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Jean Méyon vo mênèye, éhhé do coboret,

Chambollant et branciant tsi mègue jorret.
Lo brancvin ro hòdii, çò qué n'sé seulot vouâre,
ť'si le vie soulon é l'effet contrare,
Ç'ot poqué not grivois strémet o pi pti brit;
Au pessant lo Gripėye é spiè èlanto d'li,
Quot, to d'in keu é voue è zèye epporète

In gran rvenant to bian qu'li crie : « Errête ! errête ! »

Vo vo l'epossé bé, terto rtone do li...

E pòne pi dire au brèyant espovotè :

« Qu'osqu'om'vlé? qu'osqu'om'vlé? » Vilain soulon je vie

Qu'éť' chaingésse conduite, et m'lo jirie,

Aussi qué t'fare botte enne crèye o drau mo

Qué t'fré tocoue, toci, sevni to sarmot,

Meyon d'hé : « J'vo lo jire, » et n'vi pi ré qu'lè nèye.
Lo brancvin do so vote, ovoue stédi so fèye;

Jean Méyon vers minuit sortit du cabaret,
Chancelant et ployant sur ses maigres jarrets.
L'eau-de-vie rend hardi ceux qui ne se soulent guère,
Mais chez les vieux ivrognes elle fait l'effet contraire,
C'est pourquoi notre grivois tressaillait au plus petit bruit;
En passant le Grippo (1) il regardait autour de lui,

Quand tout à coup il voit à ses yeux apparaître

Un grand revenant tout blanc qui lui crie : « Arrête ! arrête ! » Vous le pensez bien, tout retourna dans lui...

A peine s'il put dire en criant éperdu :

« Que me voulez-vous? que voulez-vous? » Vilain soulard, je veux Que tu changes de conduite et tu vas me le jurer

Aussi bien que de faire mettre une croix au droit du lac

Qui te fera toujours ici souvenir de ton serment. >>>

Mèyon dit : « Je vous le jure, » et ne vit plus rien que la nuit. L'eau-de-vie dans son ventre avait éteint son feu,

(1) Il y avait une très forte côte là où eut lieu l'apparition, et qu'on nommait le Grippo, le lieu où l'on grimpe.

Et cé n'fé mi s'no mau qu'è rgaignié so logi.
Minette, o lo dvine jo, ertè haut dans qu'li.
Quot elle lo vi s'ehhâre, aussi bian qué do chique,
Elle li dmandé corant l'ovoue colique.
« Nian, qué d'hé, ma scoûte : Ç'o lo sau ci fin
D'mé ribotte; ço fâ n'bourrâ pi d'brancvin ! »
C'fé vrâ. E fi grèvè so no, et sou d'sè fomте,
T'si crèye qu'é fi botte ousqué vit lo fantôme.
O dit qué « qui qué bi bourré, » ma Jean Meyon,
Au z'bé d'pé lo sau lo, heuté d'éte in soulon,
Et so qu'en' vouron mi t'si poreule crâre,
In si soupernant, aussi vrâ qu'è lo rare,
Enne crèye d'pire o tolot d'bout po li zi provet
Qu'enne foue è Giraumoè, lo proverbe é bodiet.

Et ce ne fut pas sans mal qu'il regagna son logis.
Minette, on le devine déjà, était de retour avant lui.
Quand elle le vit s'asseoir aussi blanc que du fromage blanc,
Elle lui demanda tout vite s'il avait la colique.

« Non, dit-il, mais écoute-moi : C'est ce soir-ci la fin
De mes ribottes, c'est fini, je ne boirai plus de brandevin. >>
Ce fut vrai.
Il fit graver son nom et celui de sa femme
Sur la croix qu'il fit mettre où il avait vu le fantôme.
On dit que « qui a bu boira. Mais Jean Mèyon,
Aussi bien depuis ce soir-là, cessa d'être un soulard,
Et ceux qui ne voudraient sur ma parole croire
Un fait si surprenant, aussi vrai qu'il est rare,
Une croix en pierre est là debout, pour leur prouver
Qu'une fois à Gérardmer le proverbe a menti.

Origine légendaire de Gérardmer (1).

Les peuples de l'antiquité aimaient à entourer de merveilleuses légendes le berceau de leur enfance; telle est la

(1) Gérardımer-Saison, No 11. Louis DULAC.

tradition de la louve qui allaita Romulus et Rémus, dont un simple élève de sixième connaît les faits et gestes dans ses moindres détails.

Sans avoir de prétentions aussi classiquement établies, Gérardmer n'en possède pas moins son origine mystérieuse. Lisez plutôt la Cinthyperléïade, ou l'oracle de Diane, poème épique en huit chants et trois mille trois cents vers. Cette œuvre poétique fut composée à la fin du siècle dernier par Philippe-Antoine de Chainel, seigneur du Château-sur-Perle, sis près des rives de la riante Vologne, entre Cheniménil et Docelles (1).

