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courage; Tegami, surtout, a marché vers la guillotine la cigarette aux lèvres.

Revenons maintenant au cerveau des criminels. La plupart des auteurs semblent admettre une infériorité de poids, mais cette infériorité est inconstante et minime. Ce qui fait, conclut Fallot, que, étudié au point de vue unique du poids, l'encéphale des criminels ne présente rien de bien particulier ni bien caractéristique. Les anomalies observées sur les circonvolutions et les scissures ne sont pas non plus constantes et spéciales aux seuls criminels. Ce sont plutôt des signes de régression. Par contre, Ferraz do Macedo (1), de Lisbonne, a fait une constatation assez curieuse. Sur deux cent-quinze individus examinés, il a rencontré quarante-trois fois, soit 20 p. 100, l'absence de commissure grise du troisième ventricule. Dans chacun de ces cas, sans exception, l'enquête a démontré que l'individu sans commissure présentait les caractères psychologiques suivants : versatilité d'opinions, instabilité du caractère, turbulence publique et domestique, insolence et grossièreté, ingratitude, défaut de réflexion et de circonspection: en un mot, manque de bon sens et d'harmonie psychique. Au contraire, les individus pourvus de la commissure grise auraient été constamment doués des qualités opposées aux défauts ci-dessus. Enfin, une autre particularité curieuse est qu'aucun des quarante-trois individus masculins privés de commissure n'a eu d'enfants.

En somme, pas plus le cerveau que le crâne des criminels ne présente de signe spécifique évident de criminalité.

Aussi, A. Baer (2) conclut, d'une façon trop catégorique et trop absolue, à mon avis, qu'il est impossible d'admettre une relation quelconque entre la formation du crâne et la moralité, les déformations craniennes et la criminalité ».

(1) V. Ferraz DO MACEDO. De l'encéphale humain avec et sans commissure grise. Essai synthétique d'observations anatomo-psychiques post mortem et leurs relations avec la criminalité. Brochure présentée au Congrès international de l'Anthropologie criminelle tenu à Paris en 1889, p. 4.

(2) Der Verbrecher in antropologischer Beziehung (Le criminel au point de vue anthropologique).

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Les criminels ont-ils une physionomie spéciale caractéristique? Non. Mais on ne peut nier pourtant qu'on rencontre, chez un certain nombre d'entre eux, une série de facies qui présentent bien des traits de ressemblance, quand on prend la peine de les examiner de près, comme je l'ai fait pour plusieurs milliers de détenus à la prison de la Santé.

A vultu vitium, disaient les Latins, et le vieux proverbe toscan nous dit à son tour: il ciuffo e nel ceffo. En effet, le visage peut être plus ou moins le miroir de l'âme et refléter les passions, les vices ou les qualités d'un individu. Mais est-ce bien ce reflet de l'âme sur le visage qui constitue la vraie physionomie du criminel? Dans un certain nombre de cas: non. Tel filou pourra, par habitude de la dissimulation, prendre des altitudes cafardes; tous ses mouvements seront pleins de réticence et, quoi qu'il fasse, son regard oblique et faux annoncera l'hypocrisie et le mensonge. C'est là un effet de mimique, de mimique voulue. Or, comme le fait justement remarquer G. Dupuy (1), la mimique s'exerce automatiquement, en dehors de la volonté. Quand la volonté intervient pour modifier la physionomie, elle ne fait que la fausser, la dissocier; elle rompt son harmonie.

Le criminel prend, malgré lui, une physionomie en rapport avec ses habitudes, ses passions, ses sentiments. Il en est de même chez l'aliéné (2). En effet, la physionomie, chez l'aliéné comme chez l'homme sain, conserve ses rapports de concordance avec les sentiments qui la provoquent et qu'elle exprime. Mais, comme ces sentiments sont excessifs, injustifiés ou intempestifs, leurs modifications seront aussi excessives, injustifiées ou intempestives.

Mais, plus que la mimique, ce qui donne au visage du criminel un aspect particulier, ce sont précisément toutes ces

(1) Essai sur les mimiques voulues. Thèse de Lyon.

(2) Voir P. FARABOEUF. La physionomie chez les aliénés. Thèse de Paris.

malformations, tous ces stigmates de dégénérescence physique dont j'ai déjà parlé et qu'on retrouve, chez lui avec une fréquence si remarquable. Ce qui frappe, c'est ce crâne si souvent mal fait, cette tête plagiocéphale, oxycéphale, acrocéphale; c'est ce front fuyant, ce nez difforme ou tordu, cette face glabre et asymétrique, ces yeux strabiques, ces oreilles larges, en anses, mal ourlées, avec des lobules énormes, souvent adhérents; ce qui frappe encore, ce sont ces arcades orbitaires saillantes, ces cheveux souvent noirs et abondants qui s'avancent sur un front bas (1); ce sont ces zygomes énormes, qui donnent à la face une apparence brutale et grossière, ces mâchoires lourdes et prognathes qui ne semblent propres qu'à la morsure et à la mastication. Les mâchoires, en effet, semblent s'alourdir avec l'intelligence; << elles sont d'autant plus belles, dit Tarde, que les deux fonctions sociales de parler et de sourire l'emportent davantage en elles sur les deux fonctions individuelles de mordre et de mâcher ». C'est donc de la réunion d'un certain nombre de ces différents caractères que naît le type criminel, non un type de famille, un type de race, mais un type accidentel, un << type aberrant », selon l'expression de Ch. Debierre.

