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Il fit connaître à Port-Royal sa passion plutôt que son talent pour les vers, par sept odes qu'il composa sur les beautés champêtres de sa solitude, sur les bâtiments de ce monastère, sur le paysage, les prairies, les bois, l'étang, etc. 1. Le hasard m'a fait trouver ces odes, qui n'ont rien d'intéressant, même pour les personnes curieuses de tout ce qui est sorti de la plume des écrivains devenus fameux : elles font seulement voir qu'on ne doit pas juger du talent d'un jeune homme par ses premiers ouvrages. Ceux qui lurent alors ces odes ne purent pas soupçonner que l'auteur deviendrait dans peu l'auteur d'Andromaque.

Il était, à cet âge, plus heureux dans la versification latine que dans la française; il composa quelques pièces en vers latins, qui sont pleines de feu et d'harmonie. Je ne rapporterai pas une élégie sur la mort d'un gros chien qui gardait la cour de Port-Royal, à la fin de laquelle il promet par ses vers l'immortalité à ce chien, qu'il nomme Rabotin.

Semper honor, Rabotine, tuus, laudesque manebunt;
Carminibus vives tempus in omne meis.

On jugera mieux de ses vers latins par la pièce suivante, que je ne donne pas entière, quoique dans l'ouvrage d'un poëte de quatorze ans tout soit excusable2.

O qui perpetuo moderaris sidera motu, « Fulmine qui terras imperioque regis,

AD CHRISTUM

& Summe Deus, magnum rebus solamen in arctis,
« Una salus famulis præsidiumque tuis, >>
Sancte parens, facilem præbe implorantibus aurem,
Atque humiles placida suscipe mente preces;
Huc adsis tantum, et propius res aspice nostras,
«Leniaque afflictis lumina mitte locis. »
Hanc tutare domum, quæ per discrimina mille,
Mille per insidias vix superesse potest.
Apice ut infandis jacet objectata periclis,
Ut timet hostiles irrequieta manus.
Nulla dies terrore caret, finemque timoris
Innovat infenso major ab hoste metus.
Undique crudelem conspiravere ruinam,

Et miseranda parant vertere tecta solo.
Tu spes sola, Deus, miseræ. Tibi vota precesque
Fundit in immensis nocte dieque malis.

« Quem dabis æterno finem, rex magne, labori?
«Quis dabitur bellis invidiæque modus?

« Nullane post longos requies speranda tumultus?

« Gaudia sedato nulla dolore manent?
« Siene adeo pietas vitiis vexatur inultis?
<< Debita virtuti præmia crimen habet. »
Aspice virgineum castis penetralibus agmen,
Aspice devotos, sponse benigne, choros.
Hic sacra illæsi servantes jura pudoris,

Te veniente die, te fugiente vocant.
Celestem liceat sponsum superare precando:
Fas sentire tui numina magna patris.
Huc quoque nos quondam tot tempestatibus acto:
Abripuit flammis gratia sancta suis.

Ast eadem insequitur mæstis fortuna periclis:
Ast ipso in portu sæva procella furit.
Pacem, summe Deus, pacem te poscimus omnes;
Succedant longis paxque diesque malis.

Te duce disruptas pertransiit Israël undas :
Hos habitet portus, te duce, vera salus.
«Hic nemora, hic nullis quondam loca cognita muris,
"Hic horrenda tuis laudibus antra sonant.

