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est hic piscis omnium. Les paradoxes de la veille sont les vérités du lendemain. A bon entendeur, salut!

« Un jour peut-être, à la lueur de ma lanterne, tu verras toute la laideur des idoles que tu adores aujourd'hui ; peut-être aussi, par delà l'ombre décroissante, apercevras-tu, dans tout le charme de son immortel sourire, la Liberté, fille de l'Évangile, sœur de la justice et de la pitié, mère de l'égalité, de l'abondance et de la paix. Ce jour-là, ami lecteur, ne laisse pas éteindre la flamme que je te confie; éclaire, éclaire cette jeunesse qui déjà nous presse et nous pousse, en nous demandant le chemin de l'avenir. Qu'elle soit plus folle que ses pères, mais d'une autre façon, c'est là mon vœu et mon espoir.

« Sur ce, je prie Dieu qu'il te garde des ignorants et des sots. Quant aux méchants, c'est ton affaire; la vie est une mêlée, tu es né soldat, défends-toi, ou mieux encore reprends aux Américains la vieille devise de la France: En avant; toujours et partout, en avant!

«< Adieu, ami.

« New-Liberty (Virginia), 4 juillet 1862. »

RENÉ LEFEBVRE.

FIN.

BIBLIOGRAPHIE

POÉSIES D'ANDRÉ CHÉNIER,

Édition critique, par M. L. BECQ DE FOUQUIÈRES 1.

On a dit que la gloire est le concert d'acclamations et de malédictions qui s'élève autour des grands hommes. De ces deux conditions, réputées nécessaires, la seconde a manqué à André Chénier; nulle gloire littéraire n'a été moins contestée. Il semble que sa vie, si éprouvée et si cruellement interrompue, ait épuisé toute l'amertume qui paraît indispensable pour sacrer le grand poëte. Le souvenir de cette mort tragique éveillait d'avance l'intérêt, et quand ses poésies parurent enfin en 1819, la malveillance était désarmée. La critique inintelligente ou hargneuse, qui ne l'eût pas épargné vivant, le laissa prendre possession de sa gloire Sit divus, dum non sit vivus, comme disait un empereur romain de son frère qu'il avait fait tuer, et dont il permettait l'apothéose. Quelque jugement qu'on pût porter sur les opinions politiques d'André Chénier, on savait qu'il les avait servies avec dévoûment, et leur avait donné sa vie. Tout conspirait à le faire accueillir avec bienveillance. Néanmoins cette poésie si originale, cette façon si neuve et si imprévue de comprendre l'antiquité dut choquer ceux qui avaient admiré l'Hector du peu homérique Luce de Lancival et les poëmes antiques de Millevoye. C'était un romantisme d'un nouveau genre, une innovation singulière bien faite pour dérouter les préjugés. Aussi cette gloire, si peu contestée, fut-elle assez lente à se répandre; nous en avons pour preuve le nombre assez restreint des éditions jusqu'au moment où le triomphe définitif de l'école nouvelle fut en même temps celui d'André Chénier. Il convient de ne pas oublier les noms de ceux à qui le public fut redevable de cette laborieuse initiation. Parmi eux, il faut citer d'abord le premier éditeur de ces poésies, M. de Latouche qui, « au premier coup d'œil, dit M. Sainte-Beuve, porta un jugement dont on ne saurait assez lui savoir gré, et qui, en cette occasion, fit un acte de goût original et courageux, ce qui est aussi rare et plus rare encore qu'un acte de courage dans l'ordre civil. »

1. Charpentier, quai de l'École, 28.

Tome XI.-43° Livraison.

27

Il faut citer ensuite et surtout M. Sainte-Beuve lui-même qui, après avoir salué des premiers cette jeune gloire, n'a cessé de la proclamer en toute circonstance; qui l'a défendue avec fermeté quand enfin elle a rencontré un contradicteur; qui l'a accrue même par la découverte de quelques fragments précieux. Cette persistance d'une admiration qui n'a pas faibli un moment depuis plus de trente années, fait honneur au critique encore plus qu'au poëte. Tout d'abord M. SainteBeuve a su comprendre que le dévouement politique d'André Chénier est pour moitié dans sa gloire, même aux yeux de ceux qui se rattachent à des traditions ou à des espérances un peu différentes. C'est là ce que l'auteur de Joseph Delorme lui enviait surtout, alors qu'il regrettait de ne pouvoir porter,

Comme Roland, Charlotte, et le poëte André,

Sa tête radieuse à l'échafaud sacré!

Grâce à ces efforts d'une critique indépendante, André Chénier est devenu un de nos classiques. Ce n'est pas seulement la plus incontestée de toutes nos gloires littéraires, c'est encore la plus aimée. On lui passe tout, et des peintures très-propres à effaroucher les rigoristes, et des invocations éloquentes à la Liberté et à l'Égalité sainte, et un radicalisme philosophique que, pour ma part, je ne saurais partager. D'où vient cette indulgence exceptionnelle? C'est qu'André Chénier est en tout si aimable et si sincère, qu'il devient pour chacun de nous plus qu'un grand artiste, c'est un ami. A-t-on remarqué avec quelle facilité on arrive à nommer par leur prénom soit André, soit Jean-Jacques, en un mot, les écrivains qui ont su toucher notre cœur, plus encore qu'éblouir notre esprit? Il y a des écrivains que l'on respecte, que l'on admire, mais avec lesquels on ne se permettra jamais des familiarités pareilles. Qui connaît le prénom de Bossuet?

