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ture qu'elle n'a d'autre part que celle de se lais- | nement du vrai et du faux; que son onction

vous enseigne les effets de cette même onction dans les ames. Ce qui me fait vous parler de la sorte, monseigneur, c'est que j'ai toujours trouvé mon compte avec mon Dieu, et avec ceux qui se sont laissé guider par son esprit. Je vous avoue ingénument que j'aime fort que mon sort soit entre ses mains. Les personnes que vous pourriez consulter sur cela n'auroient peut-être pas l'expérience et la lumière des états intérieurs: joint à ce que n'étant employés par aucun caractère à cette recherche, Dieu ne leur manifesteroit peut-être pas sa vérité. Pour vous, monseigneur, entre les mains duquel, après Dieu, j'ai remis toutes choses, j'espère de la bonté de Dieu qu'elle ne vous laissera pas prendre le change. Je n'ai point sollicité votre piété à m'approuver, puisque je ne desire que la vérité. Je ne prétends pas qu'aucunes considérations humaines rendent ma cause bonne : c'est celle de Dieu. S'il a permis que je me sois méprise, je n'ai jamais prétendu soutenir mes sentiments, mais condamner

ser mouvoir au gré de Dieu. Ils sont si simples, que l'ame qui les fait ne les distingne pas. Mais si je me suis trompée, ce n'est pas une chose fort extraordinaire qu'une femme ignorante se soit trompée. S'il y a quelque chose de bon dans mes écrits, il vient de Dieu seul : s'il y a du défaut, de la méprise et de l'erreur, il est de moi; et je ne suis pas fâchée que cela ait servi à vous faire voir, monseigneur, de quoi je suis capable. Dieu n'en est pas moins saint, et ses voies n'en sont pas moins admirables, pour avoir été écrites par une personne qui se trompe dans ses expressions. Mon dessein ne fut jamais d'imprimer; et je vous promets de ne plus ni écrire, ni parler de ces matières, ayant bien plus de penchant pour la solitude que pour toute autre chose. Comme ma Vie avoit été écrite avec une grande simplicité, j'y avois mis tout ce que je croyois avoir senti: mais puisque je me suis trompée, il n'y a, monseigneur, qu'à tout brûler. Si Dieu veut faire écrire sur ces matières dans la suite, il se servira de personnes moins mauvaises, et qui ne mêle-moi-même en moi ce que vous y condamneriez. ront pas leur propre esprit avec sa vérité. J'ai moi-même horreur de ce mélange. Ainsi, monseigneur, il n'y a qu'à tout brûler: je n'en aurai, ce me semble, aucune peine, ni même de ma condamnation, pourvu que Dieu soit glorifié,

connu et aimé.

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Je vous prie seulement, monseigneur, de faire attention que je n'ai jamais mis la piété dans les je fais le moins de cas, selon ce que j'ai eu l'honchoses extraordinaires ; que ce sont celles dont ma Vie, ce n'a été que pour obéir, sans vouloir neur de vous dire. Si je les ai marquées dans done point par-là qu'on doit juger d'une ame, qu'on s'y arrêtât le moins du monde. Ce n'est mais sur son état intérieur, très détaché de tout cela, sur l'uniformité de sa vie et sur ses écrits.

res, que vous avez pu remarquer, monseigneur : Il y a de trois sortes de choses extraordinaitérieures en silence: celle-là est très aisée à jusla première, qui regarde les communications intifier, par le grand nombre de personnes de mérite et de probité qui en ont fait l'expérience. Ces personnes, que j'aurai l'honneur de vous nommer lorsque j'aurai celui de vous voir, le peuvent justifier. Pour les choses à venir, c'est. une matière sur laquelle j'ai quelque peine qu'on fasse attention ce n'est point là l'essentiel; mais j'ai été obligée de tout écrire. Nos amis

Elle lui demande qu'il ne prenne conseil que de Dieu dans pourroient facilement vous justifier cela, soit

l'examen de ses écrits.

