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Boniface, apôtre de l'Allemagne, Alcuin, saint François d'Assise, saint Dominique, saint Bonaventure, saint Thomas, l'auteur de l'Imitation, saint Ignace, sainte Thérèse, saint François de Sales, voilà de quoi glorifier l'ordre monastique, et tous ces noms sont des étoiles brillantes qui forment le centre de grandes et magnifiques constellations qui peuplent le ciel et que personnes ne peut compter, tant elles sont nombreuses aussi bien que variées dans leur éclat.

L'ASCÉTISME JUSTIFIÉ

Le monachisme tout entier est un fruit et un développement naturel de l'ascétisme ou du désir de la perfection; mais l'ascétisme, c'est-à-dire la pratique des conseils évangéliques n'est pas renfermé dans les limites des monastères : on le trouve non-seulement dans le sanctuaire, mais encore au milieu du monde. Le clergé, l'ordre sacerdotal surtout, est voué à une perfection plus haute que le commun des fidèles. Il appartient à Dieu par un contrat spécial, dont les clauses principales sont les vœux de chasteté, celui de la prière pour le peuple chrétien, avec la promesse d'obéissance. Et si on mesure la perfection de ces observances avec la difficulté de les remplir au milieu du monde, on sera étonné que le clergé catholique puisse se conserver aussi digne et aussi zélé qu'on peut l'admirer dans tout l'univers catholique. Nous pouvons bien faire la part de la faible humanité, sans craindre de diminuer l'estime que commande l'attitude du clergé au milieu des populations. On a pu admirer sa prudence au milieu des commotions politiques de l'Europe mais la sainteté de sa vie et la pûreté de ses mœurs, au milieu des séductions du monde, sont aussi merveilleuses que le fait des trois jeunes hommes jetés dans la fournaise ardente sans en être consumés.

Il est clair que c'est l'esprit de contemplation, l'union avec Dieu, une napitude de voir et de juger les choses de ce monde au point de vue de l'autre monde, qui produit ces admirables effets dans le clergé catholique. Aussi que de saints Pontifes, que de saints prêtres depuis les apôtres jusqu'à saint Vincent de Paul et jusqu'à nos jours, ont donné au monde l'exemple d'une vie consommée dans la vertu, et toute dévouée au salut des âmes et à la bienfaisance chrétienne!

Ne craignons pas, malgré la corruption du siècle, d'y jeter un regard attentif pour y démêler un grand nombre d'âmes justes, dans les villes et dans les campagnes, adorateurs en esprit et en vérité; elles touchent la corruption sans être souillées, et si le péché leur a fait de profondes blessures, elles les ont lavées dans les eaux salutaires de la pénitence; elles continuent tous les jours leur vie pénitente, en supportant avec courage et résignation les travaux et les contradictions de la vie présente.

Nous avons vu, dans la primitive Eglise, des vierges chrétiennes qui pratiquaient la chasteté sans sortir du monde. Le tiers ordre de Saint-François avait enrôlé un très-grand nombre de personnes séculières qui vivaient dans leur famille comme dans les cloîtres. Sainte Elisabeth de Hongrie appartenait au tiers ordre de Saint-François.

Plusieurs ordres ont eu des affiliations dans le monde et enseignaient aux Chrétiens à trouver les douceurs de la solitude au milieu de l'agitation du siècle.

Ainsi, dans tous les temps, l'esprit de Dieu agissant dans ces âmes vertueuses est le même; il les pousse à la contemplation des choses divines, et pour s'y élever plus sûrement, on donne un frein à la chair et aux sens, on cherche la solitude et le silence, on mène une vie pénitente et modeste, voilà les caractères éternels de la vraie piété et le seul chemin de la perfection. Que l'on vive dans un cloître, ou dans le sanctuaire, ou dans le monde, la mortification des sens et le recueillement intérieur sont la base de la solide vertu, Les mœurs divers et les temps différents ne changent pas le fond des choses, parce que les deux termes dont la pratique de la vertu est l'objet, restant immuables, c'est un Dieu offensé et tout-puissant, d'une part, et une créature coupable, ingrate, et cependant toujours prête à retourner à ses infidélités, de l'autre. Voilà ce qu'ont compris les patriarches qui marchaient sans cesse dans la présence du Seigneur; les prophètes, qui vivaient dans la retraite; les solitaires, dans leurs déserts; les moines, dans leurs couvents; et tous les justes qui, au milieu du monfie, usaient du monde comme n'en usant pas.

