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les fines reparties, l'à-propos, tous les charmes féminins brillent en tout ce qu'elle dit (1). Elle a sauvé la maison, et n'est pour cela ni plus fière ni plus sévère envers le mari qui l'a ruinée. Toujours égale en son humeur, elle apporte la consolation et l'indulgence là où elle aurait le droit d'accuser (2). Elle reste inébranlable dans son rôle saint et charmant d'épouse, de mère, et même de femme d'esprit, ce qui ne gâte rien.

Mère, en vieillissant, elle n'ira pas, comme Mme Pernelle, compromettre, par la sottise et le radotage, le respect dû à ses cheveux gris, ni montrer que l'entêtement d'un vieillard peut être plus absurde que celui d'un enfant (3). Elle ne deviendra pas, comme Béline, un monstre dans lequel l'égoïsme et l'avarice ont effacé tout ce qui restait de la femme (4); ni, comme Philaminte, une pédante orgueilleuse qui sacrifie son mari, sa fille, sa maison à la vanité du bel esprit (5); ni, comme Mme de Sotenville, une folle de noblesse, en qui l'amour du nom et du titre a tué tout autre sentiment, et qui croit qu'une famille n'est qu'une généalogie (6). Elle sera, Elle sera, comme

(1) Le Tartuffe, act. IV, sc. i-vii.

(2) Id., act. V, sc. III, v, vII. Elmire ne dit pas deux mots pendant toutes les invectives de Mme Pernelle et les larmes d'Orgon.

(3) Le Tartuffe, act. I, sc. 1; act. V, sc. II.

(4) Le Malade imaginaire, act. I, sc. VII-IX; act. II, sc. vii; act. III, sc. XVIII. (5) Les Femmes savantes, voir plus haut, chap. V.

(6) Le Mari confondu, act. I, sc. IV, VI, VII; act. II, sc. IX, XI, XII; act. III,

SC. XIV.

Mme Jourdain, avec plus de grâce et d'esprit si elle peut, la mère de famille qui veille à tout, même quand le père oublie son devoir et quitte son rôle de chef respecté (1).

Servante même, la femme aura des devoirs auxquels Molière a songé. Elle sera fidèle et dévouée. Quand la mère manquera, elle la remplacera auprès des filles, comme Lisette (2), Dorine (3), ou Toinette (4). Elle ne sera point une femme d'intrigue ou une complice de désordres (5). Elle deviendra la sauvegarde et l'honneur de la famille, comme la sage et rieuse Nicole (6) et la médecine Toinette (7). Et quand la maison, par l'erreur ou la faiblesse des chefs, s'en ira comme un navire sans pilote, ce sera elle, s'il le faut, qui prendra en main le gouvernail, et, par l'autorité du dévouement et du bon sens, sauvera la famille, comme fait Martine (8).

(1) Le Bourgeois gentilhomme, act. III, sc. III-VII, XII, XIII; act. IV, sc. ii, III; act. V, sc. I, VII. Voir d'ailleurs sur la femme mariée et la mère de fa-mille, plus loin, chap. VIII.

(2) L'Amour médecin, act. I, sc. II, IV, VI; act. II, sc. 1, ш; act. III, sc.

II-VII.

(3) Le Tartuffe, act. I, sc. Iv; act. II, sc. II-IV; act. III, sc. I.

(4) Le Malade imaginaire, act. I, sc. Iv, v, x; act. II, sc. I-IX; act. III, sc. I,

II, X-XXIII.

(5) Le Dépit amoureux, Frosine; le Mari confondu, Claudine; l'Avare, Frosine; M. de Pourceaugnac, Nérine.

(6) Le Bourgeois gentilhomme, act. III, sc. II-VIII, X-XIII.

(7) Le Malade imaginaire, voir note 4.

(8) Les Femmes savantes, act. V, sc. III.

Mais, fille ou mère, épouse ou servante, qu'elle soit douce et gaie. Qu'elle apporte, par ses charmes et son esprit, cet élément de grâce et d'agrément que l'homme tout seul ne peut mettre dans la vie commune (1). Qu'elle soit indulgente, polie; qu'elle n'aille point perdre son temps dans ces conversations où le prochain est toujours attaqué; qu'elle apprenne à être sage sans aigreur, et à avoir de l'esprit sans médire (2).

