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On dit bien vrai qu'il n'y a point de pires sourds que ceux qui ne veulent point entendre.

LUCINDE.

Hé bien! Lisette, j'avois tort de cacher mon déplaisir, et je n'avois qu'à parler pour avoir tout ce que je souhaitois de mon père! Tu le vois.

LISETTE.

Par ma foi, voilà un vilain homme; et je vous avoue que j'aurois un plaisir extrême à lui jouer quelque tour. Mais d'où vient donc, madame, que jusqu'ici vous m'avez caché votre ma!?

LUCINDE.

Hélas! de quoi m'auroit servi de te le découvrir plus tôt?

et n'aurois-je pas autant gagné à le tenir caché toute ma vie? Crois-tu que je n'aie pas bien prévu tout ce que tu vois maintenant, que je ne susse pas à fond tous les sentiments de mon père, et que le refus qu'il a fait porter à celui qui m'a demandée par un ami n'ait pas étouffé dans mon ame toute sorte d'espoir ?

LISETTE.

Quoi! c'est cet inconnu qui vous a fait demander, pour qui vous...?

LUCINDE.

Peut-être n'est-il pas honnête à une fille de s'expliquer si librement; mais enfin je t'avoue que, s'il m'étoit permis de vouloir quelque chose, ce seroit lui que je voudrois. Nous n'avons eu ensemble aucune conversation, et sa bouche ne m'a point déclaré la passion qu'il a pour moi; mais dans tous les lieux où il m'a pu voir, ses regards et ses actions m'ont toujours parlé si tendrement, et la demande qu'il a fait faire de moi m'a paru d'un si honnête homme, que mon cœur n'a pu s'empêcher d'être sensible à ses ardeurs; et cependant tu vois où la dureté de mon père réduit toute cette tendresse.

LISETTE.

Allez, laissez-moi faire. Quelque sujet que j'aie de me plaindre de vous du secret que vous m'avez fait, je ne veux pas laisser de servir votre amour; et, pourvu que vous ayez assez de résolution...

LUCINDE.

Mais que veux-tu que je fasse contre l'autorité d'un père? Et, s'il est inexorable à mes vœux...

LISETTE.

Allez, allez, il ne faut pas se laisser mener comme un oison; et pourvu que l'honneur n'y soit pas offensé, on peut se libérer un peu de la tyrannie d'un père. Que prétend-il que vous fassiez? N'êtes-vous pas en âge d'être mariée ? et croit-il que vous soyez de marbre? Allez, encore un coup, je veux servir votre passion je prends dès à présent sur moi tout le soin de ses intérêts, et vous verrez que je sais des détours... Mais je vois votre père. Rentrons, et me laissez

SCÈNE V. SGANARELLE, seul.

Il est bon quelquefois de ne point faire semblant d'entendre les choses qu'on n'entend que trop bien; et j'ai fait sagement de parer la déclaration d'un desir que je ne suis pas résolu de contenter. A-t-on jamais rien vu de plus tyrannique que cette coutume où l'on veut assujettir les pères, rien de plus impertinent et de plus ridicule que d'amasser du bien avec de grands travaux, et d'élever une fille avec beaucoup de soin et de tendresse, pour se dépouiller de l'un et de l'autre entre les mains d'un homme qui ne nous touche de rien? Non, non, je me moque de cet usage, et je veux garder mon bien et ma fille pour moi.

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LISETTE, courant sur le théâtre, et feignant de ne pas voir Sganarelle. Ah! malheur! ah! disgrace! ab! pauvre seigneur Sganarelle, où pourrai-je te rencontrer ?

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Ah! misérable père ! que feras-tu, quand tu sauras celle nouvelle?

Que sera-ce?

SGANARELLE, à part.

LISETTE.

Ma pauvre maîtresse !

SGANARELLE.

Je suis perdu!

LISETTE.

Ah!

SGANARELLE, courant après Lisette.

Lisette !

LISETTE.

Quelle infortune!

SGANARELLE.

Lisette!

LISETTE.

Quel accident!

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Monsieur, ne pleurez donc point comme cela, car vous me fericz rire.

Dis donc vite.

SGANARELLE.

LISETTE.

Votre fille, toute saisie des paroles que vous lui avez dites, et de la colère effroyable où elle vous a vu contre elle 2, est montée vite dans sa chambre, et, pleine de désespoir, a ouvert la fenêtre qui regarde sur la rivière.

Hé bien !

SGANARELLE.

LISETTE.

Alors, levant les yeux au ciel Non, a-t-elle dit, il m'est impossible de vivre avec le courroux de mon père; et puisqu'il me renonce pour sa fille, je veux mourir.

Elle s'est jetée?

SGANARELLE.

LISETTE.

Non, monsieur. Elle a fermé tout doucement la fenêtre, et

Moliere a repete ce commencement de scene dans les Fourberies de Scapin. Et de la fureur effroyable où elle vous a vu contre elle.

VAR.

s'est allée mettre sur son lit. Là, elle s'est prise à pleurer amèrement; et tout d'un coup son visage a pâli, ses yeux se sont tournés, le cœur lui a manqué, et elle est demeurée entre mes bras.

SGANARELLE.

Ab! ma fille! Elle est morte?

LISETTE.

Non, monsieur. A force de la tourmenter, je l'ai fait revenir; mais cela lui reprend de moment en moment, et je crois qu'elle ne passera pas la journée 1.

SGANARELLE.

Champagne! Champagne! Champagne!

SCÈNE VII. SGANARELLE, CHAMPAGNE, LISETTE.

SGANARELLE.

Vite, qu'on m'aille querir des médecins, et en quantité. On n'en peut trop avoir dans une pareille aventure. Ah! ma fille! ma pauvre fille!

SCÈNE VIII.

PREMIER INTERMÈDE.

Champagne, valet de Sganarelle, frappe, en dansant, aux portes de quatre médecins.

SCÈNE IX.

Les quatre médecins dansent, et entrent avec cérémonie chez

Sganarelle.

Il est aisé de voir que Reguard a dessiné ses Folies amoureuses d'après cette scène, et d'après toute la pièce.

(Bret.)

FIN DU PREMIER ACTE.

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