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genre romantique du genre frénétique, mais bien de supprimer le romantisme lui-même. « Quelques personnes, disait Cyprien Desmarais, s'épouvantent de l'apparition du romantisme dans l'intérêt des opinions religieuses. Il leur semble que ni la monarchie ni la religion ne peuvent plus subsister en France si l'on n'y obéit pas rigoureusement aux lois du classique. » Le centre de la réaction était dans la Société des Bonnes-Lettres 1. Fondée en 1821, sous les auspices du Conservateur, présidée par Fontanes, puis, après la mort de Fontanes (1822), par Chateaubriand, dirigée par le baron Trouvé, elle se proposait de répandre par la parole les saines doctrines littéraires et politiques. «S'il est vrai, disait le premier prospectus, que la littérature soit l'expression de la société, on peut se faire une idée de ce qu'a pu être la littérature française pendant trente années de révolution. Pouvait-elle être autre chose que l'expression de la révolte, de la discorde, de l'impiété, de toutes les passions furieuses qui troublaient la France ? Que de talents ont péri dans ce vaste naufrage ! L'esprit humain se serait tout à fait égaré, et l'on ne peut savoir où nous aurait conduits l'orgueilleuse barbarie du siècle, si les âges précédents ne nous eussent laissé leurs imposantes leçons et leurs impérissables modèles. Ce sont ces modèles et ces leçons qui serviront de flambeau et de guide à la Société des Bonnes-Lettres 2. » Sur la liste des sociétaires, on trouve, dans une bigarrure qu'explique l'étrange confusion à cette époque des opinions politiques et littéraires, les noms de classiques impénitents, comme Auger, Royou, Brifaut, voisinant avec ceux des principaux membres du futur cénacle, les trois Hugo, Deschamps, Nodier, Vigny, en passant par toutes les nuances intermédiaires. Le

1. Sur la Société des Bonnes-Lettres, voir l'article de Ch. des Granges : La Société royale des Bonnes-Lettres, 1821-1830, dans la Revue Bleue du 3 septembre 1904.

2. Prospectus, janvier 1821, cité par des Granges.

royalisme sert de lien. Des professeurs attitrés font des cours sur les sujets les plus divers: histoire, hygiène, critique littéraire ; de vieux ou jeunes hommes de lettres réservent à l'auditoire la primeur de quelques morceaux inédits. La Société ouvre des concours d'éloquence et de poésie. Les sujets en sont l'Armée française en Espagne, ou l'Influence de la religion chrétienne sur les institutions sociales. Les petits journaux libéraux, le Miroir entre autres, ont beau railler ceux qu'ils appellent les « bonshommes de lettres » ou l'Académie des clignotants, la Société des Bonnes-Lettres n'en subsistera pas moins pendant toute la Restauration; elle ne disparaîtra qu'emportée dans le tourbillon de 1830.

Dès le premier mois de sa fondation, la Société avait vigoureusement ouvert la campagne contre le romantisme. Duvicquet, le journaliste des Débats, qui faisait le cours de critique littéraire, avait pris pour texte de ses leçons la distinction du genre classique et du genre romantique. Il prétendait que les classiques avaient trouvé dans l'imitation de la nature tous les secrets de l'éloquence et de la poésie, et par voie de conséquence, il niait l'existence du genre romantique lui-même. « M. Duvicquet, disaient les Annales de la littérature et des arts, dans la suite de ses leçons, descendra des principes qu'il a établis à des applications particulières, les chefs-d'œuvre de la nouvelle école à la main. Il prouvera qu'il ne s'y rencontre aucune qualité estimable qu'on ne retrouve dans les classiques, aucune expression de sentiment ou de pensée, aucune forme de langage ou d'éloquence qui n'ait ses modèles dans leurs ouvrages 2. » Les romantiques appelaient à leur secours

