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Gwilherm se releva alors, un peu consolé, et, avant de quitter Rome, il distribua tout son argent aux pauvres, puis il se remit en route vers son pays. Tous ceux qui le voyaient sur leur passage, avec son horrible bête sur la figure, s'éloignaient de lui avec frayeur, et, comme il n'avait plus d'argent, personne ne voulait lui donner l'hospitalité, ni à manger, et il couchait à la belle étoile et ne vivait que d'herbes, de racines et de quelques fruits sauvages qu'il trouvait dans les campagnes

et dans les bois.

Enfin, après des privations et des souffrances inouïes, il arriva dans son pays, les vêtements en lambeaux, la barbe et les cheveux longs et incultes, maigre et décharné, comme un mort sorti de sa tombe au cimetière. Il alla se jeter aux pieds de son père et de sa mère, et les pria de lui pardonner. Les deux vieillards le reconnurent, malgré tout, et le pressèrent sur leur cœur, sans faire attention au crapaud. Alors l'horrible bête se détacha de sa figure, sauta à terre et disparut dans un trou de muraille.

Gwilherm, ses parents et sa femme vécurent ensuite ensemble, dans une union parfaite, et la richesse revint aussi avec l'ordre et l'amour filial.

(Conté par une fileuse de Pluzunet, Côtes-du-Nord, nommée Anna Luër, 1872.)

Ce conte a été également recueilli en Allemagne par les frères Grimm, et la brièveté de leur version me permet de la reproduire intégralement.

« Un jour, un homme était assis devant sa porte, avec sa femme. Ils avaient devant eux un poulet rôti dont ils s'apprêtaient à se régaler. L'homme vit venir de loin son vieux père. Aussitôt il se hâta de cacher le plat, pour n'avoir pas à en donner au vieillard., Celui-ci but seulement un coup et s'en re

tourna.

<< A ce moment, le fils alla chercher le plat pour le mettre sur la table. Mais le poulet rôti s'était changé en un gros crapaud qui lui sauta au visage et s'y attacha pour toujours. Quand on essayait de l'enlever, l'horrible bête lançait sur les gens un regard venimeux, comme si elle allait se jeter dessus, si bien que personne n'osait en approcher. Le fils ingrat était condamné à la nourrir, sans quoi elle lui aurait dévoré la tête, et il passa le reste de ses jours à errer misérablement sur la terre. »

C'est évidemment la même légende que la nôtre et inspirée par la même idée morale; mais elle est moins complète.

Nous lisons encore l'histoire qui suit dans Victor Rossi, autrement dit: Nicius Erythræus, car il avait grécisé son nom, suivant un usage assez commun au moyen âge :

« Un jeune homme de la ville de Tagliacozzo, qui était sur le point de se marier, résolut de chasser son père de la maison et de le reléguer à la campagne. Il craignait que la compagnie du vieillard ne déplût à sa jeune femme. Son père avait plus de cent ans, et était hors d'état de lui résister. Il le fit monter sur un charriot et le mena jusqu'à la porte d'une mauvaise métairie qu'ils avaient dans la campagne : c'était dans cette métairie qu'il voulait l'enfermer.

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Mon fils, dit le vieillard, je sais ce que tu veux faire; mais je ne te demande qu'une chose : c'est de me conduire au moins jusqu'à la table de pierre qui est dans le jardin.

« Le fils conduisit son père jusqu'à la table de pierre, et quand ils y furent arrivés :

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Maintenant, tu peux partir et m'abandonner, dit le vieillard c'est ici qu'autrefois j'ai amené mon père et que je l'ai

abandonné.

<< - Ah ! mon père, s'écria le jeune homme, si j'ai des enfants, c'est donc ici qu'ils m'amèneront, à leur tour!

<< Et alors, ramenant son père à Tagliacozzo, il lui donna la plus belle chambre dans la maison et la place la plus honorable, à son repas de noces. Aussi, Dieu le bénit, et il vécut vieux et respecté.

Je mentionnerai encore, dans le même ordre d'idées, un petit conte des frères Grimm intitulé: Le vieux grand-père et le petit-fils.

II

LE PAIN CHANGÉ EN UNE TÊTE
DE MORT.

Ly avait une fois deux hommes, deux riches cultivateurs de la même paroisse, qui paraissaient être bons amis; et pourtant, en réalité, ils ne souhaitaient guère de bien l'un à l'autre. L'un s'appelait François Caboco, et l'autre Hervé Kerandouf.

François Caboco dit un jour à Hervé Kerandouf:

N'iras-tu pas, lundi, à la foire de la RocheDerrien ?

Si vraiment, répondit Hervé; j'ai un poulain à acheter, et j'irai à la foire pour voir si je trouverai ce qu'il me faut.

Eh bien moi aussi; j'ai besoin d'une vache, et si tu veux, nous irons ensemble, reprit Caboco. - Je ne demande pas mieux.

Alors, je passerai par chez toi, de bon matin, lundi.

C'est entendu; mais viens un peu avant le jour, afin que nous arrivions de bonne heure à la foire.

C'est bien; j'arriverai un peu avant le jour. Le lundi matin donc, François Caboco heurtait de son bâton à la porte de Hervé Kérandouf, avant que le soleil fût levé, et ils prirent ensemble le chemin de la Roche-Derrien. Comme ils gravissaient la grande côte de Berlinkenn, avant qu'il fît encore bien clair, car c'était au mois de novembre, où les jours sont si courts, Caboco tira tout à coup son couteau de sa poche, l'ouvrit et dit à Kerandouf :

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Fais ta dernière prière, car tu es au moment de perdre la vie !

Est-il possible que tu veuilles me tuer de

cette façon, François Caboco?

Mais aussitôt, sans dire un mot de plus, le

méchant le frappa au cœur et le tua raide. Puis il lui prit son argent dans sa bourse et, après avoir traîné son corps dans la douve, au bord du chemin, il continua sa route.

Mais, à partir de ce moment, une grosse mouche vint voltiger et bourdonner autour de sa tête, et il avait beau la chasser, elle revenait toujours obstinément, et il ne pouvait s'en débarrasser. Il se mettait en colère et jurait comme un diable; mais c'était bien en vain : la mouche le poursuivait toujours, voltigeant et bourdonnant autour de sa tête. Cela lui parut singulier.

Il arriva à la Roche-Derrien et acheta un beau poulain, avec l'argent qu'il avait volé à Kérandouf, puis, sans s'arrêter davantage en ville, il reprit la route de la maison. La mouche le poursuivait toujours, et, durant toute la journée, elle n'avait pas cessé un seul moment de voltiger, en bourdonnant, autour de sa tête. La nuit même elle ne le quitta pas, et il ne dormit goutte. Alors il commença à avoir peur ; il se disait :

C'est sans doute l'âme de Hervé Kerandouf ! Si elle me poursuit ainsi le reste de mes jours, je serai bien malheureux !

Le lendemain, il vaqua à ses occupations ordinaires, alla travailler aux champs, et la mouche le suivait toujours, et il ne pouvait l'atteindre, malgré tous ses efforts. Le jour suivant, ce fut

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