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considérés comme fâcheux pour la réputation de la régente. Ses amis crurent devoir l'en entretenir et tout le parti dévot intervint pour l'amener à réformer ce qui, dans sa manière d'agir, pouvait paraître contraire aux bonnes mœurs. Voici ce que rapporte, à ce sujet, Henri de Loménie, comte de Brienne, dans ses mémoires reproduits de nos jours par M. Barrière: «La reine, est-il dit, avait pour ma mère (Mme de Brienne) beaucoup de bonté, et ma mère qui l'aimait sincèrement osa l'entretenir un jour de ces mauvais propos (tenus à la cour à l'occasion de sa liaison avec le cardinal).» Voici comment cela se passa: « C'était à l'époque où la faveur du cardinal auprès de la reine éclatait librement aux yeux de la Cour, et quand le monde malin, comme j'ai déjà dit et ne puis trop répéter, faisait le plus de bruit de leurs prétendus amours. Mme de Brienne s'était un soir recueillie, selon sa coutume, quelques instants dans l'oratoire de la reine. Sa Majesté y entra sans l'apercevoir; elle avait un chapelet dans une de ses mains, elle s'agenouilla, soupira, et parut tomber dans une méditation profonde. Un mouvement que fit ma mère la tira de sa rêverie: « Est-ce vous << Mine de Brienne? lui dit Sa Majesté. Venez, prions ensem<< ble, nous serons mieux exaucées. » Quand la prière fut finie, ma mère, cette véritable amie, ou, pour parler plus respectueusement, cette servante fidèle, demanda permission à Sa Majesté de lui parler avec franchise de ce qu'on disait d'elle et du cardinal. La bonne reine, en l'embrassant cordialement, lui permit de parler. Ma mère le fit alors avec tout le ménagement possible; mais comme elle ne déguisait rien à la reine de tout ce que la médisance publiait contre sa vertu, elle s'aperçut, sans en faire semblant, ainsi qu'elle me l'a dit elle-même après m'avoir engagé au secret, que plus d'une fois Sa Majesté rougit jusque dans le blanc des yeux, ce furent ses propres paroles. Enfin lorsqu'elle eut fini, la reine, les yeux mouillés de larmes, lui répondit : << Pourquoi, ma chère, ne m'as-tu pas dit cela plus tôt? « Je t'avoue que je l'aime et je puis même dire tendrement; << mais l'affection que je lui porte ne va pas jusqu'à l'amour,

me

« ou, si elle y va sans que je le sache, mes sens n'y ont << point de part, mon esprit seulement est charmé de la « beauté de son esprit. Cela serait-il criminel? Ne me flatte « point; s'il y a même dans cet amour l'ombre du péché, « j'y renonce maintenant devant Dieu et devant les saints, << dont les reliques reposent en cet oratoire. Je ne lui parle<< rai désormais, je t'assure, que des affaires de l'Etat, et « romprai la conversation dès qu'il me parlera d'autre <«< chose. » Ma mère, qui était à genoux, lui prit la main, la baisa, la plaça près d'un reliquaire qu'elle venait de prendre sur l'autel « Jurez-moi, Madame, dit-elle, je vous en sup<< plie, jurez-moi sur ces saintes reliques de tenir à jamais << ce que vous venez de promettre à Dieu. » Je le jure, dit la reine, en posant sa main sur le reliquaire, et je prie Dieu de me punir si j'y sais le moindre mal. « Ah! c'en est trop, << reprit ma mère tout en pleurs. Dieu est juste, et sa bonté, << n'en doutez pas, Madame, fera bientôt connaître votre << innocence. » Elles se remirent ensuite à prier tout de nouveau, et celle dont j'ai su ce fait, que je n'ai point cru devoir taire à présent que la reine a reçu dans le ciel la récompense de ses bonnes œuvres, m'a dit plusieurs fois qu'elles ne prièrent jamais l'une et l'autre de meilleur cœur. Quand elles eurent achevé leur oraison, que cet incident prolongea plus que de coutume, Mme de Brienne conjura la reine de lui garder le secret. Sa Majesté le lui promit, et en effet elle ne s'est jamais aperçue que la reine en ait parlé au cardinal; ce qui, à mon avis, est une grande preuve de son innocence. »

Cet écrit saisissant montre bien quelle était la dévotion des deux amies qui, après avoir accompli ensemble un acte religieux, épanchent ce qui est dans leur pensée et s'expriment sur les sentiments qui sont dans leur cœur. Comment expliquer ce que la reine affirme en présence des expressions passionnées qui se trouvent dans ses lettres et qui protestent contre ce qu'elle dit de la pureté de l'affection qu'elle éprouve

Le cardinal parlait donc d'autre chose.

8e SÉRIE.

TOME IX.

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pour le cardinal? Elle rougit jusque dans le blanc des yeux lorsqu'on lui rapporté, sans en rien déguiser, les propos qu'on tient sur son compte. Au lieu de protester et de montrer de l'indignation, elle avoue qu'elle aime Mazarin, et même tendrement, mais que, s'il y a dans ce sentiment de l'amour, c'est à son insu, car ses sens n'y sont pour rien. Que veut donc dire le langage brûlant qui est dans sa correspondance intime avec le ministre? Elle avoue à son amie tout ce qu'il lui est possible d'avouer; elle ne peut lui révéler l'existence d'un mariage secret qui ferait de Mazarin l'époux de la mère du roi de France, elle affirme que les rapports qu'elle a avec celui qui est l'objet de son affection n'ont rien de répréhensible, et les actes de dévotion qu'elle accomplit ne témoignent-ils pas de l'existence de cette union mystérieuse que la religion a légitimée et de cette affection qui n'a rien de coupable, puisqu'elle est celle d'une épouse envers son époux. Quant à la promesse, sous serment, de ne s'entretenir avec Mazarin, que des affaires de l'État et de rompre la conversation dès qu'il parlera d'autre chose, il faut remarquer que cette promesse était imposée à la reine sur la demande de son amie et qu'il lui était peu possible de ne pas la faire'. Ce qui fut promis ne fut pas tenu, car ce qui en était l'objet faisait défaut et ne pouvait, en aucune manière, lier Anne d'Autriche dès qu'elle était l'épouse de celui qui possédait son cœur. On peut voir, par les

