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narchie, pour la noblesse, pour le clergé et pour la France ellemême. Elle démontra d'une manière évidente à la nation la nécessité de changer, si elle ne voulait périr, un système de gouvernement où le caprice du monarque décidait de tout. Que devaient penser en effet une magistrature et une bourgeoisie que la corruption des mœurs n'avait pas encore atteintes et qui la détestaient d'autant plus qu'elles, s'en sentaient menacées, d'une société officielle où les complaisances d'une courtisane étaient le moyen du pouvoir?

Toute l'histoire du règne de la Pompadour se résume en trois faits une lutte contre les parlements qui fit pénétrer jusque dans le peuple la haine du pouvoir royal, une guerre désastreuse qui le montra incapable et dédaigneux des intérêts de la nation, et enfin la constitution définitive du parti de l'opposition radicale ou du parti philosophique.

Ce fut un acte au moins imprudent, et peut-être même une erreur d'un prélat respectable, qui mit de nouveau en mouvement les passions libérales et même l'esprit de corps des parlements. La position du clergé était alors des plus difficiles; mais il paraissait ne pas s'en apercevoir. Il semblait avoir oublié que sa force repose non sur une autorité temporelle ou sur des biens matériels, mais sur la confiance du peuple en son désintéressement et en son indépendance. Ayant conservé, par un privilége spécial, l'usage de s'assembler pour discuter la quotité de l'impôt qu'il accordait sous le nom de don gratuit, le clergé s'était refusé constamment à prendre dans les dépenses publiques une part en rapport avec ses richesses, qui étaient considérables. En 1749, le chancelier D'Aguesseau, en quittant le ministère, punit ses refus par un édit, dit de main morte, qui lui ôtait la faculté d'acquérir de nouveaux biens, et d'établir de nouvelles maisons religieuses sans l'autorisation du roi. L'année suivante on lui demanda une estimation de ses biens. Le but était évident on ne voulait connaître ses revenus que pour savoir quelle taxe il devait payer. Aussi opposa-t-il ses immunités. Il réussit même à faire transférer à la marine le ministre dont il craignait la fermeté dans la place de contrôleur général. Ce succès fut un malheur pour la religion, avec laquelle on ne cessa de confondre ses ministres. Ses ennemis en triomphèrent. Il n'y eut personne qui ne vît d'un mauvais œil ce soin persistant à s'exempter des charges qui pesaient sur le peuple.

Ce fut dans ce moment où l'opinion publique était plus que jamais irritée, que M. de Beaumont, archevêque de Paris, prélat

d'ailleurs à tous égards digne de sa place, soit scrupule, soit espérance de détruire les derniers restes du jansénisme, ordonna à son clergé de refuser le dernier sacrement aux mourants qui ne présenteraient pas un billet de confession signé d'un prêtre orthodoxe (1752). Parmi les premières victimes de cette mesure, on remarqua le duc d'Orléans, dit le dévot; Coffin, recteur de l'université, etc. Le parlement jugea qu'il y avait abus et poursuivit les exécuteurs de la mesure: Le conseil du roi cassa cet arrêt et répondit aux remontrances par une invitation à la paix. Le parlement, au lieu d'obéir, rendit le 18 avril 1752 un nouvel arrêt portant en général défense d'exiger des billets de confession pour l'administration des sacrements. Le conseil du roi annula encore cet acte. Enfin, au commencement de 1755, les refus de sacrements continuant, le parlement saisit le temporel de l'archevêque et convoqua les pairs afin de poursuivre le prélat luimême. Cette fois le gouvernement trouva que c'était entreprendre sur sa propre autorité : le parlement fut exilé, et on créa une chambre royale destinée à rendre la justice en sa place. Mais, on éprouva alors une opposition à laquelle on ne s'attendait pas et qui prouve à quel point s'étaient accrus, le mécontentement public et la di position à résister au pouvoir. Les avocats, les procureurs, les greffiers et jusqu'aux agents les plus subalternes protestèrent à leur tour et refusèrent de remplir leurs offices. Cet état de choses dura pendant quatorze mois. Il fallut que le gouvernement cédât. Il profita de la naissance du jeune prince qui fut plus tard Louis XVI, pour donner l'apparence d'une grâce à la réintégration du parlement; mais ce fut l'effet d'une véritable négociation. Le cours de la justice fut rétabli en septembre 1754.