«Hue tua dilectas deduxit gratia turmas,

« Hine ne unquam Stygii moverit ira noti. »

En parlant des ouvrages de sa première jeunesse, qu'on peut appeler son enfance, je ne dois point oublier sa traduction des hymnes des féries du Bréviaire romain. Boileau disait qu'il l'avait faite à Port-Royal, et que M. de Sacy, qui avait traduit celles des dimanches et de toutes les fêtes pour les Heures de Port-Royal, en fut jaloux; et voulant le détourner de faire des vers, lui représenta que la poésie n'était point son talent. Ce que disait Boileau demande une explication. Les hymnes des féries imprimées dans le Bréviaire romain, traduit par M. Le Tourneux, ne sont pas certainement l'ouvrage d'un jeune homme; et celui qui faisait les odes sur les bois, l'étang et le paysage de Port-Royal, n'était pas encore capable de faire de pareils vers. Je ne doute pas cependant qu'il ne soit auteur de la traduction de ces hymnes; mais il faut qu'il les ait traduites dans un âge avancé, ou qu'il les ait depuis retouchées avec tant de soin, qu'il en ait fait un nouvel ouvrage. On lit, en effet, dans les Hommes illustres de M. Perrault, que, longtemps après les avoir composées, il leur donna la dernière perfection. La tra

1. Ces odes se trouvent dans cette édition. Elles sont d'un grand intérêt, puisqu'elles offrent le point d'où Racine est parti pour arriver jusqu'à Athalie.

2. Il y a encore ici une erreur sur l'âge de Racine, erreur qu'il est facile de rectifier, d'après notre observation précédente. Nous croyons devoir citer la pièce entière, en plaçant des guillemets aux vers que Louis Racine avait supprimés.

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duction du Bréviaire romain fut condamnée par l'archevêque de Paris, pour des raisons qui n'avaient aucun rapport à la traduction de ces hymnes. Cette condamnation donna lieu dans la suite à un mot que rapportent plusieurs personnes, et que je ne garantis pas. Le roi, dit-on, exhortait mon père, à faire quelques vers de piété : « J'en ai voulu faire, répondit-il, on les a condamnés. >>

Il ne fut que trois ans à Port-Royal; et ceux qui savent combien il était avancé dans les lettres grecques et latines n'en sont point étonnés, quand ils font réflexion qu'un génie aussi vif que le sien, animé par une grande passion pour l'étude, et conduit par d'excellents maîtres, marchait rapidement. Au sortir de Port-Royal, il vint à Paris, et fit sa logique au collège d'Harcourt, d'où il écrivit à un de ses amis:

Lisez cette pièce ignorante,

Où ma plume si peu coulante
Ne fait voir que trop clairement,
Pour vous parler sincèrement,

Que je ne suis pas un grand maître.
Hélas! comment pourrais-je l'être!
Je ne respire qu'arguments;

Ma tête est pleine à tous moments
De majeures et de mineures, etc.

En 1660, le mariage du roi ouvrit à tous les poëtes une carrière dans laquelle ils signalèrent à l'envi leur zèle et leurs talents. Mon père, très-inconnu encore, entra comme les autres dans la carrière, et composa l'ode intitulée la Nymphe de la Seine. Il pria M. Vitart, son oncle, de la porter à Chapelain2, qui présidait alors sur tout le Parnasse, et par sa grande réputation poétique, qu'il n'avait point encore perdue, et par la confiance qu'avait en lui M. Colbert pour ce qui regardait les lettres. Chapelain découvrit un poëte naissant dans cette ode qu'il loue beaucoup, et parmi quelques fautes qu'il y remarqua, il releva la bévue du jeune homme, qui avait mis des Tritons dans la Seine. L'auteur, honoré des critiques de Chapelain, corrigea. son ode; et la nécessité de changer une stance pour réparer sa bévue le mit en très-mauvaise humeur contre les Tritons, comme il paraît par une de ses lettres. Chapelain le prit en amitié, lui offrit ses avis et ses services, et non content de les lui offrir, parla de lui et de son oncle si avantageusement à M. Colbert, que ce ministre lui envoya cent louis de la part du roi, et peu après le fit mettre sur l'état pour une pension de six cents livres en qualité d'homme de lettres. Les honneurs soutiennent les arts. Quel sujet d'émulation pour un jeune homme, très-inconnu au public et à la cour, de recevoir de la part du roi et de son ministre une bourse de cent louis! et quelle gloire pour le ministre qui sait découvrir les talents qui ne commencent qu'à naître, et qui ne connaît pas encore celui même qui les possède!