La confiance que Dieu m'a donnée en votre lumière et en votre discernement me fait prendre celle de vous demander que Dieu soit votre seul conseiller dans l'examen que vous voulez bien vous donner la peine de faire. Qu'il se fasse entre Dieu et vous, monseigneur; que ce soit sa pure lumière qui vous donne le discer

4 Voyez la Relation sur le Quiétisme, sect. 11. n. 4 et 8.

par des lettres qu'ils ont en main, écrites il y a dix ans, soit par quantité de choses qu'ils ont remarquées, et dont je perds facilement l'idée. Pour les choses miraculeuses, je les ai mises dans la même simplicité que le reste. J'ai écrit la vérité, telle qu'elle a paru aux autres et à moi; mais je n'en ai jamais jugé, n'y faisant pas même d'attention. Judas a fait des miracles: ainsi je suis bien éloignée de fonder sur cela.

Toute la grace que je vous demande, mon

seigneur, est de suspendre votre jugement jusqu'à ce que vous m'ayez examinée à fond. Pour le faire avec succès, il faut, s'il vous plaît, que vous ayez la charité de me voir plusieurs fois et de m'entendre. Si vous voulez bien me permettre d'aller dans votre diocèse, d'une manière inconnue, cela se feroit plus facilement et sans bruit. Je me mettrai dans un couvent, ou dans

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une maison particulière, telle qu'il vous plaîroit Tout en montrant une grande déférence pour le prélat,

de me l'ordonner, vous assurant que vous verrez en toute occasion des preuves de ma docilité, de ma soumission, et du profond respect avec lequel je suis, etc.

Ce 5 octobre 1693.

Si vous voulez bien, monseignenr, me dire vos difficultés, et ce qui vous fait peine dans les écrits et dans la Vie, j'espère que Dieu me fera la grace de vous les éclaircir. Je vous assure déja par avance que je consens que vous les brûliez tous, si notre Seigneur vous l'inspire. Je vous prie aussi de lire le Moyen court et facile de faire l'oraison.

ÉCRIT DE MADAME GUYON,
QUI ACCOMPAGNOIT SA LETTRE '.
La main du Seigneur n'est pas accourcie.

Il me semble qu'il n'y aura pas de peine à concevoir les communications intérieures des purs esprits, si nous concevons ce que c'est que la céleste hiérarchie, où Dieu pénètre tous les anges, et ces esprits bienheureux se penè

trent les uns les autres. C'est la même lumière divine qui les pénètre, et qui, faisant une réflexion des uns sur les autres, se communique de cette sorte. Si nos esprits étoient purs et simples, ils seroient illuminés; et cette illustration est telle, à cause de la pureté et simplicité du sujet, que les cœurs bien disposés qui en approchent, ressentent cette pénétration. Combien de saints qui s'entendoient sans se parler? Ce n'est point une conversation de paroles successives; mais une communication d'onction, de lumière et d'amour. Le fer frotté d'aimant attire comme l'aimant même. Une ame désappropriée, dénuée simple, et pleine de Dieu, attire les autres ames à lui; comme les hommes déréglés communiquent un certain esprit de déréglement. C'est que sa simplicité et pureté est telle, que Dieu attire par elle les autres cœurs.

elle tâche de le faire entrer dans ses sentiments.

Comme je n'ai point d'autre desir, monseigneur, que celui de vous obéir très exactement, je vous prie de m'ordonner ce qu'il vous plaît que je fasse. Je me retirai, le 13 du mois de septembre, à la campagne, dans un lieu où je n'ai de commerce qu'avec les filles qui me servent. J'en ai laissé une à Paris chez moi, qui sait seule où je suis, et qui m'envoie les lettres qu'on m'écrit. J'en ai usé de la sorte, pour éviter de donner des conseils à ceux qui m'en demandoient dans leurs besoins, jusqu'à ce que vous ayez connu, monseigneur, si je suis trompée ou non. Ce n'est pas que je puisse me défier de mon Dieu, non assurément; mais j'ai un si grand respect pour ce qu'il vous plaira de juger, ou plutôt pour ce que Dieu vous inspirera de juger de moi, que j'en croirai ce que vous m'en direz, sans néanmoins que je puisse me donner aucun mouvement par moi-même. Je suis donc prête à m'exiler moi-même pour toujours, prête aussi à revenir chez moi pour y souffrir toutes les confusions imaginables; prête encore à subir la prison, et même la mort.