Dans toute cette affaire, l'opinion publique avait pris vivement parti pour la magistrature. Ce n'était pas seulement la grande corporation des philosophes, très-nombreux à la cour et dans les salons, qui y trouvaient une belle occasion d'attaquer le fanatisme du clergé; mais c'était la bourgeoisie en masse qui applaudissait à un acte de résistance courageuse contre un pouvoir mauvais et méprisable; c'était encore cette partie de la nation que l'on appelait alors le petit peuple, qui eût été pour ses prêtres contre les magistrats, s'il n'avait senti dans l'exigence des billets de confession une violence contraire à l'esprit de charité, s'il n'avait vu la force du côté de l'archevêque et le courage du côté du parlement et du barreau.

Le parlement de Paris fut encouragé par cette approbation universelle. Les plus hardis de ses membres méditèrent d'en profiter

pour accroître leur influence; c'était un projet où l'intérêt public et l'intérêt de leurs priviléges paraissaient d'accord. Il ne s'agissait que d'attendre le moment où ils pourraient le faire partager à tous leurs collègues, et enfin le réaliser : les besoins financiers du gouvernement vinrent bientôt leur en offrir l'occasion. Les Anglais avaient commencé les hostilités; on avait besoin d'argent pour faire la guerre, et les ressources de l'État ayant été épuisées, dépassées même en pleine paix, il fallait recourir à de nouveaux impôts et les faire enregistrer. Le gouvernement convoqua, à cet effet, un lit de justice à Versailles. Le parlement refusa d'opiner, et, de retour à Paris, il protesta (août 1756). En même temps, il commença des démarches pour se liguer avec les autres parlements du royaume, afin de rendre tout commun entre eux, l'autorité, les priviléges, la résistance; mais les conséquences de ce projet étaient trop évidentes pour que le gouvernement ne s'y opposât pas. Le 13 décembre 1756, dans un nouveau lit de justice, le roi fit enregistrer trois déclarations: par la première, on renouvelait l'injonction de respecter la bulle Unigenitus; par la seconde, on défendait aux chambres de s'assembler sans la permission de la grande chambre; de recevoir aucune dénonciation, si ce n'était de la bouche du procureur général; de jamais protester contre les édits royaux; et enfin, d'interrompre le cours de la justice. Par la troisième, on supprimait une partie des chambres des enquêtes et des requêtes, etc. Ces ordonnances jetèrent d'abord la consternation dans le parlement à la stupeur succéda l'indignation. On se demanda pourquoi tout le parlement n'était pas supprimé. Emportée par un noble mouvement, et aussi dans la pensée de forcer la cour à reculer, la majorité des magistrats donnèrent leur démission : il ne resta que trente et un membres dans la grande chambre.

Tous ces faits causèrent une grande fermentation dans le public. Paris était plein de rumeurs et comme prêt à se révolter. Il y avait unanimité, et on ne se cachait guère pour tenir, sur le gouvernement et sur le roi, les propos les plus violents. Le mécontentement, ou plutôt la colère, descendue des classes supérieures et moyennes de la société aux classes inférieures, avait atteint tout le monde. On en eut bientôt la preuve : le 5 janvier 1757, un homme du peuple, François Damiens, frappa le roi d'un coup de couteau. La blessure n'était pas grave; mais Damiens, arrêté et interrogé, répondit qu'il n'avait pas voulu tuer le roi, mais seulement l'avertir de mieux gouverner. Damiens fut condamné par les quelques membres du parlement qui restaient, et écartelé en place de Grève. Cependant cet attentat eut un résultat inespéré : il amena la réconciliation du par

TOME I.

lement et de la cour. Voici comment : dans les premiers moments, lorsqu'on croyait la vie du roi en danger, madame de Pompadour fut éloignée et le dauphin appelé ; mais la peur de Louis XV, quoique exagérée, ne put durer longtemps; alors le dauphin fut, de nouveau, éloigné et madame de Pompadour rappelée. Celle-ci ne put pardonner aux ministres qui l'avaient fait écarter: aussi le ministère fut-il changé, MM. de Machault et d'Argenson renvoyés. Avec le ministère, changea le système: on se mit avec les parlementaires contre l'archevêque, et, par suite, le parlement rentra en grâce; les dernières ordonnances furent comme non avenues.

