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soit ici renversé, Le coeur n'y forme aucune chaîne: il n'est point permis aux filles d'en avoir un; ce droit est réservé aux seules femmes mariées, et n'exclut du choix personne que leurs maris. Il yaudroit mieux qu'une mere eût vingt amants que sa iille un seul. L'adultere n'y revolte point, on n'y trouve rien de contraire à la bienséance : les romans les plus décents, ceux que tout le monde lit pour s'instruire, en sont pleins; et le désordre n'est plus blàmable sitôt qu'il est joint à l'infidélité. ( Julie ! telle femme qui n'a pas craint de souiller cent fois le lit conjugal oseroit d'une bouche impure accuser nos chastes amours, et condamner l'union de deux eœurs sinceres qui ne surent jamais manquer de foi. On diroit que le mariage n'est pas à Paris de la même nature que par-tout ailleurs. C'est un sacrement, à ce qu'ils prétendent, et ce sacrement n'a pas la force des moindres contrats civils: il semble n'être que l'accord de deux personnes libres qui conviennent de demeurer ensemble, de porter le même nom, de reconnoître les mêmes enfants, mais qui n'ont, au surplus, aucune sorte de droit l'une sur l'autre ; et un mari qui s'aviseroit de contrôler ici la mauvaise conduite de sa femme n'exciteroit pas moins de murmures que celui qui souffriroit chez nous le désordre public de la sienne. Les femmes, de leur côté, n'usent pas de rigueur envers leurs maris, et l'on ne voit pas encore qu'elles les fassent punir d'imiter leurs infidélités. Au reste, comment attendre de part ou d'autre un effet plus honnête d'un lien où le cœur n'a point été consulté? Qui n'épouse que la fortune ou l'état ne doit rien à la personne.

L'amour même, l'amour a perdu ses droits, et n'est pas moins dénaturé que le mariage. Si les époux sont ici des garçons et des filles qui demeurent ensemble pour vivre avec plus de liberté, les amants sont des gens indifférents qui se voient par amusement, par air, par habitude, ou pour le besoin du moment: le cœur n'a que faire à ces liaisons; on n'y consulte que la commodité et certaines convenances extérieures. C'est, si l'on veut, se connoitre, vivre ensemble, s'arranger, se voir, moins encore s'il est possible. Une liaison de galanterie dare un peu plus qu'une visite; c'est un recueil de jolis entretiens et de jolies lettres pleines de portraits, de maximes, de philosophie, et de bel esprit. A l'égard du physique, il n'exige pas tant de mystere on a très sensément trouvé qu'il falloit régler sur l'instant des desirs la facilité de les satisfaire: la premiere venue, le premier venu, l'amant ou uu autre, un homme est toujours un homme, tous sont presque également bons: et il y a du moins à cela de la conséquence, car pourquoi seroit-on plus fidele à l'amant qu'au mari? Et puis à certain âge tous les hommes sont à-peu-près le même homme, toutes Jes femmes la même femme; toutes ces poupées sortent de chez la même marchande de modes, et il n'y a guere d'autre choix à faire que ce qui tombe le plus commodément sous la main.

Comte je ne sais rien de ceci par moi-même, on m'en a parlé sur un ton si extraordinaire qu'il ne m'a pas été possible de bien entendre ce qu'on m'en a dit. Tout ce que j'en ai conçu, c'est que, chez la a Wypto 1625

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plupart des femmes, l'amant est comme un des gens, de la maison : s'il ne fait pas son devoir, on le congédie et l'on en prend un autre; s'il trouve mieux ailleurs, ou s'ennuie du métier, il quitte, et l'on en prend un autre. Il y a, dit-on, des femmes assez capricieuses pour essayer même du maître de la maicar enfin c'est encore une espece d'homme. Cette fantaisie ne dure pas; quand elle est passée, on le chasse et l'on en prend un autre; ou, s'il s'obstine, on le garde et l'on en prend un autre.