4. Quant au serment sur un reliquaire, M. Cousin s'exprime ainsi dans une note: « Voilà qui est bien fort et nous persuaderait tout à fait, si nous ne nous souvenions qu'ea 4637, sortant de communier, Anne jura sur la sainte Eucharistie, qu'elle venait de recevoir, et sur le salut de son âme, qu'elle n'avait pas une seule fois écrit en Espagne, tandis que plus tard elle fit des aveux bien contraires à ses premiers serments. » La reine était accusée par Richelieu et par le roi d'avoir entretenu des rapports avec l'Espagne et les PaysBas, contrairement aux intérêts de la France, et d'avoir par là trahi son pays. Elle se trouvait ainsi dans une situation des plus critiques dont elle se tira en faisant des aveux qui lui furent arrachés et qui infirmèrent ce qu'elle avait d'abord déclaré sous serment. On a les détails, sur cette grave affaire, dans les notes mises par M. Cousin à l'appendice de son Étude sur Mme de Chevreuse, p. 416 et suivantes de l'édition de 1886.

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Carnets de Mazarin, que la reine lui révélait tout ce qui se faisait pour rompre leur union, et elle dut lui rapporter ce qui s'était passé entre elle et Mme de Brienne, car on y lit la mention suivante : « Mma di Briena e Liancourt danno grandi assalti a sua maestà per la divozione. » Le contenu de ces mots montre comment on s'adressait souvent en vain à la dévotion d'Anne d'Autriche pour l'éloigner de Mazarin. « L'évêque de Beauvais, y est-il dit, s'est adressé à Mme de Senecé, afin de parler à la reine pour qu'elle ne me voie plus si souvent dans l'intérêt de sa réputation. « Bave (Beauvais) e Senece di parlar a S. M. perche non mi vedese cosi sovente per sua reputazione1. »

Le fidèle serviteur d'Anne d'Autriche, qui avait été persécuté à l'occasion des rapports qu'elle avait entretenus avec l'Espagne, La Porte, a laissé des Mémoires dans lesquels il rapporte qu'il crut devoir entretenir sa souveraine touchant les bruits fâcheux pour sa réputation qu'on répandait à la cour. Il y mentionne qu'il lui dit un jour « que tout le monde parlait d'elle et de son éminence d'une manière qui lui devait faire songer à elle. A ces mots, continue La Porte, elle devint rouge et se mit fort en colère, disant que c'était Monsieur le Prince qui la décriait et faisait courir ces bruits que c'était un méchant homme. Je lui répliquai, continue La Porte, que puisqu'elle avait des ennemis, elle devait bien prendre garde de leur donner sujet de parler, Après avoir bien battu les vitres avec son éventail, elle s'apaisa un peu et je pris sujet de lui dire qu'elle avait un exemple bien récent pour sa conduite, savoir celui de la reine-mère Marie de Médicis et du maréchal d'Ancre, et que les fautes qu'elle avait faites la devaient instruire pour les éviter. Quelles fautes? me dit-elle... D'avoir fait mal parler d'elle et de cet Italien, lui répondis-je 2. »

Malgré tous ces avertissements, les rapports existant entre Anne d'Autriche et Mazarin restèrent les mêmes; cette

1. Deuxième carnet, p. 106.

2. Mémoires de LA PORTE, Collection Petitot, t. LIX.

persistance témoigne bien de la nature du lien indissoluble et rassurant pour la conscience de la reine, qui les justifiait.

Il nous reste maintenant à démontrer qu'aucun obstacle insurmontable n'avait pu s'apposer à ce qu'un mariage secret, propre à assurer à Mazarin la stabilité de sa position, et à permettre à la reine de se livrer à ses penchants, sans avoir à faire l'abandon de ses pratiques religieuses, n'avait pu s'élever entre eux. Montrons que la dignité de cardinal, dont Mazarin était investi, n'empêchait pas d'une manière absolue un mariage qui l'aurait uni à jamais à la reine.

IV.

Faisons d'abord remarquer qu'il y a deux sortes de cardinaux ceux qui ont reçu la consécration et qui sont cardinaux-prêtres; ceux qui sont en dehors des fonctions sacrées du sacerdoce et qui sont plus particulièrement les représentants de la partie séculière du monde catholique.

C'est une question qui n'est peut-être pas encore complètement résolue que celle de savoir si Mazarin était, à Rome, au nombre des cardinaux-prêtres ou s'il était un de ceux qui n'avaient pas la prêtrise et par rapport auxquels l'empêchement résultant des ordres sacrés n'existait pas quant au mariage. Nous convenons que des documents recueillis par M. Amédée Renée1 et par M. Loiselleur2 ont de la valeur pour établir que Mazarin était au nombre des cardinauxprêtres, quoiqu'il ne se fût pas rendu à Rome après son cardinalat et qu'il n'apparaisse pas qu'il eût reçu le chapeau. Nous croyons inutile de nous livrer à l'examen d'une semblable question d'où ne depend pas uniquement la

1. Les Nieces de Mazarin, mœurs et coutumes du dix-neuvième siècle, pp. 49 et 50.

2. Problèmes historiques, Mazarin et Anne d'Autriche, pp. 449 et suivantes.

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