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SIXIÈME LEÇON.

SUITE DES PROLEGOMÈNES.-Appréciation philosophique des divers principes assignés à la pénalité.-Pensée de vengeance individuelle, sociale ou divine.- Exemplarité et intimidation.—Contrat social. Deux théories produites par le principe du Contrat social. L'une adoptée par les philosophes, l'autre par les jurisconsultes.— Utilité du plus grand nombre affranchie de toute loi supérieure. Droit de defensé appartenant à la société de son chef et en dehors de toute convention. - Justice morale absolue. Justice morale limitée par l'utilité sociale. Ecole éclec

tique.

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- Objections: le principe de la pénalité ne doit pas être cher-` ché en dehors de la société. Il est une conséquence du droit de souveraineté inhérent à l'idée de la société.

MESSIEURS,

Je vous ai dit que l'étude des principes sur lesquels peut se fonder le Droit de punir, n'est pas seulement une étude d'homme politique et de législateur, que c'est encore une étude de légiste, une étude indispensable à l'intelligence des textes, à leur saine application.

Je ne vous ferai pas longtemps attendre mes preuves. J'entamerai dans ma prochaine leçon l'ex

plication du Code pénal, et immédiatement je demanderai à la théorie que je vais aujourd'hui essayer de justifier, des moyens d'interprétation; aux théories que je vais combattre, des objections contre leurs solutions.

Six principes sont à examiner :-Le principe de la vengeance, qu'elle soit individuelle, sociale ou divine; le principe de l'intimidation; le principe du contrat social, avec les deux systèmes qui en sont l'expression; le principe de l'utilité du plus grand nombre; le principe de la défense appartenant à la société de son chef et indépendamment de toute convention; le principe de la justice absolue et enfin le principe de la justice limitée par l'utilité sociale.

Je puis être très bref sur le principe de la vengeance, si tant est qu'on puisse appeler l'idée de vengeance, qu'elle soit ou ne soit pas individuelle, un principe.

Un seul mot d'abord de la vengeance individuelle qui se présente la première dans l'ordre chronologique :

Si l'individu ne peut se faire justice à lui-même, parce que la justice dont il serait l'intermédiaire serait indépendamment de lui, trop personnelle, c'est-à-dire trop partiale, trop passionnée et qu'elle cesserait d'être de la justice, à plus forte raison, ne peut-il exercer une justice individuelle qui ne se présente pas comme une justice, mais qui s'annonce comme une vengeance. Il n'y a pas, d'ailleurs, de société véritable avec les luttes brutales, les conflits san

glants qu'entraîne l'absence d'une médiation supćrieure.

La vengeance par le pouvoir, au nom et du chef des individus lésés, serait moins désordonnée, sans doute, mais logiquement, elle serait encore excessive et sans mesure. L'idée de vengeance publique au nom du pouvoir et dans l'intérêt collectif est déjà meilleure; toutefois, cette idée est encore exclusive de modération et d'équité, puisqu'elle ne fournit aucun moyen de déterminer le point exact, qui ne saurait être dépassé.

Le principe de l'intimidation, considéré isolément et en dehors de tout autre principe qui le corrige et le limite, conduit logiquement à l'énormité dans les peines; il permet de sacrifier sciemment l'innocence; il doit la laisser périr sous le coup de préventions mal fondées et d'apparences accusatrices, puisque le supplice de l'innocent aura tous les effets salutaires d'exemplarité qu'il en attend.

Le principe qui fait dériver le Droit de punir d'une convention, présente cette convention sous deux aspects et sert de base à deux systèmes :

1° Pour les uns, chaque individu, en entrant dans l'association, ou en s'y soumettant par sa résidence sur le sol, qui est le théâtre de son développement (1), s'engage à subir la perte, soit de sa liberté, soit même de sa vie, s'il viole les lois. Ce sacrifice éventuel qu'il

(1) ROUSSEAU, Contrat social, liv. IV, chap. I.

consent, c'est le prix de la protection qu'il demande à l'association;

2o Pour les autres, la société, en punissant, exerce le Droit de défense qui appartenait à chaque individu, dans l'état extra-social, Droit dont elle a obtenu la cession, pour le mettre en mouvement, du chef de chacun et du chef de tous.

Ces deux systèmes ont un vice commun, leur vice originel; ils font de la société un contrat volontaire, accidentel, exprès ou tacite, formé par les uns, ratifié par les autres, les successeurs, un contrat qui fait cesser un prétendu état de nature.

Cette hypothèse est démentie par l'histoire, et d'une manière plus décisive encore, par la nature de l'homme, par la sociabilité. Une fiction est mauvaise par cela seul qu'elle est une fiction. La fiction du contrat social, en dérivant la société, la loi, le pouvoir. de la volonté des individus, détruit ce qu'elle prétend fonder, puisque, si la somme des volontés, des souverainetés individuelles forme la souveraineté générale, il n'y a pas de motif pour que ces souverainetés individuelles s'abîment dans cette souveraineté de leur création et ne reprennent capricieusement l'exercice de leur indépendance. Cette fiction a le tort de chercher la source du Droit en dehors de la société, dans l'homme considéré isolément, abstraction faite des liens providentiels qui l'unissent à ses semblables, comme si l'idée de Droit n'impliquait pas celle de relation : « Nemo sibi debet, hoc verbum debere non habet nisi inter duos locum. » (SENEQUE, de Benefi

cis, liv. V, chap. VIII). (Senèque parle, bien entendu, de devoirs exigibles, c'est-à-dire de devoirs auxquels correspondent des Droits.) « L'idée de Droit emporte celle de relation » a écrit, dans une concise formule M. Guizot qui, à son insu peut-être, traduisait une pensée déjà si bien exprimée par Senèque (1).

M. Guizot reproche éloquemment à l'école philosophique d'avoir méconnu cette vérité, et, à notre sens, son reproche doit s'appliquer surtout à l'école du contrat social.

La fiction du contrat social n'a pas même le mérite de favoriser la liberté politique; elle conduit,—suivant que, pour elle, l'abdication des volontés individuelles est ou n'est pas irrévocable, au despotisme ou à l'anarchie. Ses conséquences sont toutes différentes selon qu'elle a pour interprète Hobbes ou Locke.

La fiction du contrat social aurait, en Droit criminel, le grave inconvénient de désarmer la société vis-à-vis des étrangers qui traverseraient le territoire, seulement comme voyageurs, et qui ne pourraient être considérés comme membres de l'association. Il n'y aurait contre eux aucun Droit de souveraineté ; il n'y aurait que le Droit de guerre.

Chacun de ces deux systèmes a d'ailleurs un vice spécial.

Voyons d'abord le système qui dérive le Droit social de punir, du consentement même de l'agent puni.

(1) M. GuizoT, Histoire du Gouvernement représentatif en Europe, tome II, 48 leçon).

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