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fa paffion, & l'accable par ces reproches foudroyans:

Opprobre malheureux du fang dont vous fortez;
Vous demandez la mort, & vous la méritez;
Et fi je n'écoutois que ta honte & ma gloire,
L'honneur de ma maifon, mon pere, fa mémoire;
Si la Loi de ton Dieu que tu ne connois pas,
Si ma religion ne retenoit mon bras,
J'irois dans ce palais, j'irois au moment même
Immoler de ce fer un barbare qui t'aime,
De fon indigne flanc le plonger dans le tien,
Et ne l'en retirer que pour percer le mien.
Ciel! Tandis que Louis, l'exemple de la Terre,
Au Nil épouvanté ne va porter la guerre,
Que pour venir bientôt, frappant des coups plus
fürs,

Délivrer ton Dieu même, & lui rendre ces murs
Zaïre cependant, ma fœur, fon alliée,

Au Tyran d'un ferrail par l'amour est liée :
Et je vais donc apprendre à Lufignan trahi,
Qu'un Tartare eft le Dieu que fa fille a choifi.
En ce moment affreux, hélas ! ton pere expire;
En demandant au Ciel le falut de Zaïre.

Voilà la maniere dont l'Elocution raisonne; elle émeut en perfuadant. Il feroit aifé de réduire ces mouvemens pathétiques, à de fimples argumens philofophiques; on verroit alors la féche

reffe & la langueur prendre la place de la force & de l'éloquence.

De tout ce qui vient d'être dit, on a dû conclure que l'Elocution confifte à orner de pensées nobles & d'expreflions choifies, les raifons que l'on a inventées & difpofées dans un ordre naturel, à leur donner des graces, & un tour qui gagne T'efprit & le cœur. Les moyens principaux d'y parvenir, font la pureté du langage qui eft la bafe de l'Eloquence, & que l'Eloquence préfuppofe toujours, le nombre & l'harmonie des Périodes, la propriété, le choix heureux des ftyles, & l'ufage judicieux des figures.

CHAPITRE IL

De la pureté du Langage.

CETTE

ETTE pureté du Langage, fi néceffaire pour l'Eloquence, confifte à fuir Toute expreffion baffe, triviale, déshonnéte, inulitée; à faifir le terme propre ; à ne point mettre un mot pour un autre qui exprimeroit mieux la chose que l'on veut exprimer: ces petites négligences font quelquefois plus dangereufes qu'elles ne paroiffent. Ce n'eft pas cependant qu'il faille fe piquer d'une trop fcrupu

leuse exactitude, comme font ces phleg matiques Grammairiens, qui, pour trop donner à Koreille, ôtent tout à l'imagination, se refferrent dans la fphere la plus étroite, & ne permettent jamais à Vefprit de prendre un effor un peu élevé.

Ce n'eft pas là s'attacher à la pureté, c'eft fe plonger dans le purifme, défaut dont la monotonie, la féchereffe & la langueur font les fuites infaillibles; cette erreur, fi fatale aux graces de l'imagination, ôte tous les moyens de plaire..

On ne peut au Lecteur plaire fans agrément.

Mais de tous les vices du difcours, celui qui eft le plus ridicule, & qu'il faut éviter avec le plus de foin, c'eft la fotte affectation du jargon précieux que Moliere a fi bien joué. Ce jargon a changé; ce ne font plus aujourd'hui les mêmes expreffions, mais c'eft toujours le même ridicule; c'eft un langage gigantefque, hyperbolique, qui trouve à peine des termes affez forts pour exprimer des minuties.

L'effet de ce jargon eft d'appauvrir la langue; car fi vous épuifez les termes les plus énergiques pour peindre une bagatelle, un fentiment léger que vous n'éprouvez pas ; que vous reftera-t-il pour

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exprimer une chofe forte, un fentiment vif, un bonheur ou un malheur réel ?

Il y a un autre prétendu vice d'Oraifon oppofé à celui-là, c'eft le Néologifme ou la manie de créer des mots nouveaux; ce vice qui peut être répréhenfible par fon excès, a pour but d'enrichir la Langue, & de borner le trop fréquent ufage des circonlocutions. Ce but eft raifonnable, mais il eft fouvent manqué. « Horace dit, que les mots nouveaux peuvent » faire fortune, pourvu qu'ils dérivent naturellement du Grec ». Le Latin eft pour nous ce que le Grec étoit pour les Romains. Suivant cette regle, une ex preffion nouvelle, naturellement dérivée du Latin, ne feroit point vicieufe. Combien donc le feroit-elle moins, fi elle étoit tirée du François même, & qu'elle ne fût que l'adverbe ou le fubftantif d'un verbe confacré par l'ufage?

כל

Tout nouveau mot, comme tout now veau fyftême, révolte d'abord; mais om répéte ce mot, on examine ce fyftême & on finit fouvent par s'accoutumer à J'un, & par s'attacher à l'autre.

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Quand un terme eft harmonieux quand if eft néceffaire, c'est-à-dire, qu'il épargne les longueurs d'une circonlocu tion, ou qu'il peint vivement & avec Gy

netteté une chofe qui n'auroit pas d'autre expreffion fi propre, ie crois qu'on peut lui pardonner fa nouveauté, en faveur de tant d'avantages. Mais, fi on peut fe fervir de termes nouveaux dans la converfation & dans tous les petits ouvrages d'agrément, où une négligence aimable eft fouvent une perfection, il faut les profcrire impitoyablement de tout ou vrage férieux, jufqu'à ce qu'il ait plu à la tyrannie de l'ufage de les autorifer, à moins qu'un trait de génie ne demande une expreffion nouvelle. Le privilege du Génie eft d'être quelquefois au- deffus des Loix.

Les plus fages préceptes qu'on puiffe donner fur la pureté du langage, se réduifent, à ce qu'a dit Boileau.

Sur-tout qu'en vos écrits la Langue révérée
Dans vos plus grands excès vous foit toujours fa-
Crée :

En vain vous me frappez d'un fon mélodieux,
Si le terme eft ir propre ou le tour vicieux
Mon efprit n'admet point un pompeux barbarifine,
Ni d'un Vers empoulé l'orgueilleux folécisme;
Sans la Langue, en un mot, l'Auteur le plus divia
Et toujours, quoi qu'il faffe, un méchant Ecrivain.

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