Mais, monseigneur, je vous demande d'avoir pitié d'une infinité d'ames qui gémissent les enfants demandent du pain, et personne ne leur en rompt. Le diable se sert de la malice de quelques uns, qui abusent de tout, et qui, se disant intérieurs et ne l'étant point, causent beaucoup de mal; et par le scandale qu'ils donnent, nuisent extrêmement à la vérité.

De tout temps il y a eu une voie active et une contemplative; c'étoient deux sœurs qui vivoient d'intelligence. A présent, malgré le témoignage de Jésus-Christ, Marthe l'emporte sur Marie. L'on veut même établir celle-là sur la ruine de l'autre; l'on travaille à détruire la

Saint Augustin parle de ce silence dans ses Confessions, où il dit que parlant avec sainte Monique, ils furent enlevés dans ce silence ineffable; mais qu'à cause de la foi-vérité, croyant l'établir. blesse il en faut revenir aux paroles. Plût à Dieu que nos cœurs fussent assez purs, pour n'avoir point d'autre communication avec les créatures. Lorsqu'on est deux ou trois assemblés au nom du Seigneur, on éprouve si fort qu'il y est, qu'il faut avouer que s'il y a de la tromperie, Dieu s'en mele; car il est certain que le diable ne peut entrer

1 Voyez Relation sur le Quiétisme, sect. 11, n. 9.

C'est cette vérité, monseigneur, qui a recours à vous. Vous l'avez si bien défendue contre les ennemis de la religion catholique, défendez-la encore, sitôt que Dieu vous la fera sentir; je dis sentir, car cette vérité n'est pas de simple spéculation, comme bien d'autres, elle est d'expérience. Que je la souhaite pour vous, monsei

gneur, cette heureuse expérience, qui rend l'amertume douce, qui change la douleur en félicité, qui fait d'heureux misérables, qui leur apprend qu'il n'y a de solide plaisir que dans la perte de tout ce que les hommes peu éclairés appellent de ce nom!

Je ne desire point, monseigneur, être justifiée personnellement; mais je desire que quelqu'un fasse connoître que les sentiers de l'intérieur ne sont ni faux, ni chimériques, ni pleins d'erreurs. J'ose dire que l'ouvrage de l'intérieur est celui de Dieu : s'il n'étoit point son ouvrage, il se détruiroit de lui-même; mais comme c'est le sien, il se multiplie, comme les Israélites, par l'oppression et la persécution. Les personnes les plus grossières, que Dieu instruit lui-même, sont conduites par-là. Il y en a qui souffrent des tourments inexplicables, faute de secours. Vous en gémiriez, monseigneur, si vous le voyiez car plus ces pauvres ames sont combattues par les doutes et les incertitudes où l'on les met, plus Dieu les exerce d'une manière surprenante, se servant même souvent des démons pour cela. Que je périsse, monseigneur, comme une victime de la justice de mon divin Maître; mais ayez pitié de ces pauvres ames; cela est digne de vous.

Qu'il sera glorieux à un prélat si plein de science, de zèle et de piété, de démêler le faux du vrai ! Vous verrez par la lettre ci-jointe que je vous prie de brûler après l'avoir lue, la peine de certaines ames : il y en a de cette sorte bien plus qu'on ne pense. Je n'ose plus répondre à personne sur ces matières : il me semble que je serois prête de mourir pour une seule ame, et prête aussi de ne parler jamais à aucune. Condamnez mes méprises, monseigneur, si vous en trouvez dans mes écrits: je les condamne dès à présent moi-même ; mais démêlez la vérité de mes mauvaises expressions, et devenez son défenseur, après m'avoir jugée sévèrement. J'espère, monseigneur, que vous ne désagréerez pas ma liberté, puisqu'elle est produite par la confiance que notre Seigneur me donne en vous, et que vous vous laisserez persuader de mon profond respect et de ma parfaite soumission.

Ce 22 octobre 1693.

LETTRE VI.