1. T. II, 1821, 21° livr., p. 313: Compte rendu de la séance de la Société des Bonnes-Lettres du lundi 13 février 1821.

2. La Société des Bonnes-Lettres s'occupa spécialement de Byron. Son programme mensuel porte qu'elle entendra le 30 mars 1821 M. Mély-Janin sur lord Byron. Voir le Conservateur littéraire, III, p. 410. Je n'ai retrouvé aucune trace plus précise de la lecture ou conférence de Mély-Janin.

les génies de toutes les nations. Ils demandaient à l'Angleterre son Shakespeare, à l'Allemagne son Schiller, à l'Italie son Alfieri; au milieu de tous ces talents si divers, ils plaçaient fièrement les Chateaubriand et les Byron. Ils protestaient contre une méthode qui consistait à rattacher «<le Génie du Christianisme à l'école de Bossuet, la Monarchie selon la Charte à celle de Montesquieu, en ne laissant aux adversaires que le Solitaire, le Renégat et la Promesse d'Ipsiboé 1. » En décembre 1823, Lacretelle jeune, présidant la séance d'ouverture de la Société des Bonnes-Lettres, signalait comme un danger des plus menaçants l'imitation étrangère, et surtout «< ce voile de tristesse », ce « luxe de mélancolie » que nos écrivains dérobaient aux Anglais et aux Allemands. «J'ai peur en vérité, disait-il, qu'on ne reconnaisse plus les Français sous ces habillements lugubres empruntés à nos voisins... Que dirait-on d'un noble dégradé qui, peu content de méconnaître les exemples glorieux laissés par nos pères, viendrait effacer les inscriptions que l'admiration des siècles a gravées sur leur tombe? C'est à une impiété de ce genre que pourrait nous conduire la frénésie romantique... Écrivains royalistes, cœurs pleins de loyauté, cœurs pleins de flamme..., gardez-vous de prendre un étendard différent du nôtre quand nous combattrons d'une même ardeur les doctrines impies, les fureurs révolutionnaires. Tout blasphème contre Racine et Fénelon vous irrite sans doute autant qu'une diatribe contre Henri IV ou contre Louis XIV, car tout se lie dans les sentiments royalistes; ainsi que les éloquents auteurs du Génie du Christianisme, de la Législation primitive et de l'Essai sur l'Indifférence religieuse, marchons au combat précédés par les images de nos pères 2! »

Si l'on veut trouver en 1823 des admirateurs déclarés de

1. Voir le Réveil du 30 décembre 1822.

2. Annales de la littérature et des arts, t. XIII, pp. 415-422: Compte rendu de la séance d'ouverture de la Société des Bonnes-Lettres (4 décembre 1823), sous la présidence de Lacretelle jeune, de l'Académie française.

lord Byron, il faut aller les chercher parmi les écrivains indépendants qui ne sont pas gênés par la contradiction de leurs opinions politiques ou religieuses et de leurs penchants littéraires, et qui réalisent dès lors l'union du romantisme et des idées libérales. Au premier rang` il faut citer Stendhal. En 1818, encore tout plein du souvenir de ses entretiens avec Byron et de la lecture de ses poèmes, il s'écriait : « Je suis un romantique furieux, c'est-à-dire que je suis pour Shakespeare contre Racine, et pour lord Byron contre Boileau 1. » Avec le temps son enthousiasme avait un peu baissé Ses préférences inclinaient du côté de Walter Scott. « Je viens de lire Byron sur les lacs, écrivait-il en 1821. Décidément, les vers m'ennuient, comme étant moins exacts que la prose. Rebecca, dans Ivanhoë, m'a fait plus de plaisir que toutes les Parisina de lord Byron 2. » En 1823, dans la première partie de Racine et Shakespeare, il qualifiait le poète anglais d'« auteur de quelques héroïdes ennuyeuses, toujours les mêmes », et traitait Caïn de « plate amplification de collège 3». Il se flatta « d'avoir piqué lord Byron». Mais il demeura, malgré ces boutades, toujours fidèle à son admiration première, et empressé à se répandre en détails laudatifs sur «<le grand poète » dans la société duquel il était fier d'avoir passé quelques mois 5. Une lettre que Byron lui avait adressée au mois de mai 1823 avait d'ailleurs réchauffé son zèle. Byron y défendait Walter Scott contre quelques critiques de Beyle. Celui-ci répondit en homme