On était alors en guerre avec l'Angleterre, quoique l'on eût fait tout ce qui était possible pour l'éviter. Le gouvernement britannique, depuis la conquête de Guillaume, a fondé sa sécurité sur sa puissance maritime et sa puissance sur sa richesse commerciale. De ce point de vue, il a toujours surveillé la France. Or, celle-ci, qu'il suffit de laisser faire, pour qu'elle répare les fautes de ses chefs, s'était noblement relevée des échecs des dernières années. Ses armateurs couvraient les mers de leurs vaisseaux. Ses colonies étaient magnifiques, les plus belles du monde après celles de l'Espagne. Pondichéry, sous le gouvernement de Dupleix, devenait le centre d'un royaume dans les Indes. Tout annonçait que cette prospérité n'était qu'à son commencement. Encore quelques années de paix, et il semblait qu'elle devait s'élever au point d'être supérieure à toutes les attaques. L'Angleterre ne vit, contre ce danger, d'autre recours que la guerre; il lui fallait profiter du moment où elle avait encore la supériorité des forces pour écraser sa rivale. Attendre était courir les chances d'une égalité redoutable. Elle chercha donc partout un prétexte d'hostilité. D'abord elle se plaignit de Dupleix; ce gouverneur fut rappelé. Les îles Sainte-Lucie, la Dominique, SaintVincent, etc., étaient depuis longtemps communes aux deux peuples; l'Anglais s'en déclara l'unique souverain; le gouvernement français ne s'en émut point. L'Anglais se mit ensuite à disputer sur la délimitation des frontières du Canada et de la Louisiane. Il voulait, d'un côté, avoir une rive du Saint-Laurent, et de l'autre, couper la communication entre le Canada et la Louisiane, en s'établissant sur l'Ohio. Il ne se borna pas à des notes diplomatiques, il fit construire un fort précisément sur cette voie de communication. Un officier, envoyé en parlementaire à la garnison de ce fort pour en demander l'évacuation, y fut assassiné. On ferma encore les yeux sur cet attentat au droit des gens. Le gouvernement français pensa qu'en augmentant la garnison de ces colonies, il arrêterait les entreprises des colons anglais et empêcherait la ré

cidive des crimes de ce genre. En conséquence il fit préparer une expédition destinée à y porter trois mille hommes de renfort. Sur l'avis de cet armement, le ministère britannique notifia que ses vaisseaux avaient ordre de saisir tout bâtiment français qui porterait des troupes en Amérique ; et, comme pour prouver que cet avis n'était pas une vaine menace, il arriva, en effet, qu'une frégate française amena dans nos ports une frégate anglaise qui l'avait attaquée, et qui, moins heureuse qu'elle ne l'espérait, avait été prise par ceux qu'elle voulait capturer. Notre ministère ordonna de remettre la ceptive en liberté, et, se croyant racheté par cette marque de longanimité, il fit partir son expédition. Il n'y avait pas de déclaration de guerre, tout notre commerce se croyait en pleine paix; cependant le ministère anglais, exécutant ses menaces, mit une flotte à la poursuite de notre expédition, envoya quatre corps d'armée en Amérique pour surprendre nos colonies et fit attaquer notre commerce partout. Plus de trois cents bâtiments marchands furent ainsi capturés (1755). Il n'y avait plus moyen de reculer,[et la guerre fut déclarée.

Cependant l'Angleterre était seule contre la France, et, si le duel eût continué, il est probable qu'elle eût chèrement payé son injuste agression; le début de la guerre le prouve : partout elle fut battue. Toutes ses attaques dans nos colonies furent repoussées, quoique la plupart faites à l'improviste (1755). Le maréchal de Richelieu lui enleva Port-Mahon; l'amiral Galissonnière, quoique n'ayant à sa disposition qu'un nombre de vaisseaux inférieur, fit éprouver à la flotte anglaise, dans la Méditerranée, un échec considérable qui eût été une défaite complète si les forces eussent été égales. L'Angleterre, pour s'en venger, condamna à mort l'amiral Byng, qui avait eu le malheur de perdre cette bataille. Elle comprenait d'ailleurs très-bien que son isolement pourrait lui devenir fatal; aussi avait-elle pris des mesures pour qu'il ne durat pas.

Le ministère britannique avait, dès le 16 janvier 1756, signé, avec le roi de Prusse un traité, dans le but d'empêcher l'entrée de troupes étrangères en Allemagne. Cette alliance créait une chance de guerre continentale, aussi bien dans le cas où la France se laisserait aller à une entreprise sur le Hanovre, que dans celui où elle céderait aux efforts de la diplomatie autrichienne pour l'entraîner dans ses projets contre la Prusse. La France pouvait parfaitement s'abstenir et se borner, si une guerre éclatait en Allemagne, à une neutralité armée qui lui eût permis d'employer toutes ses forces contre son véritable ennemi. Mais la France était alors gouvernée par une femme. Le roi de Prusse s'était beaucoup moqué de la Pompadour; ill'appelait ordinairement Cotillon IV. L'impératrice, au

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