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composa en ce même temps un sonnet qui, quoique fort innocent, lui attira, aussi bien que son ode, de vives réprimandes de Port-Royal, où l'on craignait beaucoup pour lui sa passion démesurée pour les vers. On eût mieux aimé qu'il se fût appliqué à l'étude de la jurisprudence, pour se rendre capable d'être avocat, ou que du moins il eût voulu consentir à accepter quelqu'un de ces emplois qui, sans conduire à la fortune, procurent une aisance de la vie capable de consoler de l'ennui de cette espèce de travail, et de la dépendance plus ennuyeuse encore que le travail. Il ne voulait point entendre parler d'occupations contraires au génie des Muses; il n'aimait que les vers, et craignait en même temps les réprimandes de Port-Royal. Cette crainte était cause qu'il n'osait montrer ses vers à personne, et qu'il écrivait à un ami : « Ne pouvant vous consulter, j'étais prêt à consulter, comme Malherbe, une vieille servante qui est chez nous, si je ne m'étais aperçu qu'elle est janséniste comme son maître, et qu'elle pourrait me déceler, ce qui serait ma ruine entière, vu que je reçois tous les jours

1. Elle fut condamnée uniquement comme version en langue vulgaire. Ces hymnes sont recueillies dans cette

édition.

2. Nicolas Vitart, oncle de Jean Racine, mourut en 1641. Ce ne fut donc pas lui qui porta à Chapelain, en 1660, l'ode intitulée la Nymphe de la Seine, mais bien son fils, intendant de la maison de Chevreuse. Ce fils était cousin germain de Jean Racine, qui lui adressa plusieurs lettres que l'on trouve dans sa correspondance,

lettres sur lettres, ou plutôt excommunications sur excommunications à cause de mon triste sonnet. » Voici ce triste sonnet; il le fit pour célébrer la naissance d'un enfant de madame Vitart, sa tante :

Il est temps que la nuit termine sa carrière :

Un astre tout nouveau vient de naître en ces lieux;
Déjà tout l'horizon s'aperçoit de ses feux,

Il échauffe déjà dans sa pointe première.

Et toi, fille du jour, qui nais devant ton père,
Belle Aurore, rougis, où te cache à nos yeux :
Cette nuit un soleil est descendu des cieux
Dont le nouvel éclat efface ta lumière.

Toi qui dans ton matin parais déjà si grand,
Bel astre, puisses-tu n'avoir point de couchant!
Sois toujours en beautés une aurore naissante.

A ceux de qui tu sors puisses-tu ressembler!
Sois digne de Daphnis et digne d'Amaranthe:
Pour être sans égal, il les faut égaler.

Ce sonnet, dont il était sans doute très-content à cause de la chute, et à cause de ce vers, Fille du jour, qui nais devant ton père, prouve, ainsi que les strophes des odes que j'ai rapportées, qu'il aimait alors ces faux brillants, dont il a été depuis si grand ennemi. Les principes du bon goût, qu'il avait pris dans la lecture des anciens et dans les leçons de Port-Royal, ne l'empêchaient pas, dans le feu de sa première jeunesse, de s'écarter de la nature, dont il s'écarte encore dans plusieurs vers de la Thébaïde. Boileau sut l'y ramener.

Il fut obligé d'aller passer quelque temps à Chevreuse, où M. Vitart, intendant de cette maison, et chargé de faire faire quelques réparations au château, l'envoya, en lui donnant le soin de ces réparations. Il s'ennuya si fort de cette occupation et de ce séjour, qui lui parut une captivité, qu'il datait les lettres qu'il en écrivait, de Babylone. On en trouvera deux parmi celles de sa jeunesse.

