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Loin d'obéir et de quitter la place, j'élevai la voix, et j'insistai avec plus de force. Aussitôt deux gendarmes furent appelés, et l'on me conduisit au poste où fort heureusement je trouvai un officier un peu plus traitable que le cerbère; je parvins à lui persuader que j'avais en effet quelque chose de la plus haute importance à dire au ministre, et je parvins enfin à être présenté, non à monseigneur, mais au secrétaire du secrétairegénéral de son excellence, lequel me dit en tirant sa montre et faisant une pirouette sur le talon : Que me veux-tu, bonhomme?........ Voyons, dépêche-toi.

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Ce que j'ai à vous dire, monsieur, mérite toute votre attention, il s'agit d'une affaire d'é

tat....

Ah! ah! ah! la drôle de chose!....... Je vous demande un peu ce que les affaires d'État ont de commun avec un personnage de cette étoffe !...

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'. J'étais furieux, le sang me montait au visage, et je fus fortement tenté de traiter cet insolent

comme il le méritait. Je me contins pourtant, et je raconțai ce qui m'était arrivé. A mesure que j'avançais dans mon récit, je voyais le visage de mon auditeur changer; il finit par m'écouter avec beaucoup d'attention. Lorsque j'eus fini, loin de trouver que j'avais parlé trop longuement, il me fit plusieurs questions, et me laissant dans le cabinet où il m'avait donné audience, il passa dans la pièce voisine. Une porte assez mince me séparait de cette pièce: cédant à un mouvement de curiosité que le lecteur qualifiera comme il voudra, je m'approchai de cette porte, et prêtant une oreille attentive, j'entendis que le jeune secrétaire racontait mon aventure à un personnage que je jugeai devoir être son patron, ou quelque employé supérieur. -(( Je sais ce dont il s'agit, disait ce dernier, mais les choses n'en sont pas où vous le croyez : tout cela est mené par une main amie, et le canon ne fera feu que lorsque son excellence aura permis d'allumer la mèche. >>

Ces paroles me surprirent étrangement: si les

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conspirateurs sont connus, me disais-je en me retirant, pourquoi ne les arrête-t-on pas?... Comment se peut-il qu'une trame qui tend au renversement du gouvernement soit dirigée par une main amie? Tout cela me parut inconcevable, et ce fut plusieurs années après seulement que je compris que l'art de fabriquer des conspirations pour se ménager le mérite de les découvrir ensuite pouvait bien dater de cette époque; seulement les faiseurs étaient alors un peu moins adroits, et la preuve, c'est qu'il s'en fallut peu de chose que ceux qu'on avait chargés de tirer les marrons du feu ne parvinssent à les manger à la barbe de leurs instigateurs.

de

Je sais que les choses ont été expliquées d'une tout autre manière. Mais comment croire qu'un individu isolé et sans argent comme était alors le général Mallet, ait entrepris de renverser, tout seul, une puissance aussi colossale que l'était à cette époque celle de Napoléon? En supposant que l'on parvienne à expliquer cela d'une manière satisfaisante, l'aventure que je viens de

rapporter ne serait pas moins une preuve sans réplique que cette conspiration était connue de la police, et alors pourquoi s'en est-il fallu de si peu qu'elle réussît? Pourquoi le ministre et le préfet de police ont-ils été arrêtés? Pourquoi le gouverneur de Paris a-t-il été assassiné? Un mois avant que cette conspiration éclatât presque tous les conjurés étaient en prison : puisque l'on connaissait leur dessein, pourquoi les laissa-t-on sortir?

Pour moi, il est évident que cette conspiration était, comme beaucoup d'autres, l'œuvre de quelques agens de la police; seulement ils crurent que Mallet serait un instrument docile, et ils devinrent eux-mêmes les instrumens de Mallet qui les avait probablement devinés.

Au reste, libre à chacun de n'être pas de mon avis, je suis même persuadé que j'aurai plus de contradicteurs que de partisans: reste à savoir si la raison est ordinairement le partage du plus grand nombre.

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