Voici la légende expliquant l'origine de Gérardmer telle que l'a conçue le poète dans sa vive imagination :

Les Titans, vaincus en Thessalie par les dieux auxquels ils avaient l'intention de ravir l'Olympe, se réfugièrent dans les Vosges. Après avoir franchi le Rhin, ils résolurent, pour assurer leur défense, d'élever à peu de distance de la rive gauche du fleuve un rempart inexpugnable. Ils formèrent ainsi la chaîne des Vosges, abrupte du côté du Rhin, en pente à l'Ouest, telles que ces montagnes existent encore aujourd'hui. Les dieux les y suivirent, les forcèrent dans leur camp qui se trouvait sur le plateau de Champdray, et les repoussèrent dans le bassin de Gérardmer où ils leur livrèrent bataille.

Les dieux et les déesses, après leur victoire, construisirent le Château-sur-Perle, et c'est là qu'ils s'assemblèrent pour juger leurs prisonniers.

Les quatre chefs des Titans : Typhon, Pélor, Hippolyte et Palibotte, furent condamnés à être enfermés à perpétuité dans des grottes souterraines, où, depuis cette époque, ils échauffent, par leur souffle brûlant, les sources thermales de Bains, Luxeuil, Bourbonne et Plombières. Les prisonniers vulgaires furent employés aux travaux de l'alimentation des forges ou des salines; Neptune construisit les cascades des Vosges; Eole souffla dans ses urnes et souleva une affreuse tempête qui vint fondre sur Gérardmer des

(1) Ce château appartient à M. Boucher père.

quatre coins de l'horizon. Il y eut des tremblements de terre, et trois crevasses s'ouvrirent qui donnèrent naissance aux lacs de Gérardmer, de Longemer et de Retournemer. Des enfants furent métamorphosés en hurlins (petites perches des lacs), et ces poissons se sont perpétués depuis dans les eaux lacustres.

Vénus, en se baignant dans la Vologne, y donna naissance aux perles, jadis si célèbres, qu'a chantées le poète :

La Vologne, vray Gange de la Vôge,
Attire du Prieur et la veüe et l'éloge.
Il y voit se former et les perles (1) et l'or,

Q'on trouve dans son sein, qui brillent sur son bord (2).

Le Charbonnier du Hoheneck (3).

Il est peu d'habitants de Gérardmer qui ne tentent, au moins une fois dans leur vie, l'ascension du Hoheneck, la montagne la plus élevée des environs.

Tout en foulant l'herbe parfumée des hautes chaumes, l'excursionniste peut se faire conter par les schlitteurs la légende du charbonnier du Hoheneck.

Voici cette légende telle que nous l'a contée, près de la Fontaine-de-la-Duchesse, un bûcheron nonagénaire, telle que l'a contée aussi, avant nous, Henri Berthoud.

C'était en 1814, en Janvier, lors de l'invasion des alliés. Un détachement de Cosaques pilla la cabane où vivait le charbonnier du Hoheneck, et tua sa mère et ses trois enfants. Il était absent avec sa femme, lors de cette catastrophe. En voyant, à son retour, ces quatre cadavres et la ruine de tout ce qu'il possédait, il voulut se venger et sauta sur son fusil. Ils sont vingt-deux, dit la femme, tu

(1) Il s'agit de la moule allongée (unio elongata), qu'on ne trouve dans la Vologne qu'au-dessous de son confluent avec le Neuné. Il y avait un garde spécial de ces perles; en 1734, la duchesse régente accorda à Nicolas Pierron, de Fiménil, un brevet l'exemptant des charges, car il était garde des perles de la Vologne depuis trente ans.

(2) Statistique des Vosges, t. II, p. 547.

(3) Gérardmer-Saison, N° 7. Louis DULAC.

ne pourras en tuer qu'un, deux tout au plus; laisse-moi faire, je les tuerai tous. Pendant que tu enterreras ma mère et mes trois enfants, je les vengerai.

Elle récolta, dans un panier, des légumes échappés au pillage, y joignit des racines d'aconit qu'elle alla cueillir dans les ravins du voisinage, et, se dirigeant vers le campement des Cosaques, elle fit si bien que, tout en simulant une grande peur, elle fut arrêtée par eux et conduite au poste, où ils avaient allumé un grand feu et où on préparait à manger.

Feignant une résignation parfaite à son sort de prisonniére, elle s'offrit comme cuisinière et versa dans la marmite ses légumes.

Après quelques heures de cuisson, elle servit elle-même la soupe aux soldats, et s'esquiva aussitôt. Le lendemain, au point du jour, elle conduisait son mari sur la montagne. Il y avait vingt-deux cadavres (1) raidis par la gelée et gisants sur le sol!

Avec les armes et les munitions de ces soldats, le charbonnier et sa femme, en embuscade dans la montagne, continuèrent à venger le meurtre commis par les Cosaques. Avant la création de la route de la Schlucht, on montrait aux voyageurs un vieux sapin qu'il a fallu abattre, et qu'on appelait le livre du charbonnier. Chaque fois qu'il tuait un soldat ennemi, il avait soin d'entailler d'une large coche le tronc de cet arbre, et l'on en comptait soixante-seize !

Les Joueurs de Boules de Fachepremont (2).

Pendant les longues soirées d'hiver, les montagnards aiment à se réunir pour la veillée; les hommes fument

(1) Ils avaient été empoisonnés par le principe toxique renfermé dans la racine de l'aconit, qui est un poison violent (l'aconitine). (2) Gérardmer-Saison, No 12. Louis DULAC.

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