A côté de l'ascétisme orthodoxe et saint, on peut remarquer dans la suite de l'histoire, un ascétisme faux et erroné, un mysticisme de faux aloi, dont la racine est l'orgueil d'abord et un désir violent de se distinguer des autres par des pratiques extraordinaires; ensuite, la corruption qui quelquefois trouve son compte, dans ses calculs diaboliques, à prendre un air dévot pour trouver des complices ou des victimes.

y a eu les faux prophètes à côté des prophètes inspirés de Dieu; ils affectaient aussi un air austère.

Dans les sectes juives que nous avons eu occasion d'admirer, les réchabites, les thérapeutes et les esséniens, il y avait aussi le côté exagéré. Nous avons vu quelques principes faux qui devaient donner naissance à ces vices qui se personnifient surtout dans la secte des Pharisiens.

Nous pourrions, en traversant tous les siècles, trouver çà et là des esprits exagérés ou des hérétiques formels, comme les gnostiques, les montanistes, les manichéens, les albigeois, les fratricilles, les flagellants, les beghards, les quiétistes, les illuminés, etc., etc. (Voy. ces mots.) Dans ces derniers temps nous avons vu les théophilantropes, les disciples de Vintras, etc.

Mais, depuis l'hérésie de Lutner, il n'est plus possible de compter les sectes qui pullulent au fond de ce gouffre d'erreurs; sectes qui, la plupart, ont senti le besoin de revenir à un culte plus empreint de piété que celui que leur faisait l'hérésie. Mais, séparés de l'unité, au lieu de revenir au vrai culte consacré par la tradition de seize siècles, ils retombent dans de déplorables extravagances. Demandons à Dieu que l'heure du retour sonne bientôt. A quelques signes on pourrait conjecturer que ce moment approche.

Nous n'avons que faire de remuer cette poussière d'hérésie, qui ne peut jeter un grand jour sur la pieuse matière que nous traitons. Laissons là ces coupables tentatives de l'orgueil et de la corruption, qui ressemblent à la vraie piété bien moins que le singe ressemble à l'homme. Au fond, cependant, la comparaison est assez juste, car ces faux mystiques n'ont pas l'âme de la piété; ainsi, c'est l'âme qui manque des deux côtés.

Cependant les temps modernes nous ont fourni deux exemples d'un mysticisme fort dangereux pour l'entraînement des âmes naturellement austères et aimant la piété; c'est le molinosisme et le jansénisme. L'un étalait des principes d'une pureté et d'une perfection apparente si séduisante, que plus on sentait dans son cœur de penchant à une haute vertu plus on était facilement entraîné à suivre ces maximes. (Voy. MOLINOSISME, QUIÉTISME.)

Quoi de plus sublime, en apparence, que de dire que la perfection chrétienne consiste dans la tranquillité de l'âme, dans le renoncement des choses extérieures et temporelles, dans le silence absolu imposé à tous les mouvements de l'esprit et de la volonté. Voici le serpent caché sous cette spiritualité si rafinée; c'est que tandis que l'on supposait l'esprit tout absorbé en Dieu, la partie inférieure, c'est-à-dire le sens, pouvait être livrée aux déréglements, pourvu que la partie supérieure se tînt en repos en Dieu.

Les jansénistes sont les montanistes du xvII° siècle, sévères, exagérés, subtils et insoumis comme eux'; dans ces deux époques, dans ces deux siècles on voit de grands noms, de nobles vertus. Il ne manque qu'une chose à ces deux branches si fortes en apparence, c'est d'être attachées au tronc vital, c'est de tenir à la racine de l'Eglise, qui seule peut communiquer la vie, la durée et le mérite. Par leur résistance, ces deux branches qui paraissent couvertes non-seulement d'un beau feuillage mais de bons fruits, on les a vues se dessécher comme des branches mortes. La vraie piété, la perfection ne peut exister que dans le corps mystique de Jésus-Christ : Ut sint consummati in unum. - Nous observons ici que ce qui est vrai pour les sectes l'est pour les particuliers. Il faut se défier des dévotions particulières extraordinaires : la règle est que les fidèles qui veulent se perfectionner doivent suivre la direction de celui qui s'est chargé de leur conscience. Il est pour elle la voix de l'Eglise; si en se trompant il nous trompe, il est seu! responsable de ses erreurs, du moment où l'âme qui s'est volontairement confiée à sa garde a mis toute la bonne foi possible dans ce discernement.