DE MADAME GUYON A BOSSUET.

monsei

Elle l'assure de son desir de connoitre la vérité par son canal, et lui demande de conférer avec lui. J'attends vos ordres, monseigneur, pour me rendre où il vous plaira '; vous assurant que je n'ai point d'autre desir que de vous obéir, non seulement comme à un évêque pour lequel j'ai un fort grand respect, mais comme à une personne pour laquelle notre Seigneur me donne une entière confiance. Je conserve dans mon cœur toute la reconnoissance que je dois de la peine que vous prenez pour éclaircir la vérité sans prévention. J'ose vous assurer, gneur, que Dieu vous en récompensera dès cette vie par l'abondance de ses graces. Jésus-Christ et Bélial ne sont jamais en même lieu; il faut que l'un cède la place à l'autre. Où Jésus-Christ se fait sentir, il est aisé de conclure que le démon n'y a pas de part: cependant Dieu permet qu'on ne puisse le discerner en moi. J'attends de vous, monseigneur, la connoissance de la vérité, résolue de croire de moi ce que votre cœur vous en dira. C'est ce cœur vide que je prends pour mon juge, espérant que Dieu le fera sortir de cet équilibre où vous l'avez tenu avec tant de droiture et de fidélité; ce que je vous proteste n'avoir point encore trouvé, jusqu'à ce que notre Seigneur m'ait adressée à vous, seigneur, pour lequel je conserverai toute ma vie un respect inviolable et une soumission

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mon

Ayez la bonté de me faire savoir le lieu et le temps où il vous plaît que j'aie l'honneur de vous voir afin de m'y rendre il faut que je sois avertie quelques jours devant, à cause d'une voiture. Si vous avez cette bonté, et que M. de Chevreuse ne soit pas à Paris, vous aurez, s'il vous plaît, celle d'envoyer chez madame la duchesse de Charost, qui me le fera savoir.

LETTRE VII.

DE MADAME GUYON A Bossuet **.

Je ne vous importunerai plus, si vous avez la Sur son desir sincère d'être éclairée, et sa pleine confiance bonté de me faire savoir votre volonté.

⚫ C'étoit la lettre d'une de ses disciples, qui étoit, dit l'abbé Ledieu, pleine de tous les excès de la doctrine de madame Guyon et de Molinos même.

aux lumières du prélat.

Permettez-moi, monseigneur, avant d'être

Relation, sect. I, n. 4; sect. II, n. 20.

* L'entrevue se fit à Paris, chez M. l'abbé Janon, rue Cassette, après que Bossuet ent célébré la messe dans l'église des religieuses du Saint-Sacrement, del a même rue.

**Cette lettre fut écrite la veille même du jour de la première

sans aucune res

examinée, que je vous proteste que je ne viens point ici, ni pour me justifier, ni pour me défendre, ni même pour expliquer des termes qui pourroient avoir une interprétation favorable si je les expliquois comme je les entends, et qui pourroient faire peine étant pris à la lettre. Je ne viens point, dis-je, pour cela; mais pour vous obéir, pour me condamner moi-même sans qu'il soit besoin d'examen, à moins que vous ne le jugiez nécessaire; vous protestant que je condamne de tout mon cœur, triction, en présence de mon Dieu, tout ce que vous condamnez, ou en ma conduite, ou en mes écrits. Mon cœur me rend ce témoignage, que je ne tiens à rien du tout. J'ai desiré, j'ai demandé qu'on m'éclairât dans mes égarements; mais l'on s'est toujours contenté de crier contre moi que j'étois hérétique, méchante et abominable, sans vouloir me montrer mes égarements, et me prêter une main secourable pour m'en monseitirer. Mon cœur m'a adressée à vous, gneur, il y a long-temps; mais ma timidité me retenoit. Nos amis me proposèrent d'être examinée par trois personnes : j'y consentis par soumission; et je pris la liberté de leur mander que je me ferois examiner par qui il leur plairoit; mais que mon cœur n'avoit de penchant que pour vous. Dieu a fait voir que je ne me suis point trompée. Aucun des autres n'a voulu ni me voir, ni m'entendre. Vous seul, monseigneur, avez eu cette charité, sans faire attention au décri dans lequel je suis. Je ne doute point que Dieu ne récompense votre charité aussi ma soumission et ma confiance est-elle entière. Ordonnez de moi ce qu'il vous plaira. Quoique je n'aie point un jour de santé, je suis prête à faire tout ce qu'il vous plaira de m'ordonner, espérant que Dieu me donnera la force de vous obéir.

