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dirent fur fon paffage, & lui firent leur harangue à la portière de fon Caroffe. Le Harangueur demeura court à la feconde période, fans pouvoir trouver la fuite de fon difcours, quelque effort qu'il fit pour fe la rappeller. Sarrazin fauta auffi-tôt de l'autre portière en bas, & ayant fait promptement le tour du Caroffe, fe joignit à l'Orateur, & pour fuivit la harangue en y mêlant des louanges fi ridicules, quoique férieufes en apparence, que le Prince ne pouvoit s'empêcher d'éclater de rire. Ce qu'il y eut de plus plaifant, c'eft que le Maire

& les Echevins remercièrent de bonne foi Sarrazin de les avoir tirés d'un fi mauvais pas, & lui préfentèrent, comme au Prince, le vin de la Ville.

Les Sonnets en Bouts-Rimés, qui furent autrefois à la mode, durent leur origine à un Eccléfiaftique nommé Dulot, à qui la Poëfie avoit tourné la tête. Il fe plaignoit un jour, en préfence de plufieurs perfonnes, que parmi des papiers qu'on lui avoit dérobés, il fe trouvoit trois cens Sonnets qu'il regrettoit plus que tout le refte. Comme on s'étonnoit qu'il en eût fait un fi grand nombre, il répliqua que c'étoit des Sonnets en

blanc, c'est-à-dire, des Bouts-Rimés de tous ces Sonnets qu'il avoit deffein de remplir. Cette idée parut fingulière, & l'on commenca à faire, pour s'amufer, dans toutes les Sociétés, ce que Dulot faifoit pour s'occuper. Sarrazin compofa à cette occafion un Poëme burlesque en quatre Chants,intitulé: La défaite des Bouts-Rimés, ou Dulot vaincu. Le but de ce Poëme étoit de décrier un genre d'ouvrage fi ridicule, & qui ôtoit, pour ainfi dire, le cours à toute autre espèce de Poëfie, tant on étoit infatué de ces BoutsRimés.

Claude de l'Etoile, Sieur du Sauffay, étoit fils de l'Auteur du Journal de Henri III. Il fut un des premiers membres de l'Académie Françoife, & c'eft lui qu'on nomma pour examiner la verfification du Cid. On dit de lui comme de Molière, qu'il lifoit fes ouvrages à fa Servante, avant que de les donner au Public, & qu'il en retranchoit tout ce qu'elle n'avoit point entendu. Il étoit auffi févère pour les autres que pour luimême ; & on l'accufe d'avoir fait mourir de douleur un jeune Auteur Gascon, à qui il dit fa Comédie, que , que celui-ci croyoit excellente, étoit miférable. Nos

que

jeunes Poëtes font aujourd'hui moins fenfibles; j'en connois qui, même après les fifflets redoublés du Parterre, jouiffent d'une parfaite fanté.

Quand on confidère le nombre prodigieux des ouvrages de du Ryer, auffi de l'Académie Françoise, on eft étonné de la pauvreté extrême dans laquelle il vêcut. Elle l'obligea de chercher une petite maifon aux environs de Paris, pour y vivre à moins de frais. Ménage raconte cette occafion un trait touchant. « Un » beau jour d'Eté nous allames plufieurs » ensemble rendre vifite à du Ryer; il » nous reçut avec joye; nous parla de » fes deffeins, & nous montra fes ou"vrages. Mais ce qui nous toucha, c'est "que ne craignant pas de nous laiffer » voir fa pauvreté, il voulut nous don» ner la collation. Nous nous rangeâmes » dessous un arbre; on étendit une nappe » sur l'herbe ; sa femme nous apporta du » lait, & lui des cerifes, de l'eau fraîche, » & du pain bis. Quoique ce régal nous » femblât très-bon, nous ne pumes dire » adieu à cet excellent homme, fans pleurer de le voir fi maltraité de la » fortune, fur-tout dans fa vieilleffe, & » accablé d'infirmités.

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Guillaume Colletet, auffi laborieux que du Ryer, vêcut comme lui dans l'indigence. Il invitoit fouvent fes amis à manger, mais à condition que chacun feroit apporter fon pain, fon plat, avec deux bouteilles de vin de Champagne ou de Bourgogne. Colletet aimoit les femmes; mais pour le tenter il ne falLoit être ni belle ni jeune. Comme il craignoit le scandale, & qu'il lui falloit une fervante, il époufoit celle qu'il avoit prife. Elle n'étoit pas plutôt morte qu'il en cherchoit quelque autre. Il en eut trois fucceffivement qui ne lui apportèrent pour dot que leurs fervices & leurs gages, & peu de dépenfe pour l'entretien. La dernière, qui fe nommoit Claudine, eft celle qu'il aima le plus. Il compofa beaucoup de vers à fa louange, & pour perfuader qu'elle avoit auffi du talent, il en faifoit fouvent imprimer fous: fon nom. Peu de temps avant qu'il mourût, il en fit fept qu'il chargea fa femme de publier après la mort. Il fait prudemment déclarer à Claudine, qu'après avoir perdu fon mari elle renonçoit à tout, même à la Poëfie; elle rint parole.

Saint-Amant étoit de Rouen,& fi l'on

en croit une mauvaise pointe de Maynard, fon père étoit Gentilhomme Verrier.

Votre nobleffe eft mince,

Car ce n'eft pas d'un Prince,
Daphnis, que vous fortez.
Gentilhomme de Verre,

Si vous tombez à terre,
Adieu vos qualités.

La vie de ce Poëte n'a prefque été qu'une fuite continuelle de voyages. Pendant le temps qu'il demeura à Rome, il fit un portrait burlefque & fatyrique de cette Ville. Voici ce qu'il dit en particulier de la Mufique qu'il y entendit.

Quels jolis Acteurs de Guiterre
Entens-je paffer là-dehors ?
Sans mentir, voilà des accords
A mener la Mufique en terre.
Aux lamentables hurlemens,
Aux fyncopes, aux roulemens,
Dont leur gorge eft fi bien munie,
Sauf l'honneur de G-re-fol-ut,
Je me figure l'harmonie

D'un concert de Matous en rut.

Lettre fur LE GRAND ROUSSEAU.

Nos petits Modernes font bien faits pour ne pas s'appercevoir qu'ils fe cou

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