La douceur dans la vertu, Molière la réclame toutes les fois que l'occasion s'en offre. Il ne peut, pas plus que Boileau, supporter « ces femmes qui se retranchent toujours fièrement sur leur pruderie, regardent un chacun de haut en bas, et veulent que toutes les plus belles qualités que possèdent les autres ne soient rien en comparaison d'un misérable honneur dont personne ne se soucie (3). » Il déteste également << ces personnes qui prêtent doucement des charités à tout le monde, ces femmes qui donnent toujours le petit coup de langue en passant, et seroient bien fâchées d'avoir souffert qu'on eût dit du

(1) Eliante dans le Misanthrope, Elmire dans le Tartuffe, Henriette dans les Femmes savantes, etc.

(2) Le Misanthrope, act. II, sc. v; act. III, sc. v, VI. - Le Tartuffe, act. I,

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bien du prochain (1). » Il veut que, jusque dans sa défense, la vertu attaquée reste douce; il fait exprimer ce précepte par Elmire, insultée par la lubrique déclaration de Tartuffe :

J'aime qu'avec douceur nous nous montrions sages,
Et ne suis pas du tout de ces prudes sauvages,
Dont l'honneur est armé de griffes et de dents,

Et veut au moindre mot dévisager les gens (2).

Il semble que, sans douceur, la vertu ne soit plus vertu à ses yeux, et que, dans l'idée sereine qu'il se fait de la femme, il ait toujours devant l'esprit le mot divin: « Major charitas (3). »

Surtout, qu'elle soit franche. Qu'elle imite Eliante, sœur idéale d'Henriette, et qu'elle sache, comme elles deux, allier toute la sincérité avec toute la grâce et toute la politesse (4).

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L'homme n'a guère qu'une manière d'être hypocrite la femme en a deux, la pruderie et la coquetterie. En mettant aux prises Célimène et Arsinoé (5), Molière a montré qu'il détestait également ces deux vices, et qu'il avait autant de mépris pour celles qui feignent la vertu que pour celles qui feignent l'amour.

Avec le pédantisme, la coquetterie est, chez la

(1) L'Impromptu de Versailles, sc. 1, la Peste doucereuse.

(2) Le Tartuffe, act. IV, sc. ш.

(3) Paul., I Cor., v. 13.

(4) Voir plus loin, chap. VII.

(5) Le Misanthrope, act. III, sc. v.

femme, ce qui répugne le plus à Molière. Il trouve indignes toutes ces manœuvres de la vanité, tous ces mensonges des yeux et des lèvres, tout ce travail perfide pour conquérir des amants qu'on n'aime pas, et pour tromper quelquefois un honnête homme qu'on désespère. Ici Molière est plus sévère que le monde est-ce pour avoir été trompé lui-même, et par une amertume personnelle, qu'il a mis Célimène sur la scène (1)? Quoique cette présomption soit séduisante, j'aimerais mieux voir ici une idée plus haute. Si l'homme est grand par l'esprit, la femme est éminente par le cœur. Or, la coquette n'a pas de cœur c'est pour cela que Molière abhorrait la coquetterie chez la femme, comme la sottise ou l'imposture chez l'homme. Que le monde pardonne ce terme énergique, mais une femme sans cœur était à ses yeux un monstre, comme un homme sans honneur. Il a beau dissimuler sous le badinage comique l'émotion répulsive que lui cause une coquette, on sent percer son mépris, son indignation contre celles qui passent leur vie à inspirer de l'amour sans avoir rien que de la vanité. Il semble que ces deux vers d'un poëte moderne aient été inspirés par le dernier acte du Misanthrope:

... Oh! la triste chose et l'étrange malheur,

Lorsque dans leurs filets tombe un homme de cœur (2) !

(1) Voir les diverses vics de Molière, et particulièrement J. Taschereau, Histoire de la vie et des ouvrages de Molière, liv. II; A. Bazin, Notes historiques sur la vie de Molière, part. II. Voir aussi plus loin, chap. VII., p. 122. (2) A. de Musset, Don Paez, I.

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