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Qu'y a-t-il au monde de plus inoffensif et en même temps de plus utile qu'un Chrétien fervent priant Dieu pour lui et pour son prochain, dans un cloître ou au milieu du monde, toujours prêt à être utile selon son pouvoir, maître de ses passions, se contentant de peu, oubliant les injures et ne cherchant que la paix? Il semble que ces sortes de personnes devraient être en tout temps un sujet d'admiration. Il n'en est rien cependant: la seule vue du juste est une accusation contre le pécheur, sa présence le condamne. Voilà le secret de la haine dont il est l'objet.

Depuis trois siècles le génie du mal, l'antique ennem: qui rôde sans cesse autour de l'Eglise pour faire une brèche au bercail, a fait consister sa tactique à abaisser le christianisme au niveau des devoirs généraux de la loi naturelle.

Le premier acte d'hostilité de cette guerre, dont le dernier combat n'est pas encore livré, quoiqu'elle dure depuis trois siècles, a été une admiration exagérée pour l'antiquité païenne. Rien ne paraissait plus innocent d'abord; on ne songeait qu'à l'éclat d'une littérature harmonieuse et aux formes magiques des arts. On a poussé cette fièvre d'admiration jusqu'à méconnaître les incomparables chefs-d'œuvre dans tous les genres dont le génie du christianisme, longtemps arrêté par la chute des empires et le sac des barbares, commençait seulement depuis une période assez courte à doter le monde chrétien. Ce n'est qu'au bout de trois siècles d'ingratitude qu'on commence à être juste.

Ce que nous voulons signaler dans cette guerre gigantesque contre l'Eglise et contre l'esprit de l'Evangile, c'est que l'enthousiasme pour le paganisme a été contemporain de la haine contre les monastères et la politique de la perfection évangélique.

Le côté rationnel, en apparence, de cet argument contre le christianisme, tel qu'il était entendu par nos pères du moyen âge, était que les conséquences extrêmes du principe de renoncement et de mépris des choses du monde conduisait directement à arrêter le mouvement ascensionnel de la civilisation dans ses développements les plus brillants. Nous ne nous écartons pas de notre sujet : nous sommes au cœur même du sujet.

Connaissez-vous une institution qui ait été attaquée avec plus d'acharnement que la vie cénobitique depuis cette époque. On a prétendu lui faire son procès au nom de tous les intérêts et au nom de tous les droits. On criait à la violation de la liberté individuelle; à la sauvage et inutile cruauté des macérations; à l'insulte faite à la Providence, qui convie tous les hommes à jouir sans réserve des biens matériels qu'il répand sur nous; au déplorable larcin que le célibat fait à la société en diminuant le nombre des citoyens; aux charges exhorbitantes que les ordres mendiants imposent inutilement à la société. Quel thème fertile, en discours et en livres éloquents, depuis Luther jusqu'à Eugène Sue! Patience, Messieurs! Dieu ne semble pas se presser, mais il sait bien se donner raison. Et ici Dieu s'est si bien donné raison, que nous n'avons plus rien à ajouter pour défendre sa cause. Oui, la Providence a donné de nos jours trois grandes réponses qui réduisent à néant et les faux politiques et les faux philosophes qui, depuis le xvi siècle, ont déclamé contre les ordres religieux. Aux politiques, Dieu a répondu par deux plaies: celle du paupérisme, et celle de l'effrayante exubérance de population dans les pays qui ont remplacé exclusivement les monastères par les usines, qui ont fait jeter des cris de détresse aux plus fameux docteurs, et qui ont réclamé le célibat forcé au nom de la loi. Aux philosophes il a donné un démenti plus éclatant et plus humiliant encore. Il a répondu par ce hideux déchaînement socialiste de 1848. Que pensent-ils aujourd'hui des droits de 'homme et de la société violés dans un moine qui ne se plaint jamais et qui console scuvent, en face de ces socialistes, qui sont leurs enfants, et qui prétendent avoir trouvé le droit du pillage et du massacre?

