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A l'heureuse convalescence

Pour de nouveaux plaisirs donne de nouveaux sens;
A ses regards impatients

Le chaos fuit; tout naît; la lumiere commence;
Tout brille des feux du printemps.

Les plus simples objets, le chant d'une fauvette,
Le matin d'un beau jour, la verdure des bois,
La fraîcheur d'une violette;
Mille spectacles qu'autrefois
On voyoit avec nonchalance,
Transportent aujourd'hui, présentent des appas
Inconnus à l'indifférence,

Et que la foule ne voit pas.
Tout s'émousse dans l'habitude;
L'amour s'endort sans volupté;

Las des mêmes plaisirs, las de leur multitude,
Le sentiment n'est plus flatté;

Dans le fracas des jeux, dans la plus vive orgie,
L'esprit, sans force et sans clarté,

Ne trouve que la léthargie

De l'insipide oisiveté.

Cléon, depuis dix ans de fêtes et d'ivresse,

Frais, brillant d'embonpoint, ramené chaque jour

Entre la jeunesse et l'amour,
Dans le néant de la mollesse

Dort et végete tour-à-tour:

Lysis, depuis long-temps plongé dans les tenebres, Entre Hippocrate et les ennuis,

Libre de leurs chaînes funebres,

Vient de quitter enfin leurs lugubres réduits.
Observez-les tous deux dans une même fête:
Cléon n'y paroîtra que distrait ou glacé;
Tout glisse sur ses sens, nul plaisir ne s'arrête
Au fond de son cœur émoussé :

Tout charmera Lysis; cette nymphe est plus belle,
Cette sirene a mieux chanté,

D'un plus aimable feu ce champagne étincelle,
Ces convives joyeux sont la troupe immortelle,
Cette brune charmante est la Divinité.

Cléon est un sultan qu'un bonheur trop facile
Prive du sentiment, des ardeurs, des transports;
En vain de cent beautés une troupe inutile
Lui cherche des desirs; infructueux efforts!

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Mahomet est au rang des morts.
Lysis, dans ses ardeurs nouvelles,
Est un voyageur de retour;
Eloigné des jeux et des belles,

Le plus triste vaisseau fut long-temps son séjour :
Il touche le rivage, à l'instant tout l'invite;
Et pour Lysis, dans ce beau jour,

La premiere Phyllis des hameaux d'alentour
Est la sultane favorite,

Et le miracle de l'Amour.

ÉPITRE VII.

A M. ORRY,

CONTROLEUR-GÉNÉRAL.

NOUVEL

OUVEL an, compliments nouveaux, Eternelle cérémonie,

Inépuisables madrigaux,

Vers dont on endort son héros,

Courses à la cour qu'on ennuie:
Faut-il qu'un sage s'associe
A la procession des sots?
Aussi, bien moins pour satisfaire
Un usage fastidieux,

Que reconnoissant et sincere
Pour un ministre généreux,
J'aurois de la naissante année
Donné la premiere journée
A lui porter mes premiers vœux,
Si par la bise impitoyable
Qui vient d'enrhumer tout Paris,
Je ne me fusse trouvé pris,

Et si, sur l'avis détestable
D'un vieil empirique pendable,
Je ne me fusse encor muni
Des feux d'une fievre effroyable,
Que je n'aurois point eus sans lui.
Or, dans les chimeres qu'inspire
Un transport, un brûlant délire,
De fantômes environné,
(Je m'en souviens) j'imaginai
Que rayé du nombre des êtres,
Par Hippocrate empoisonné,
J'étois où gisent nos ancêtres;
Là, près d'un fleuve infortuné,
Et parmi la défunte troupe,
Qui, pour passer à l'autre bord,
Attendoit la noire chaloupe,
M'occupant peu, m'ennuyant fort,
Et ne sachant enfin que faire,
(Car que fait-on quand on est mort?)
Je rappelois ma vie entiere,
Et ne reprochois rien au sort.
Non, si par la métempsycose,
Me disois-je, on quittoit ces lieux
Pour revoir la clarté des cieux,

Et

que le choix suivit mes vœux, Je ne serois rien autre chose Que ce que m'avoient fait les dieux. Par un ministre digne d'eux,

Sans projet, sans inquiétude,
Libre de toute servitude,
Cherchant tour-à-tour et quittant
Et le monde et la solitude,
Entre les plaisirs et l'étude
Je vivois obscur et content.
D'un délire ce fut l'image,
Il l'étoit de la vérité.

Vous, qui recevez mon hommage,
D'un loisir qui fut votre ouvrage
Confirmez la tranquillité;

Ainsi, gravée en traits de flamme, La gratitude de mon sort, Immortelle comme mon ame,

Me suivra jusqu'au sombre bord.

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