son,

Mais, disois-je à celui qui m'expliquoit ces étranges usages, comment une femme vit-elle ensuite avec tous ces autres-là qui ont ainsi pris ou reçu leur congé? Bon! reprit-il, elle n'y vit point. On ne se voit plus, on ne se connoît plus. Si jamais la fantaisie prenoit de renouer, on auroit une nouvelle connoissance à faire, et ce seroit beaucoup qu'on se souvint de s'être vus. Je vous entends, lui dis-je; mais j'ai beau réduire ces exagérations, je.ne conçois pas comment, après une union si tendre, on peut se voir de sang froid, comment le cœur ne palpite pas au nom de ce qu'on a une fois aimé, comment on ne tressaille pas à sa rencontre. Vous me faites rire, interrompit-il, avec vos tressaillements; femmes ne nos fissent autre vous voudriez donc que chose tomber en syncope?

que

Supprime une partie de ce tableau trop chargé sans doute, place Julie à côté du reste, et souvienstoi de mon cœur ; je n'ai rien de plus à te dire.

Il faut cependant l'avouer, plusieurs de ces impressions désagréables s'effacent par l'habitude. Si

le mal-se présente avant le bien, il ne l'empêche pas de se montrer à son tour; les charmes de l'esprit et du naturel font valoir ceux de la personne. La premiere répugnance vaincue devient bientôt un sentiment contraire. C'est l'autre point de vue du tableau, et la justice ne permet pas de ne l'exposer que par le côté désavantageux.

C'est le premier inconvénient des grandes villes que les hommes y deviennent autres que ce qu'ils sont, et que la société leur donne pour ainsi dire un être différent du leur. Cela est vrai, sur-tout à Paris, et sur-tout à l'égard des femmes, qui tirent des regards d'autrui la seule existence dont elles se soucient. En abordant une dame dans une assemblée, au lieu d'une Parisienne que vous croyez voir, vous ne voyez qu'un simulacre de la mode. Sa hauteur, son ampleur, sa démarche, sa taille, sa gorge, ses couleurs, son air, son regard, ses propos, ses manieres, rien de tout cela n'est à elle; et si vous la voyiez dans son état naturel, vous ne pourriez la reconnoître. Or cet échange est rarement favorable à celles qui le font, et en général il n'y a guere à gagner à tout ce qu'on substitue à la nature. Mais on ne l'efface jamais entièrement; elle s'échappe toujours par quelque endroit, et c'est dans une certaine adresse à la saisir que consiste l'art d'observer. Cet art n'est pas difficile vis-à-vis des femmes de ce pays; car, comme elles ont plus de naturel qu'elles ne croient en avoir, pour peu qu'on les fréquente assidûment, pour peu qu'on les détache de cette éternelle représentation qui leur plaît

si fort, on les voit bientôt comme elles sont; et c'est alors que toute l'aversion qu'elles ont d'abord inspirée se change en estime et en amitié.

Voilà ce que j'eus occasion d'observer la semaine derniere dans une partie de campagne où quelques femmes nous avoient assez étourdiment invités, moi et quelques autres nouveaux débarqués, sans trop s'assurer que nous leur convenions, ou peutêtre pour avoir le plaisir d'y rire de nous à leur aise. Cela ne manqua pas d'arriver le premier jour, Elles nous accablerent d'abord de traits plaisants et fins, qui, tombant toujours sans rejaillir, épuiserent bientôt leur carquois. Alors elles s'exécuterent de bonne grace; et, ne pouvant nous amener à leur ton, elles furent réduites à prendre le nôtre. Je ne sais si elles se trouverent bien de cet echange', pour moi, je m'en trouvai à merveille; je vis avec surprise que je m'éclairois plus avec elles que je n'aurois fait avec beaucoup d'hommes. Leur esprit ornoit si bien le bon sens, que je regrettois ce qu'elles en avoient mis à le défigurer; et je déplorois, en jugeant mieux des femmes de ce pays, que tant d'aimables personnes ne manquassent de raison que parcequ'elles ne vouloient pas en avoir. Je vis aussi les graces familieres et naturelles effaçoient insensiblement les airs apprêtés de la ville; car, sans y songer, on prend des manieres assortissantes aux choses qu'on dit, et il n'y a pas moyen de mettre à des discours sensés les grimaces de la coquetterie, Je les trouvai plus jolies depuis qu'elles ne cherchoient plus tant à l'être, et je sentis qu'elles n'a

que

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