Images de page
PDF
ePub

remarque faite pour l'acquit de ma conscience, chacun en croira pourtant ce qu'il voudra.

Au point de vue de la description des caractères et de l'observation naturelle des talents, l'étude de Marolles a sa moralité particulière: il nous apprend à ne mépriser personne. Tout homme laborieux a sa fonction et peut avoir son utilité, sa distinction propre. A côté d'une faculté qui dévie et qui divague, il peut, dans le même homme, s'en rencontrer une autre où il excelle et où il mérite d'être considéré ; et tel qui le raille aisément pour des défauts qui sautent aux yeux, aurait tout profit d'aller à son école pour la qualité qu'il a.

Lundi, 1er mars 1858.

LETTRES

DE

LA MÈRE AGNÈS ARNAULD

ABBESSE DE PORT-ROYAL

Publiées sur les textes authentiques avec une Introduction

PAR M. P. FAUGÈRE (1).

Et qui donc parlerait des Lettres de la mère Agnès, si je n'en parlais pas? Il y a plus de vingt ans que j'ai l'honneur de la connaître et que j'ai affaire à elle; que, dans mes Études de Port-Royal, j'ai occasion de la rencontrer à chaque instant, de me dire et de me redire en quoi elle diffère par le caractère et le tour d'esprit de sa sœur la mère Angélique, la grande réformatrice du monastère; que j'ai l'habitude de recourir à ses lettres, à celles dont il existe à la Bibliothèque impériale et à l'Arsenal des recueils manuscrits, pour y chercher la suite et le détail des relations qu'entretenaient avec le dedans de Port-Royal les amis du dehors, les ci-devant belles dames plus ou moins retirées du monde, telles que madame de Sablé, le ci-devant frondeur M. de Sévigné, oncle de la spirituelle marquise. Il ne serait pas du tout exact de

(1) Benjamin Duprat, rue du Cioître Saint-Benoît, no 7.

dire, comme je vois que l'a fait un critique (1) d'ordinaire attentif et qui sait son dix-septième et son dix-huitième siècle, que les historiens de Port-Royal, Besoigne, Dom Clémencet et leurs successeurs, n'ont pas connu ces lettres; ils n'en ont pas connu la totalité, mais il leur en était passé par les mains un bon nombre. On avait essayé dans le temps de recueillir toutes les lettres de la mère Agnès comme on avait fait pour celles de sa sœur publiées en 1742-1744; mais l'entreprise était restée en chemin, soit qu'on n'eût pas réussi à réunir tout ce qu'on espérait, soit que le public qui s'intéressait à ce genre d'ouvrages eût fort diminué à mesure qu'on avançait dans le dixhuitième siècle. « Il y a lieu surtout d'être étonné, remarquait Dom Clémencet au sujet de ces mêmes. Lettres, que nous en ayons si peu de celles qu'elle a écrites à la reine de Pologne, avec laquelle les Mémoires de Port-Royal nous apprennent que la mère Agnès continua la relation qu'avait eue la mère Angélique durant les sept années que cette reine survécut. » C'est qu'on avait eu, dès le principe, moíns de précautions dans un cas que dans l'autre pour s'assurer de ne rien perdre. On était à l'affût pour prendre copie de tout ce qu'écrivait la mère Angélique, et, avant de faire partir ses lettres, on en retenait des doubles à son insu. La mère Agnès, si respectée qu'elle fût, n'était que la seconde de la mère Angélique, et ne la remplaça jamais tout à fait aux yeux des sœurs; on ne faisait pas collection à l'avance de tout ce qui sortait de ses lèvres ou de sa plume; on ne lui préparait pas son dossier de sainte de son vi

(1) M. Paul Boiteau, dans la Revue Française du 10 février 1858, page 112.

vant. La persévérance toutefois, qui fait le caractère du petit troupeau jänséniste, n'avait pas cessé son effort après tant d'années, et l'on n'avait pas renonce à payer cette dette d'une publication tardive à une mémoire des plus honorées. Je savais que le séminaire d'Amersfoort, dépendant de l'église d'Utrecht, possédait un recueil complet des Lettres de la mère Agnès. Depuis quelques années, les grandes bibliothèques de Paris où sont conservées des copies manuscrites avaient été soigneusement explorées; les recueils mêmes de ces copies portaient des traces visibles du passage des patients investigateurs, ou plutôt des investigatrices (car c'étaient des dames, m'assure t-on, qui se livraient à ce travail); des tables, des renvois et concordances d'une écriture trèsnette et toute récente faisaient présager une pensée d'assemblage et d'édition. Le goût de notre époque, qui s'est reporté sur les vieux papiers et qui a mis l'inédit en honneur, favorisait cette idée, qui, toute de curiosité pour nous, est une idée de piété chez ceux qui l'ont conçue. En s'adressant pour l'exécution définitive et pour l'introduction auprès du public à M. Prosper Faugère, si connu par son édition originale de Pascal, la personne ou les personnes qui avaient préparé le recueil et qui ne se nomment point (selon une habitude modeste ou mystérieuse imitée ou héritée de Port-Royal) ont fait le meilleur choix possible; il ne se pouvait de plus sûre garantie de scrupule et d'exactitude. Dans les simples et judicieuses pages qu'il a mises en tête, M. Faugère a dit ce qui était à dire; il a fait valoir les lettres et celle qui les a écrites par tous les bons endroits; il a écarté avec raison tout ce qui est de controverse, et il n'a présenté la publication dont il a pris soin que comme

une œuvre d'histoire et de piété. Je restreindrai encore le point de vue, ou plutôt je le simplifierai en disant qu'il me paraît difficile que ces Lettres aient aujourd'hui aucun effet de piété et de dévotion; la spiritualité en est trop subtile, trop particulière, trop compliquée de style métaphorique, de fleurs surannées, et trop mêlée à des questions ou à des intérêts de circonstance. L'histoire seule à désormais à en profiter, et encore la seule histoire du monastère dont la mère Agnès a été sinon une grande, du moins une aimable figure.

C'était une personne d'infiniment d'esprit plutôt que de grand caractère, d'une piété tendre, affectueuse, attirante, d'une délicatesse extrême et des plus nuancées. Si elle avait vécu dans le monde; on aurait parlé d'elle comme d'une précieuse du bon temps et de la meilleure qualité. Oui, la mère Agnès, si elle avait suivi la carrière du bel esprit et de la galanterie honnête, ne l'eût cédé à personne de l'Hôtel de Rambouillet. Toutes ses vertus et tous ses sérieux mérites, toutes ses mortifications n'ont pu émousser sa pointe d'esprit et même de légère gaieté. Née en 1593, entrée au cloître dès l'enfance, elle suivit sa sœur aînée dans ses austères réformes; elle n'en eût point eu l'initiative, mais elle les embrassa avec zèle, avec ferveur, sans reculer jamais, et en se contentant de les présenter adoucies et comme attrayantes en sa personne. Tout en elle conviait au divin Maître et semblait dire: Son joug est doux. « La mère Angélique est trop forte pour moi, je m'accommode mieux de la mère Agnès, » disaient les personnes du monde qui s'adressaient d'abord à l'une et à l'autre dans une intention de pénitence. Toutes deux avaient été, dans un temps, en relation assez étroite avec saint Fran

« PrécédentContinuer »