Il y a deux choses à regarder dans mes écrits; ce qui regarde l'avenir, et le sens de la doctrine. Pour les choses extraordinaires, outre que je n'en ai jamais fait de cas, que je ne les ai écrites que par simplicité et obéissance, l'événement en fera voir la vérité. Dans le sens de la doctrine, il y a ce qui est essentiel, et ce qui n'est que d'expression. Pour l'essentiel, comme j'ai écrit sans savoir ce que j'écrivois, j'ai pu être trompée en tout pour l'expression, je n'y ai jamais fait attention, non plus qu'à la diction; notre Seigneur m'ayant fait comprendre alors qu'il me susciteroit une personne qui les mettroit comme

ils doivent être, et pour l'un et pour l'autre.

Je suis donc toute prête, monseigneur, à vous éclaircir sur toutes mes pensées, et du sens auquel j'entends les choses; prête à tout condamner sans nul examen, contente que vous mettiez tout au feu. Faites-vous remettre en main les originaux et les copies je vous les résigne si absolument, que, quoi que vous en puissiez faire, je ne m'en informerai jamais. J'ai une reconnoissance que je ne vous puis exprimer de toutes vos bontés, monseigneur. Je serai demain à huit heures, s'il plait à Dieu, aux filles du SaintSacrement; offrez-moi, s'il vous plaît, à mon divin Maître, comme une victime consacrée à toutes ses volontés, et faites-moi la grace de me regarder comme la personne du monde qui est avec le plus de respect et de sincérité, etc. Ce 29 janvier 1694.

LETTRE VIII.

DE MADAME GUYON A BOSSUET,
ÉCRITE LE SOIR MÊME DU JOUR DE L'ENTREVue.
Elle manifeste ses dispositions, et aime à se persuader que
le prélat entrera dans ses sentiments.

Je prends encore la liberté, monseigneur,
d'écrire à Votre Grandeur, pour lui dire qu'il
est impossible qu'une ame aussi droite que la
sienne ne soit pas éclairée de la vérité de l'inté-
rieur car pour moi, monseigneur, je me re-
garde comme un chien mort. Quand je serois la
plus misérable du monde, il n'en seroit pas
moins vrai que Dieu veut établir son règne dans
le cœur des hommes, qu'il le veut faire par l'in-
térieur et l'oraison, et qu'il le fera malgré toutes
sortes d'oppositions. J'ose même vous assurer
que vous sentirez la force de cet esprit,
d'une autre manière que vous ne l'avez sentie;
et, malgré le mépris que j'ai pour moi-même, je
ne puis m'empêcher de m'intéresser infiniment
auprès de Dieu pour vous, Monseigneur. J'es-
père que ma liberté ne vous offensera pas,
que vous la regarderez comme un effet de ma
reconnoissance et de l'entière confiance que
notre Seigneur me donne en vous, qui ne dimi-
nue point le profond respect avec lequel je serai
toute ma vie, etc.

Ce 30 janvier 4694,

tout

et

Comme M. le duc de Chevreuse n'est pas toujours à Paris, si vous voulez bien me faire savoir votre volonté, lorsque tout sera préparé: il n'y a qu'à m'envoyer vos ordres chez maentrevue du prélat avec madame Guyon, dont il est parlé dame la duchesse de Charost. dans la note précédente.

• Voyez Relation, sect. 11, n. f.

Ce samedi au soir, 30 janvier.

LETTRE IX.

DE MADAME GUYON A BOSSUET.

Sur l'impossibilité où elle se prétendoit de faire à Dieu aucune demande; les raisons qu'elle croyoit avoir eu d'écrire, et le sens de certaines expressions.