IV. LE TYPE CRIMINEL DANS L'ART.

Il y aurait ici une curieuse étude d'esthétique criminelle à II faire. Comment les peintres et les sculpteurs ont-ils rendu l'image des criminels célèbres? Retrouve-t-on dans ces portraits quelques-uns des caractères que je viens d'énumérer ? Il est évident que si l'artiste évoque un personnage disparu depuis longtemps, il n'obéira probablement qu'à son imagination et à sa fantaisie, et on ne rencontrera peut-être dans son œuvre aucun des caractères du criminel tel que le conçoivent les anthropologistes contemporains. Mais cependant,

(1) Ottolenghi a étudié la canitie et la calvitie chez les criminels; il leur a trouvé un retard énorme, qui ne trouve son homologue que chez les épileptiques et les crétins.

s'il est observateur, il aura pu voir des criminels, et alors, même dans ce cas, il pourra sortir de son pinceau un type plus ou moins parfait de criminel ou de dégénéré.

L'étude attentive des œuvres d'art qu'on rencontre dans les principaux musées d'Europe confirme cette dernière hypothèse.

Comme le fait justement remarquer E. Lefort (1), les artistes de tous les temps ont eu cette idée pour guide, qu'à la laideur de l'âme devait correspondre celle du corps; que l'homme coupable, le criminel, devait avoir une physionomie étrange, repoussante, et qui inspirât la méfiance. Aussi les peintres des écoles italienne, flamande, espagnole et française, dont E. Lefort a étudié minutieusement les toiles, sont tous arrivés empiriquement à la création d'un type, dont les grands caractères sont la face très large pour un crâne généralement petit, quelquefois en pain de sucre, ou très développé dans la région cérébrale postérieure. Le front fuit en arrière, s'aplatit même, limité en bas par le double arc des sourcils. Les yeux sont disymétriques, saillants, ronds, le regard dur et fixe ou vitreux. Les joues, épaisses, doublées d'apophyses zygomatiques énormes, font disparaître la saillie du nez, qui est lui-même aplati, renflé par son milieu, tordu de côté. Le lobule, écrasé, est quelquefois tombant, les mâchoires prognathes, la bouche le plus souvent tirée aux coins et en bas, entourée de lèvres épaisses, renversées en dehors, le menton très fort et carré. Les oreilles sont en anse, mal faites, l'extrémité supérieure terminée en pointe, le lobule peu détaché ou carré, les cheveux abondants, pas de trace de barbe. Les statuaires de nos cathédrales ont représenté pareillement leurs damnés et leurs démons.

Comme on voit, ce type présente un certain nombre d'analogies avec celui décrit par Lombroso. Voyez dans la toile du Titien, le Christ couronné d'épines, le soldat qui s'essaie avec un bâton à enfoncer la couronne sur la tête de Jésus : il a le crâne carré, la face disymétrique, la partie supérieure exprimant l'effort et la partie inférieure souriant ironiquement.

(1) Le type criminel d'après les savants et les artistes. Thèse de Lyon.

Dans le tableau de P. Véronèse, Jésus traînant sa croix, le Christ s'est affaissé; un homme le tire avec une corde pour le faire avancer : il a une tête de crétin, le front bas, la face énorme contrastant avec l'exiguïté du crâne, l'œil terne et sans expression, le maxillaire supérieur prognathe, un cou de taureau. La plupart des têtes de bourreaux dans les martyres de saints, peints par Lanfranc, sont hideuses.

Dans la Flagellation du peintre français Perrier, les physionomies des bourreaux sont repoussantes de laideur. A la lueur du cierge qui éclaire la scène, un homme au visage effrayant s'avance vers le Christ. La région antérieure de son crâne est aplatie, basse, peu développée; au contraire, la partie occipitale est exagérée. Le front n'existe pour ainsi dire pas; l'œil est grand ouvert et fixe, le nez court et écrasé. Le prognathisme du maxillaire est énorme; les lèvres, lippues, sont jetées en avant; les moustaches sont composées de poils longs et rudes, l'oreille se termine en pointe.

Ary Scheffer a peint également un Judas avec une face prognathe et des oreilles en anse.

A Rome, à l'est du palais de Latran, se trouve la Scala Santa. Au pied de cet escalier, qui serait l'escalier authentique du palais de Ponce-Pilate à Jérusalem, et que JésusChrist aurait monté, un artiste inconnu a peint un Judas absolument semblable à celui d'Ary Scheffer, qui, en réalité, pourrait bien avoir choisi celui-là pour modèle.

Supposons maintenant que l'artiste exécute un portrait où tout l'art consiste à être exact et à reproduire la nature. Si ces portraits sont ceux d'hommes criminels, on aura de grandes chances de retrouver une ou plusieurs de ces anomalies dont j'ai parlé.

Lorsque je visitai le musée du Capitole à Rome, je m'attardai longtemps à contempler les bustes des empereurs romains. Tibère, celui que les femmes de Parthénope appelaient le bouc de Caprée, le vieillard lubrique qui mêlait le crime à la débauche, a les oreilles en anse, la face asymétrique et la mâchoire volumineuse. Caligula, le fou sanguinaire, a les lèvres minces, les mâchoires fortes et asymétriques, le côté gauche de la fosse zygomatique plus déve

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