On songea enfin sérieusement à lui faire prendre un parti; et l'espérance d'un bénéfice le fit résoudre à aller en Languedoc, où il était à la fin de 1664, comme il paraît par la lettre qu'il écrivit à La Fontaine, et par celle-ci, datée du 17 janvier 1662, dans laquelle il écrivit à M. Vitart:

Je passe mon temps avec mon oncle, saint Thomas et Virgile. Je fais force extraits de théologie, et quelques-uns de poésie. Mon oncle a de bons desseins pour moi; il m'a fait habiller de noir depuis les pieds jusqu'à la tête : il espère me procurer quelque chose. Ce sera alors que je tâcherai de payer mes dettes. Je n'oublie point les obligations que je vous ai : j'en rougis en vous écrivant : Erubuit puer, salva res est. Mais cette sentence est bien fausse; mes affaires n'en vont pas mieux. »

Pour être au fait de cette lettre et de celles qu'on trouvera à la suite de ces Mémoires, il faut savoir qu'il avait été appelé en Languedoc par un oncle maternel, nommé le père Sconin, chanoine régulier de Sainte-Geneviève, homme fort estimé dans cette congrégation, dont il avait été général, et qui avait beaucoup d'esprit. Comme il était inquiet et remuant, dès que le temps de son généralat fut expiré, pour s'en défaire on l'envoya à Uzès, où l'on avait joint pour lui le prieuré de Saint-Maximin à un canonicat de la cathédrale: il était, outre cela, official et grand vicaire. Ce bon homme était tout disposé à résigner son bénéfice à son neveu; mais il fallait être régulier; et le neveu, qui aurait fort aimé le bénéfice, n'aimait point cette condition, à laquelle cependant la nécessité l'aurait fait consentir, si tous les obstacles qui survinrent ne lui eussent fait connaître qu'il n'était pas destiné à l'état ecclésiastique.

Par complaisance pour son oncle, il étudiait la théologie; et en lisant saint Thomas, il lisait aussi l'Arioste, qu'il cite souvent, avec tous les autres poëtes, dans ses premières lettres adressées à un jeune abbé Le Vasseur, qui n'avait pas plus de vocation que lui pour l'état ecclésiastique, dont il quitta l'habit dans la suite. Dans ces lettres, écrites en toute liberté, il

rend compte à son ami de ses occupations et de ses sentiments, et ne fait paraître de passion que pour l'étude et les vers. Sa mauvaise humeur contre les habitants d'Uzès, qu'il pousse un peu trop loin, semble venir de ce qu'il est dans un pays où il craint d'oublier la langue française, qu'il avait une extrême envie de bien posséder. Je juge de l'étude particulière qu'il en faisait, par des remarques écrites de sa main sur celles de Vaugelas, sur la traduction de Quinte-Curce, et sur quelques traductions de d'Ablancourt. On voit encore par ces lettres qu'il fuyait toute compagnie, et surtout celle des femmes, aimant mieux la compagnie des poëles grecs. Son goût pour la tragédie lui en fit commencer une dont le sujet était Théagène et Chariclée. Il avait conçu dans son enfance une passion extraordinaire pour Héliodore: il admirait son style et l'artifice merveilleux avec lequel sa fable est conduite. Il abandonna enfin cette tragédie, dont il n'a rien laissé, ne trouvant pas vraisemblablement que des aventures romanesques méritassent d'être mises sur la scène tragique. Il retourna à Euripide, et y prit le sujet de la Thébaïde, qu'il avança beaucoup, en même temps qu'il s'appliquait à la théologie.

Quoique alors la plus petite chapelle lui parût une fortune, las enfin des incertitudes de son oncle, et des obstacles que faisait renaître continuellement un moine nommé dom Cosme, dont il se plaint beaucoup dans ses lettres, il revint à Paris, où il fit connaissance avec Molière, et acheva la Thébaide.

