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nous ne sommes pas encore à son niveau, et ses vingt mille bâtimens nous accableraient bientôt de sa supériorité manufacturière si nous levions prématurément Les obstacles que nous opposons à l'introduction de ses produits. L'Angleterre demande la réciprocité ? Maintenons la douane. Avant un quart de siècle, nous serons ses égaux, et peut-être ses maîtres en industrie. Oh! alors c'est la France qui demandera la réciprocité, et l'Angleterre qui maintiendra la douane.

J.-G. Y.

SALON DE 1824.

SIXIÈME ARTicle.

EURIPIDE a représenté deux vierges royales que la superstition et la cruauté des Grecs immolent sur un autel. La première est offerte à Diane pour obtenir d'elle des vents favorables au départ de l'armée; on sacrifie la seconde pour apaiser les mânes d'Achille. La conception du caractère d'Iphigénie fait le plus grand honneur à la raison d'Euripide. Naïve comme son âge le demande, et fidèle au vœu de la nature, la fille d'Agamemnon commence par supplier son père de ne pas lui donner la mort. Elle ne voudrait pas voir avant le temps le noir séjour des ombres ; il est si doux de voir la lumière du ciel! Son père ne peut exaucer sa prière; alors elle s'élève par degrés jusqu'à la noble pensée de mourir pour le salut de la Grèce. Quelle gloire, d'être la libératrice de son pays! Et puis, ajoute-t-elle avec une soumission religieuse : « Si Diane veut qu'on m'immole, faible mortelle, pourrais-je résister à une déesse ? » Un peu plus loin, on l'entend répondre au généreux Achille qui brûlait de la défendre : « Que la fille de Tyndare soit par sa beauté suprême une cause de guerre et de carnage entre les hommes, vous, hôte de ma famille, ne mourrez pas, ne faites mourir personne pour moi. Dans toutes ses paroles l'hé

VII.

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roïsme n'a ni emphase ni orgueil, il est simple comme la résignation lorsqu'elle est une vertu pleine de constance. Aristote se trompe quand il blâme cette savante conception d'Euripide. Il aurait dû encore reconnaître une admirable observation du cœur humain, dans la scène qui suit celle où Iphigénie a parlé avec tant de grandeur. Non content de nous inspirer de l'admiration pour la victime, il veut nous la faire aimer, et c'est au moment des adieux qu'il lui prête ces touchantes paroles: Ma mère ne coupez point vos cheveux à cause de moi, ne prenez pas de noirs vêtemens; ne laissez ma sœur revêtir des habits de deuil. Chérissez mon père et votre époux. » Clytemnestre tombe évanouie, on l'enlèvedans le palais; la religion s'empare d'Iphigénie, qui excite le chœur à chanter un hymne à Diane. Un seul trait échappé dans cette scène porte l'expression d'un regret: O Mycènes! tu m'as vu naître comme un astre brillant.. ; mais non, je ne refuse pas de mourir. »

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Polyxène, fille d'Hécube, entourée des souvenirs les plus cruels, consternée de la perte de Priam, de celle d'Hector et de tous ses frères, réservée à l'esclavage, et conservant la fierté de sa naissance, est familiarisée avec la mort; elle l'a vu sous cent formes différentes, elle connaît le monstre, mais elle ne le craint point; toute sa sollicitude s'applique à Hécube qu'elle ne pourra plus soulager. Il n'y a rien de plus vrai, de plus beau que les paroles qu'elle adresse tour à tour à sa mère et à Ulysse. Puis au milieu du courage qui éclate dans tout ce qu'elle dit, on entend ces cris du cœur qu'Euripide semble avoir retenus, tant ils ont l'accent de la nature: Je vais dans le séjour des morts loin de ma mère.

- Ma mère, que dirai-je 'pour vous à Hector? Que dirai-je à l'auguste vieillard votre époux? - Adieu, ma mère! adieu, ma chère Cassandre! Ulysse,

couvrez ma tête d'un voile, emmenez-moi; car avant d'être immolée, je sens mon cœur se dissoudre aux cris de ma mère, et je la fais mourir par mes larmes! O lumière ! je puis encore invoquer ton nom ; mais je n'ai plus pour jouir de toi que le court instant où je vais me placer entre le glaive et le tombeau d'Achille. »

Quand Euripide a conduit Iphigénie à l'autel, il lui prête le langage le plus tendre et le plus noble en même temps: Mon père, me voici ; je viens m'offrir volontairement pour ma patrie et pour toute la Grèce, si toutefois l'oracle le demande. Voici mes derniers vœux:

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Grecs, soyez heureux, obtenez la victoire et un prompt retour dans la terre natale. Mais qu'aucun de vous ne mette les mains en secret sur mói: je tendrai la gorge avec courage. » La différence des caractères exigeait un autre ton, un accent plus mâle dans l'infortunée Polyxène qui pleure Priam, Hector et Troie :

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Grecs, destructeurs de ma patrie, je veux mourir! Que personne ne porte les mains sur moi; je tendrai » la gorge au glaive avec courage. Mais laissez-moi » libre ; au nom des dieux, envoyez-moi libre aux » enfers: reine, je rougirais d'y porter le nom d'es" clave. »

En regardant le tableau de M. Drolling, on reconnaît qu'il a médité son Euripide; il a donné à Polyxène, avec la candeur de son sexe, une expression grave et sévère. La fille de Priam est une femme forte qui a quelque chose de viril dans sa personne comme dans son

caractère. L'attendrissement de cette espèce de femme, touche profondément parce qu'il vient de la douleur sans faiblesse; le peintre a-t-il su observer et saisir cette nuance? a-t-il encore gravé sur le front de Polyxène cette empreinte du malheur qui serait ineffaçable, même lorsque la victime traînerait encore une longue existence sur la terre? Je ne le crois pas : il ne me paraît pas avoir encore acquis la science des expressions. Son Ulysse, un peu court de forme et trop ramassé, offre une immobilité parfaite; cependant il a été vraiment ému par les plaintes et les prières d'Hécube; Euripide le laisse bien voir. On ne devait pas oublier que le fils de Laërte était père; assurément la jeunesse et le sort de Polyxène doivent lui rappeler son fils Télémaque. Cependant comme il est maître de lui-même, comme il savait se composer, comme il remplit en ce moinent un ordre du prince et de la patrie, je ne pousserai pas trop loin l'exigence envers M. Droling. La critique judicieuse et de bonne foi ne doit pas chercher à multiplier les difficultés d'un art qui demande la réunion de tant de qualités.

Cette indulgence ne s'étendra point aux deux femmes qui accompagnent Hécube, et dont l'une veut retenirle désespoir de la reine: attitude, figure, mouvement, action, tout est en elles d'une insupportable froideur. Ce sont de véritables suivantes à qui leur dépendance a fait une ame d'esclave insensible aux malheurs de la famille de Priam; elles n'ont de larmes ni la pour vénérable Hécube, ni pour Polyxène qui est de leur âge peut-être. Combien ces femmes different de ces personnages habilement jetés dans les choeurs des tragédies grecques, et qui prennent une si grande part à

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