pendant que tout ce qu'il y avait de noble et de généreux en France, gémissait dans les cachots, montait sur l'échafaud ou défendait les frontières de la France contre l'invasion étrangère, la guillotine était en permanence. Sous le couperet de Sanson, le célèbre exécuteur des hautes œuvres de la Convention, tombèrent tour à tour les têtes des Girondins, des Hébertistes, des Dantonistes, de Robespierre et de ses amis. Saint-Étienne ne pouvait étre oublié; le 2 juin 1792, il fut arrêté; mais il parvint à s'échapper, et se réfugia dans les environs de Versailles. Du fond de sa retraite il écrivit, sous la date du 20 juin, aux citoyens du Gard pour justifier sa conduite et les engager à provoquer un mouvement contre le despotisme de la capitale1: «Si les départements, leur disait-il, ne se prononcent pas avec énergie, c'en est fait de la liberté. Les bons citoyens de Paris les attendent et béniront leurs libéra

1. Haag, France protestante, art. Rabaut Saint-Étienne.

teurs. C'est la France qui doit sauver la France. Marseille et Lyon se sont suffi à elles-mêmes pour écraser l'anarchie: Paris ne peut pas se suffire; sa population immense étra gère à elle-même est facilement trompée, égarée, agitée, portée à tous les mouvements qu'on lui inspire, sans savoir même où on la conduit. On l'échauffe par de fausses terreurs, on la soulève pour du pain, on l'abuse en la flattant, on la trompe en l'enivrant de sa prétendue souveraineté, on l'égare par l'orgueil du nom de Paris; et telle est la faiblesse de cette masse confuse, que des troupes de femmes y font la loi, et font fléchir la force armée, les magistrats et les autorités. >>

Le 28 juillet Saint-Étienne fut mis hors la loi. Fabre d'Églantine découvrit sa retraite et le fit arrêter. On se contenta de constater son identité, et le lendemain de son arrestation (5 décembre) il monta sur l'échafaud. Il en gravit les degrés sans orgueil comme sans faiblesse, et l'homme qui, par sa vocation, était destiné à la potence des Bourbons, plaça sa noble tête sous le couperet des Jacobins.

Quelques jours après, à Nîmes, une femme, assise vant l'une des fenêtres de sa maison, entend un crieur public qui prononce les noms de ceux qui ont été guillo tinés à Paris; elle tend l'oreille, un nouveau nom est prononcé, c'est celui de Saint-Etienne: elle pousse un cri perçant; en moins de temps que nous n'en mettons à l'écrire, sa raison s'égare, elle court à pas précipités dans sa maison, elle voit un puits et s'y précipite; cette infor tunée était l'épouse de Saint-Étienne.

XVII.

Paul Rabaut baissa la tête devant le coup terrible qui le frappait plus cruellement que si sa tête fût tombée, comme celle de son fils bien-aimé, sous le couteau de Sanson. le pleura ainsi que sa belle-fille, et ses larmes furent de celles que Dieu recueille dans ses vaisseaux; sa main paternelle s'était appesantie sur sa tête, le vide se faisait autour de lui, son fils Pommier était enfermé à la Concier gerie et son autre fils Dupuy porté sur la liste des émigrés. La coupe était comble, et bien souvent le vieillard

dut s'écrier: «Jusqu'à quand, Seigneur!» Mais à ces heures de douloureuses angoisses, il dut lever les yeux vers ce ciel qui s'embellit pour le chrétien dans l'épreuve de toutes les souffrances de la terre.

Le pasteur du désert soupirait après son délogement, quand Jean Borie, le représentant du peuple, rendit, le 16 prairial an II (juin 1794), un arrêté qui ordonna à tous les prêtres catholiques et aux ministres protestants de toutes les communes du département du Gard de s'éloigner à vingt lieues de distance des paroisses où ils avaient exercé leur ministère, sous peine d'être déclarés suspects ou traités comme tels. Jean Gachon et Adrien Vincent, pasteurs de l'église de Nîmes, s'éloignèrent de la ville; le consistoire ferma le temple et en remit la clef au receveur de l'enregistrement.1

La terreur rouge régna à Nîmes; les familles furent décimées, nul ne savait la veille ce que le lendemain lui réservait. Paul Rabaut que son grand âge aurait dû faire oublier, fut arraché de sa demeure, et comme il ne pouvait marcher, on le fit transporter sur un âne à la citadelle où une foule éhontée de sans-culottes l'accompagna de ses huées et de ses malédictions. Le vieillard, qui ne s'étonnait plus de rien, n'eut sur ses lèvres ni plaintes, ni murmures; il souffrait, non pour lui, mais pour ces insensés qui déshonoraient la France et qui avaient oublié qu'il y a un Dieu qui tient le van dans sa main, et qui, au grand jour de sa justice, rendra à chacun selon ses œuvres. Le vieillard attendait l'échafaud et s'y préparait quand la mort de Robespierre lui ouvrit, quelques mois après, les portes de sa prison. Il en sortit, et reprit en chancelant le chemin de sa maison vide et déserte. La mort ne le fit pas trop attendre: le 25 septembre 1794, il remit sa belle âme à Dieu. Il avait quatre-vingt-sept ans, et il en avait consacré soixante au service de son Sauveur. Ses restes furent déposés dans sa propre maison, qui abrite aujourd'hui les orphelines du département du Gard.

Au souvenir de cette grande et noble existence, l'historien se sent tout ému, car il est en présence de l'une de ces rares individualités qui commandent l'admiration

1. Borrel, Hist. de l'église réformée de Nîmes, p. 456.

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