Je vous avois prié, monseigneur, de m'aider de vos conseils pour me tirer de mes égare- | ments mais ce seroit abuser de votre bonté, ce seroit vous tromper, que de feindre ce qui n'est pas en ma puissance; et j'aimerois mieux mourir de la misère la plus honteuse, que de vous tromper un moment. Lorsque vous m'avez dit, monseigneur, de demander et desirer, j'ai voulu essayer de le faire, et je n'ai eu qu'un plus grand témoignage de mon impuissance. Je me suis trouvée comme un paralytique, à qui l'on dit de marcher parcequ'il a des jambes : les efforts qu'il veut faire pour cela ne servent qu'à lui faire sentir son impuissance. L'on dit dans les règles ordinaires : Tout homme qui a des jambes doit marcher. Je le crois, je le sais cependant j'en ai, et je sens bien que je ne m'en puis servir; et ce seroit abuser de votre charité que de promettre ce que je ne puis tenir. Il y a des impuissances spirituelles comme des corporelles. Je ne condamne point les actes ni les bonnes pratiques, à Dieu ne plaise! je ne donne point de remède à ceux qui marchent; mais j'en donne pour beaucoup qui ne peuvent faire ces actes distincts. Vous dites, monseigneur : Ces remèdes sont dangereux, et l'on en abuse : il n'y a qu'à les ôter; mais ceux qui en ont besoin ne trouvent personne qui leur en donne. Vous dites, monseigneur, qu'il n'y a que quatre ou cinq personnes en tout au monde qui aient ces manières d'oraison, et qui soient dans cette difficulté de faire des actes et je vous dis qu'il y en a plus de cent mille dans le monde. Ainsi l'on a écrit pour ceux qui étoient en cet état. J'ai tâché d'ôter un abus, et c'est ce qui a fait l'excès de mes termes, qui est que des ames qui commencent à sentir certaines impuissances (ce qui est fort commun) croient être au sommet; et j'ai voulu, en relevant ce dernier état, leur faire comprendre leur éloignement.

Pour ce qui regarde le sens de la doctrine, je suis une ignorante. J'ai cru que mon directeur ôteroit les termes mauvais, qu'il corrigeroit la doctrine. Je crois, monseigneur, tout ce que vous me faites l'honneur de me dire; j'aimerois mieux mourir mille fois, que de m'écarter des sentiments de l'Eglise. Je rétracte done, désavoue, condamne tout ce que j'ai dit et écrit qui y peut être contraire. Je m'accuse de témérité, d'illusion, de folie.

Je dois dire à Votre Grandeur, que lorsque j'ai parlé de cette concupiscence ou propriété, je n'ai entendu parler que d'une dissemblance qui empêche l'ame d'être unie à Dieu, d'un rapport à soi très subtil, d'un propre intérêt spirituel, d'une répugnance que la nature a de se laisser détruire au point qu'il faut pour être unie à Dieu. J'ai cru éprouver tout cela. J'accuse ma tromperie, et vous demande, monseigneur, de brûler tous mes écrits, et qu'il soit fait défense d'imprimer davantage des livres défendus. Ceux qui le sont, je les abjure et déteste comme de moi c'est tout ce que je puis.

Du reste, je suis indigne des peines que vous avez prises; et je vous proteste, monseigneur, que j'en aurai une reconnoissance éternelle. Je vous promets devant Dieu de ne jamais écrire que pour mes affaires temporelles, et de ne parler jamais à personne. Je crois, monseigneur, que cela est suffisant pour réparer tous les maux que j'ai faits. Agréez donc que, ne pouvant faire ce que vous croyez que je dois faire, qui sont des demandes, des prières pour moi, et me trouvant impuissante de vous obéir, je me regarde comme un monstre qui doit être effacé du commerce des hommes, et qui ne doit plus abuser un prélat si plein de charité, et pour lequel j'aurai toute ma vie un profond respect et une extrême reconnoissance, etc.

Ce 10 février 4694.

J'ai une si grande fièvre, que j'ai peine à écrire. Excusez mes expressions, monseigneur, et agréez la sincérité de mon cœur.

LETTRE X.

DE MADAME GUYON A BOSSUET.

Sur son obéissance pour le prélat, et la confiance qui l'avoit engagée à lui communiquer sa Vie écrite par ellemême.

Lorsque je pris la liberté de vous demander de m'examiner, c'étoit avec une disposition sincère de vous obéir aveuglément, et de suivre ce que vous m'ordonneriez comme Dieu même ‘. J'ai tâché de le faire jusqu'à présent, vous ayant obéi avec une extrême ponctualité, ainsi que nos amis pourront vous en assurer. Ce fut par excès de confiance que je vous donnai la Vie, que j'étois prête à brûler comme le reste, si Votre Grandeur me l'avoit ordonné. Vous voyez bien que cette Vie ne se peut montrer que par excès

Voyez la Relation sur le Quiétisme, sect. 11, n. 3, 4 et suiv.

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