M. Chassay a victorieusement répondu aux attaques des principaux philosophes de notre temps, qui ont voulu flétrir la vie monastique. On peut consulter son excellent ouvrage du Mysticisme catholique. Un des plus sérieux adversaires du mysticisme catholique est M. Jouffroy dont nous allons relever quelques assertions. En lui répondant, nous répondons à tous. La vie monastique blesse profondément les tendances sensualistes de sa philosophie, la religion chrétienne est trop spiritualiste pour lui; il

ne manque pas d'en faire un chef d'accusation. Le spiritualisme exalté du christianisme naissant, dit-il, tournait au mépris de la terre et au désir du ciel. Nous acceptons le reproche.

Les communautés religieuses sont peuplées d'âmes courageuses, qui ne tiennent aux biens de la terre que par les liens de la stricte nécessité. Laissez-les, donc, je vous prie, dans cette simplicité de goûts. La soif des biens est inextinguible dans le monde. Jamais T'appétit des richesses ne s'est traduit en menaces aussi formidables contre les propriétaires. Les passions aspirent aux jouissances, non plus par le travail mais par la spoliation, et vous voulez fermer la seule soupape de sûreté qui vous reste peut-être. Hélas! il n'y a pas assez de biens pour tous. Laissez donc des Chrétiens modestes vivre sans bruit dans un coin de terre, se contentant d'un morceau de pain noir et de légumes; la part des gens du monde en sera meilleure. Le superflu, s'ils en avaient, passera aux malheureux. N'entendez-vous pas les plaintes de quelques économistes qui vous menarent d'un excès de populations et des fléaux qui viennent à sa suite; ces craintes n'ont rien perdu avec le temps de leur caractère sérieux. Le mysticisme, comme vous dites, vaut bien la corruption et la débauche pour mettre un frein a l'exubérance de la population.

Le plus grand développement mystique que nous connaissions a eu lieu dans les temps qui ont suivi la naissance du christianisme, et vous savez dans quel état se trouvait le monde à cette époque. Le scepticisme le plus complet de philosophie s'unissait, dans la décadence de l'empire romain, à la corruption la plus profonde en morale et à la tyrannie la plus dégradante en politique: la vérité, la vertu, la liberté, ne semblaient plus que des mots, et tout paraissait se réunir pour décourager l'homme de tout effort, pour lui en démontrer l'inutilité. A quoi bon, si la vérité est introuvable, la chercher? Si tout est indifférent, agir d'une manière plutôt que d'une autre? A quoi bon même agir, si des siècles d'héroïsme et de victoires ne conduisent une société qu'à vivre malheureuse et sans glotre, sous des oppresseurs imbéciles ou sanguinaires? Voilà ce que semblait dire aux hommes la grande époque dont nous parlons et sous quel aspect elle tendait à faire envisager la destinée humaine. D'un autre côté l'inondation des barbares grondait aux portes de l'empire, et la menace de cette fatale et inévitable calamité parlait peut-être encore plus haut de la vanité des choses d'ici-bas et de l'impuissance humaine, que la voix du passé et le spectacle du présent. Ajoutez le spiritualisme exalté du christianisme, qui tournait au mépris de la terre et au désir du ciel, des âmes que tout concourait déjà à pousser dans cette direction, et vous comprendrez que jamais circonstances ne furent plus favorables au développement de celle doctrine (60).

Nous ne sommes pas loin d'accepter cette interprétation, nous faisons nos réserves sur ce qu'il y a d'absolu dans l'esprit de l'auteur sur la puissance de ces causes ; car le christianisme porte en lui-même, indépendamment de l'esprit et de l'état de chaque siècle, des motifs permanents qui appellent certaines âmes orivilégiées à la vie contemplative, à la séparation du monde.

Du reste peu s'en faut que cette éloquente peinture, de la décrépitude de l'empire romain ne soit applicable à notre époque. Heureusement il y manque encore bien des traits pour une ressemblance parfaite. Mais qui nous dit que nous, saurons nous arrêter sur cette pente ou nous glissons. Qu'il est sombre l'aspect de notre société (61), et que nos douleurs sont déchirantes ! et vous arrêtez ceux que les scandales de notre corruption affligent et dégoûtent et qui voudraient s'enfoncer dans la solitude pour servir Dieu et prier pour leurs frères égarés. Tel est l'esprit libéral de notre temps, qu'on refuse cette dernière consolation à ceux qui la réclament.

Cet immense entraînement, ajoute notre auteur, faillit détourner cette grande religion de son véritable esprit et l'absorber dans un ascétisme impuissant.