Il ne peut plus être question d'apprécier le génie d'André Chénier.

1. La prospérité matérielle ne suffisait pas à A. Chénier, qui, s'adressant à la France et lui montrant l'Angleterre, disait a sa patrie :

Oh! combien tes collines

Tressailliraient de voir réparer tes ruines,

Et pour la liberté donneraient sans regrets
Et leur vin, et leur huile, et leurs belles forêts...

O sainte égalité! dissipe nos ténèbres,

Renverse les verrous, les bastilles funèbres, etc.

Hymne à la France, 1787.

On ne peut que raconter l'histoire de cette renommée si tardive à se produire, et c'est ce que M. Becq de Fouquières a fait dans une notice. bibliographique, qui emprunte à des circonstances tragiques un inté rêt rarement accordé aux sécheresses obligées de la bibliographie. La première des poésies d'André Chénier, publiée de son vivant, est la pièce intitulée le Jeu de paume, à Louis David, peintre, par A. Chénier (1791). Il faut convenir que ce début avait de quoi effrayer les classiques du temps. Quand Chénier aurait eu le dessein arrêté de rompre avec l'ancien régime littéraire aussi brusquement qu'avec l'ancien régime politique, il ne s'y serait pas pris autrement, et je me figure l'effroi de la Harpe, alors des plus ardents parmi les novateurs politiques, quand il trouvait chez André Chénier des rejets dont l'audace dépassait de beaucoup la hardiesse de versification censurée par le critique chez Roucher, des rejets d'une strophe à l'autre, comme celui-ci :

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La Harpe voulait bien alors détruire une monarchie de quatorze siècles, renverser le catholicisme, se coiffer du bonnet rouge en plein lycée; mais détrôner Boileau, c'était trop fort pour lui, et son jacobinisme n'allait pas jusqu'à l'enjambement. Bien d'autres hardiesses devaient le choquer ici. Il est vrai que certaines choses, qui nous semblent un peu baroques et contournées dans ces vers de circonstance, étaient alors très-intelligibles; ainsi cette expression assez obscure : le glaive ami, sauveur de l'esclavage, se trouvait commentée et expliquée par le vers de Lucain, qu'on venait de graver sur les sabres d'officier de la garde nationale: /

Ignorantne datos, ne quisquam serviat, enses,

devise qui, plus tard, fut reprise et traduite en allemand, mais cette fois contre la France, et dans un chant patriotique, sous la plume du patriote prussien Arndt, devint le vers célèbre qui, traduit littéralement, signifie :

Dieu, qui créa le fer, n'a pas voulu d'esclaves!

Mais dans cette pièce d'André Chénier, à côté de ces vers alarmants ou pour le vieux régime ou pour le vieux goût, il s'en trouvait malheureusement d'autres qui pouvaient satisfaire le mauvais goût du temps; par exemple, André Chénier n'avait pas cru pouvoir, au milieu de toutes ces audaces, nommer par son nom le Jeu de paume, et il l'avait désigné sous cette périphrase à la Delille :

Au loin fut un ample manoir,
Où le réseau léger, en élastique égide,
Arme d'un bras souple et nerveux,
Repoussant la balle rapide,

Exerçait la jeunesse en de robustes jeux.

Somme toute, ce début était peu fait pour révéler l'avenir poétique d'André Chénier.

La seconde pièce fut l'Hymne aux Suisses de Châteauvieux, publié dans le Journal de Paris, 15 avril 1792, et suivi d'une note en prose qui en commentait les intentions. Malgré l'amère violence des premiers vers, il faut avouer que la fin présentait des allusions savantes et compliquées, peu propres à être comprises de la foule. Collotd'Herbois les comprit pourtant et en garda le souvenir, ainsi que d'une lettre du poëte Roucher, qu'on lit dans le numéro précédent et qui est dirigée également contre lui. Roucher et André se trouvaient réunis sur la même charrette, qui, le 7 thermidor, les mena à l'échafaud.

Voilà tout ce qui fut publié du vivant d'André Chénier.

Après la mort d'André, Marie-Joseph Chénier devint le dépositaire des manuscrits de son frère. Lié avec les écrivains qui, dans la Décade philosophique, restèrent fidèles à la cause de la liberté sous le Directoire et sous le Consulat, ce fut lui, sans doute, qui leur communiqua deux des plus charmantes pièces d'André, la Jeune Captive, publiée dans le n° du 20 nivôse an III, et la Jeune Tarentine (4 brumaire an X). On peut se demander pourquoi il ne s'est pas fait le premier éditeur des poésies d'André Chénier. Ce n'est point qu'il n'en sentît tout le mérite, et on en a la preuve dans ses beaux vers sur cette noble et triste mémoire, qui avait servi à le calomnier si indignement.

Auprès d'André Chénier avant que de descendre,
J'élèverai la tombe où manquera sa cendre,

Mais où vivront du moins et son doux souvenir,

Et sa gloire, et ses vers dictés pour l'avenir.

Le monument le plus digne d'André eut été le recueil de ces poé

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