Il donna d'abord son ode intitulée la Renommée aux Muses, et la porta à la cour, où il fallait qu'il eût quelques protecteurs, puisqu'il dit dans une de ses lettres : « La Renommée a été assez heureuse; M. le comte de Saint-Aignan la trouve fort belle je ne l'ai pas trouvé au lever du roi, mais j'y ai trouvé Molière, à qui le roi a donné assez de louanges. J'en ai été bien aise pour lui, et il a été bien aise aussi que j'y fusse présent. » On peut juger par ces paroles que le jeune roi aimait déjà à voir les poëtes à sa cour. Il fit payer à mon père une gratification de six cents livres, pour lui donner le moyen de continuer son application aux belles-lettres, comme il est dit dans l'ordre signé par M. Colbert, le 26 août 1664.

La Thébaïde fut jouée la même année; et comme je ne trouve rien qui m'apprenne de quelle manière elle fut reçue, je n'en dirai rien davantage. Je ne dois parler ici qu'historiquement de ses tragédies, et presque tout ce que j'en puis dire d'historique se trouve ailleurs1. Je laisse aux auteurs de l'Histoire du Théâtre-Français le soin de recueillir ces particularités, dont plusieurs sont peu curieuses, et toutes fort incertaines, parce qu'il n'en a rien raconté dans sa famille; et je ne suis pas mieux instruit qu'un autre de ce temps de sa vie dont il ne parlait jamais.

Le jeune Despréaux, qui n'avait que trois ans plus que lui, était connu de l'abbé Le Vasseur, qui lui porta l'ode de la Renommée, sur laquelle Despréaux fit des remarques qu'il mit par écrit. Le poëte critiqué trouva les remarques très-judicieuses, et eut une extrême envie de connaitre son critique. L'ami commun lui en procura la connaissance, et forma les premiers nœuds de cette union si constante et si étroite, qu'il est comme impossible de faire la vie de l'un sans faire la vie de l'autre. J'ai déjà prévenu que je rapporterais de celle de Boileau les particularités que ses commentateurs n'apprennent point, ou n'apprennent qu'imparfaitement, parce qu'ils n'étaient pas mieux instruits.

Il n'était point né à Paris, comme on l'a toujours écrit, mais à Crône, petit village près Villeneuve-Saint-Georges: son père y avait une maison, où il passait tout le temps des vacances du palais; et ce fut le 1er novembre 1636 que ce onzième enfant y vint au monde. Pour le distinguer de ses frères, on le surnomma Despréaux, à cause d'un petit pré qui était au bout du jardin. Quelque temps après, une partie du village fut brûlée, et les registres de

1. Il est dit dans le Nécrologe de Port-Royal, que, « lié avec les savants solitaires qui habitaient le désert de Port-Royal, cette solitude lui fit produire la Thébaide. » Ces paroles, que les auteurs de l'Histoire des Theatres rapportent avec surprise, ne prouvent que la simplicité de celui qui a écrit cet article, et qui n'ayant jamais, selon les apparences, lu de tragédie, s'est imaginé, à cause de ce titre, la Thébaïde, que celle-ci avait quelque rapport à une solitude. Il se trompe aussi quand il dit que cette tragédie fut commencée à Port-Royal,

l'église ayant été consumés dans cet incendie, lorsque Boileau, dans le temps qu'on recherchait les usurpateurs de la noblesse, en vertu de la déclaration du 4 septembre 1696, fut injustement attaqué, il ne put, faute d'extrait baptistaire, prouver sa naissance que par le registre de son père. Il eut à souffrir dans son enfance l'opération de la taille, qui fut mal faite, et dont il lui resta pour toute sa vie une très-grande incommodité. On lui donna pour logement dans la maison paternelle une guérite au-dessus du grenier, et quelque temps après on l'en fit descendre, parce qu'on trouva le moyen de lui construire un petit cabinet dans ce grenier, ce qui lui faisait dire qu'il avait commencé sa fortune par descendre au grenier; et il ajoutait dans sa vieillesse qu'il n'accepterait pas une nouvelle vie, s'il fallait la commencer encore par une jeunesse aussi pénible. La simplicité de sa physionomie et de son caractère faisait dire à son père, en le comparant à ses autres enfants : « Pour Colin, ce sera un bon garçon qui ne dira mal de personne. »