On peut se rassurer l'esprit de Dieu gouverne son Eglise sur la terre. Par le principe même de la liberté humaine, on a pu voir quelques communautés religieuses s'éloigner

(60) Cours de droit naturel, t. Ier.

(61) Ceci a été écrit avant le 2 décembre.

du véritable esprit qui devait les animer; mais le christianisme aura toujours assez de jeunesse et de vigueur ponr recruter cette milice d'élites des communautés religieuses, avant-garde de l'Eglise militante, prête à tous les dévouements, à toutes les souffrances pour Dieu et pour leurs semblables.

On peut se rassurer surtout de la crainte de voir la religion chrétienne a aucune époque pousser les générations en masses vers la vie purement contemplative.

Jouffroy ne pouvait pas se douter que le régime chrétien a deux parties, les préceptes et les conseils.

Il y a les préceptes positifs, absolus, le décalogue : c'est-à-dire des lois générales; et il est de l'essence de toute loi véritable d'être générale et absolue. Il y a ensuite les conseils, comme lorsque Jésus-Christ dit à un jeune homme: Vendez votre bien et donnez-le aux pauvres; conseils qui n'obligent personne précisément, parce qu'ils invitent à une perfection morale, qui n'est faite que pour quelques âmes d'élite. L'héroïsme de la vertu n'est pas si vulgaire qu'on doive craindre que le genre humain périsse par cet endroit.

La masse du genre humain est appelée par la religion à mener la vie active du travail des mains, à manger son pain à la sueur de son front, et cette vie l'Eglise l'honore et l'encourage.

Jouffroy a eu une incroyable distraction lorsqu'il a dit : Le dogme mystique attire à lui comme par une nécessité invincible, ou le dogme du manichéisme, ou le dogme du péché, la chute de l'homme (62).

Le dogme mystique, singulière expression qui accuse les notions superficielles de l'auteur sur cette matière, attire à lui le dogme du manichéisme. Mais l'Eglise a-t-elle été manichéenne quelque part? N'a-t-elle pas condamné cette erreur dans plusieurs conciles? A-t-elle toléré cette doctrine monstrueuse dans les cénobites qui suivaient son esprit ?

Sans doute les moines étaient manichéens, parce qu'ils croyaient au démon, principe du mal qui séduisit Eve et qui s'efforce de détourner l'homme de cette patiente soumission et de l'attirer dans les voies insensées de l'activité mondaine.

Remarquez que la croyance aux mauvais esprits nous est donnée ici comme une croyance particulière aux moines et non comme un dogme de l'Eglise universelle; première erreur. Cette croyance des anges déchus est prise pour le manichéisme; seconde erreur plus grossière que la première. Les enfants savent qu'il n'y a aux yeux des Chrétiens qu'un seul être nécessaire, seul principe de toutes choses, qui permet au démon, ange déchu, de tenter les hommes, mais qui ne souffre jamais qu'il entame la liberté humaine.

Toute cette leçon brille d'aperçus de cette justesse et de parfaite connaissance de son sujet.

Par une bizarre contradiction, dit le même auteur, ces idées coexistent avec la doctrine tout opposée de l'épreuve, qui est la vraie doctrine du christianisme sur cette vie, celle par laquelle il a exercé sur l'humanité une influence si puissante et si utile, et opéré en morale une si heureuse et si magnifique révolution.

Nous sommes heureux enfin d'entendre une appréciation juste dans cette longue et fastidieuse leçon. Oui, la doctrine de l'épreuve est à la base du christianisme, parce qu'elle suppose la réhabilitation comme la suite nécessaire d'une chute primitive; oui, la religion chrétienne à exercé par là une heureuse influence sur le genre humain, parce que seule elle a bien jugé le cœur de l'homme et saisi la maladie qu'elle était appelée à guérir. Cet aperçu aurait dû l'avertir qu'il pouvait bien tomber à faux dans ses critiques précédentes, et qu'il n'y avait pas contradiction entre le manichéisme et l'idée de l'épreuve, attendu qu'il n'y a pas de manichéisme : il n'y en a pas non plus avec le dogme du péché originel. Etrange distraction de l'auteur! s'il y a eu chute primitive, cela n'appelle-t-il pas naturellement l'épreuve de la réhabilitation? Je m'empare de cette idée d'épreuve que Jouffroy admet dans son système, du moins en principe, car chez lui elle n'influe pas la réalité dø (62) Droit natur., t. I, p. 148.

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