3

1. Correspondance inédite, I, p. 68 lettre du 14 avril 1818. Il écrivait dans la même lettre : « Je mets au premier rang des hommes que j'ai connus Napoléon, Canova et lord Byron. »

2. Souvenirs d'égolisme, Paris, 1892, p. 273.

3. Racine et Shakespeare, no I, 1823, p. 45, et p. 39, n.

4. «En 1823 et 1824, il publia Racine et Shakespeare (40 pages), qui eut beaucoup de succès et qui piqua lord Byron. » Notice biographique rédigée par Stendhal lui-même en 1838 (Revue des Deux Mondes, 1843, t. I, p. 267, n. ; article de Bussière sur Stendhal).

5. Voir la lettre à Mme Belloc, 1824; Corr. inédite, t. I, p. 273.

qui sent tout le prix d'une amitié illustre : « Il m'a été agréable, Milord, d'avoir quelque relation personnelle avec l'un des deux ou trois hommes qui, depuis la mort du héros que j'ai adoré, rompent un peu la plate uniformité dans laquelle les affectations de la haute société ont jeté notre pauvre Europe. Autrefois, quand je lus Parisina pour la première fois, mon âme en resta troublée pendant huit jours. Je suis heureux d'avoir une occasion de vous remercier de ce vif plaisir 1. » En 1837, voulant exprimer l'impression qu'a faite sur lui un récit « sublime », il le déclarera «< digne de lord Byron». Mérimée, nous le savons, était, lui aussi, un byronien de la première heure. Les romantiques libéraux, Ch. de Rémusat, Duvergier de Hauranne, Vitet, ont déjà, avec des réserves plus ou moins marquées, manifesté leur admiration pour lord Byron Ils vont, dans le Globe, non pas révéler le poète anglais, mais poser les bases d'un jugement équitable sur son œuvre, en évitant également le fétichisme et le dénigrement 3. Ils donnent le ton à l'élite

1. Correspondance inédite, I, p. 244. La lettre est datée du 20 juin 1823. On ne sait si elle a été envoyée. Elle débute ainsi : « Milord, vous avez bien de la bonté d'attacher quelque importance à des opinions individuelles; les poèmes de l'auteur de Parisina vivront encore bien des siècles après qu'on aura oublié Rome, Naples et Florence en 1817 et autres brochures semblables. Mon libraire a mis hier à la poste, pour Gênes, l'Histoire de la peinture en Italie et De l'amour. »

2. «Lisez dans le Journal du Commerce des 16, 17, 18 et 19 de ce mois une relation allemande de Constantine, traduite par M. O. Cela est sublime, digne de lord Byron. » (Correspondance inédite, t. II, p. 252.)

3. On le trouvera développé tout au long par Charles de Rémusat dans le no du 3 février 1825, t. I, p. 310, à propos du Lord Byron de Mme Sw.-Belloc. « La mort de lord Byron a rendu son nom populaire : désormais, ce nom est lié à la plus noble cause, à la plus consolante espérance de notre siècle. La destinée a été juste pour lui, bien que sévère... La beauté et la tristesse de ses derniers jours expient bien des fautes. L'admiration qu'il inspire est désormais sans mélange: elle ne laisse plus d'accès qu'à la pitié... Quelque vive que soit l'admiration de Mme Belloc, le goût avouera presque tous ses jugements: peut-être sontils trop exclusifs, en ce point qu'elle ne fait pas assez remarquer qu'il est possible d'être beau d'une autre manière que lord Byron, que son génie

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