Après ses premières études, il voulut s'appliquer à la jurisprudence; il suivit le barreau, et même plaida une cause, dont il se tira fort mal. Comme il était près de la commencer, le procureur s'approcha de lui pour lui dire : « N'oubliez pas de demander que la partie soit interrogée sur faits et articles. Et pourquoi, lui répondit Boileau, la chose n'est-elle pas déjà faite? Si tout n'est pas prêt, il ne faut donc pas me faire plaider. » Le procureur fit un éclat de rire, et dit à ses confrères : « Voilà un jeune avocat qui ira loin; il a de grandes dispositions. » Il n'eut pas l'ambition d'aller plus loin: il quitta le palais, et alla en Sorbonne; mais il la quitta bientôt par le même dégoût. Il crut, comme dit M. de Boze dans son Éloge historique, y trouver encore la chicane sous un autre habit. Prenant le parti de dormir chez un greffier la grasse matinée, il se livra tout entier à son génie, qui l'emportait vers la poésie; et lorsqu'on lui représenta que, s'il s'attachait à la satire, il se ferait des ennemis qui auraient toujours les yeux sur lui, et ne chercheraient qu'à le décrier: « Eh bien! répondit-il, je serai honnête homme, et je ne les craindrai point. »>

Il prit d'abord Juvénal pour son modèle, persuadé que notre langue était plus propre à imiter la force de ce style que l'élégante simplicité du style d'Horace. Il changea bientôt de sentiment. Sa première satire fut celle-ci : Damon, ce grand auteur, etc. Il la fit tout entière dans le goût de Juvénal; et pour en imiter le ton de déclamation, il la finissait par la description des embarras de Paris. Il s'aperçut que la pièce était trop longue, et devenait languissante; il en retrancha cette description, dont il fit une satire à part. Son second ouvrage fut la satire qui est aujourd'hui la septième dans le recueil de ses œuvres: Muse, changeons de style, etc. Après celle-ci il en adressa une à Molière, et fit son Discours au Roi. Ensuite il entreprit la satire du festin et celle sur la noblesse, travaillant à toutes les deux en même temps, et imitant Juvenal dans l'une et Horace dans l'autre. Ses ennemis débitèrent que dans la satire sur la noblesse, il avait eu dessein de railler M. de Dangeau. Il n'en eut jamais la pensée. Il l'adressait d'abord à M. de La Rochefoucauld; mais trouvant que ce nom, qui devait revenir plusieurs fois, n'avait pas de grâce en vers, il prit le parti d'adresser l'ouvrage à M. de Dangeau, le seul homme de la cour, avec M. de La Rochefoucauld, qu'il connût alors.

'La satire du festin eut pour fondement un repas qu'on lui donna à Château-Thierry, où il était allé se promener avec La Fontaine, qui ne fut pas du repas, pendant lequel le lieutenant général de la ville lâcha ces phrases: « Pour moi, j'aime le beau français... Le Corneille est quelquefois joli. » Ces deux phrases donnèrent au poëte, mécontent peut-être de la chère, l'idée de la description d'un repas également ennuyeux par l'ordonnance et par la conversation des convives. Il composa ensuite la satire à M. Le Vayer, et celle qu'il adresse à son esprit. Celle-ci fut très-mal reçue lorsqu'il en fit les premières lectures. Il la lut chez M. de Brancas, en présence de madame Scarron, depuis madame de Maintenon, et de madame de La Sablière. La pièce fut si peu goûtée qu'il n'eut pas le courage d'en finir la lecture. Pour se

1. Boileau, qui avait quelques obligations à Brossette, à cause d'une rente à Lyon qu'il lui faisait payer, lui donnait quelques éclaircissements sur ses ouvrages, quand il les lui demandait; mais Brossette, n'ayant pas vécu avec lui familièrement, n'a pas été instruit de tout, et son commentaire où il y a de bonnes choses est fort imparfait.

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