Images de page
PDF
ePub

Nous avons vu comment Louis XIV en avait agi avec ce corps. Mais s'il l'avait traité avec légèreté dans sa jeunesse, et tenu depuis dans sa dépendance, il l'avait du moins honoré dans le cours de son règne.

Le régent l'avait caressé, parce qu'il en avait besoin. Mais bientôt le système de Law, des querelles avec les ducs et pairs, l'affaire de la bulle Unigenitus, amenèrent des discussions orageuses entre la cour et le parlement.

:

Chacun de son côté employa les armes qui lui étaient familières la cour, les lits de justice, les enregistremens forcés, les lettres de jussion; le parlement des remontrances réitérées, assemblées permanentes des chambres, union des parlemens sous le titre de classes, cessation des fonctions judiciaires, démissions combinées de ses membres. Alors aussi le ministère eut recours aux moyens extrémes les lettres de cachet, les exils, les emprisonne

mens.

[ocr errors]

En 1753, le parlement ayant été relégué à Pontoise, on créa, pour le remplacer, sous le nom de chambre royale, un tribunal composé de conseillers d'état et de maîtres des requêtes.

Quelle attaque aux lois constitutives de la monarchie ! Un corps qui subsistait avec éclat depuis plus de quatre siècles, remplacé par ordonnance, comme s'il s'était agi de la révocation d'un intendant et avec la formule, car tel est notre plaisir 1!

L'opinion publique vint au secours du parlement : il fallut le rappeler. Mais les esprits étaient aigris, et de nouveaux sujets de discorde ne tardèrent pas à se pré

senter.

Des querelles très vives et très scandaleuses, que venait naguère d'envenimer l'expulsion des jésuites 2, 2, divisaient depuis long-temps le clergé et la magistrature.

La haute noblesse souffrait impatiemment de partager avec des bourgeois en robes, les hautes fonctions judiciaires et législatives.

'Le parlement n'eut garde de faire ces réflexions. « La constitution du royaume est violée, disait-il ; fidèles aux lois de la monarchie, nous ne devons être ni les organes, ni les jouets des volontés despotiques. »

* En 1762.

[ocr errors]

Le peuple, dans son inconstance, contemplait d'un œil indifférent le danger dont étaient menacés des gens qui (dans ces derniers temps du moins) n'opposaient pas assez de résistance à la surcharge des impôts, et qui ne s'échauffaient que sur ce qui leur était personnel.

Ceux que l'on commençait à appeler philosophes applaudissaient d'avance aux projets qui allaient éclore.

Louis XV, tout inappliqué qu'il était, ne se dissimulait point ce que ces symptômes avaient d'alarmant : et, comme le dit l'auteur de l'Histoire de France au XVIIIe siècle, « le mouvement, qui se faisait dans l'opinion, lui donnait une inquiétude vague. » Il aurait pu ajouter, mais

réelle.

Dans cette disposition où le gouvernement voyait les esprits, il conçut le dessein de détruire la magistrature parlementaire.

Le ministère avait commencé (en 1756) par humilier le parlement, en favorisant les prétentions du grand conseil, son éternel rival.

Il avait ensuite fait tenir, le 15 décembre de cette même année, un lit de justice pour l'enregistrement d'un édit de discipline, dans lequel les prérogatives du parlement étaient extrêmement restreintes.

En 1770, un nouvel édit plus sévère encore fut promulgué; et sur le refus du parlement de s'y soumettre, ses membres furent exilés, et le chancelier Maupeou leur substitua, en 1771, une sorte de tribunal transitoire, qu'il remplaça bientôt par six conseils supérieurs entre lesquels il morcela l'immense étendue du ressort de l'ancien parlement.

Tel fut le parlement Maupeou.

La noblesse, le clergé, la cour et surtout les hommes froissés par l'arrêt de 1762, triomphent! il n'y a plus de parlement! mais Ꭹ a-t-il encore une monarchie?

Içi viennent se placer les nobles remontrances de la

Ces hommes-là perdront la monarchie, disait Louis XV, en parlant des novateurs. Il la perdait bien davantage, lui roi très chrétien, par l'immoralité de sa conduite; et son chancelier jouant à colin-maillard en simarre chez la Dubarry n'était guère propre à donner de la considération au pouvoir.

cour des aides, rédigées par Malesherbes en faveur du parlement. << Jamais, dit un historien, le droit public de la France n'avait été présenté avec plus d'art, ni plus de profondeur que dans ces remontrances. On eût dit, en les lisant, que la constitution du royaume posait sur des bases immuables. Malesherbes effrayait les ministres ambitieux, qui essayaient de les renverser et substituaient l'action violente, mais instable du despotisme, à la marche lente et régulière d'une monarchie 1.

Plusieurs avocats, dans cette conjoncture, donnèrent d'honorables exemples de courage et de fermeté, soit en dédaignant d'accepter les places de judicature qui leur furent offertes par Maupeou, soit en refusant d'aller plaider devant les nouveaux juges 2.

Les princes et les pairs firent réflexion, et protestè

rent.....

Le parlement Maupeou, odieux par son origine anticonstitutionnelle, devint bientôt ridicule par le procès scandaleux que l'un de ses membres eut à soutenir contre le hardi Beaumarchais.

Un tel ordre de choses ne pouvait durer long-temps. A peine Louis XVI fut parvenu à la couronne (1774), qu'il rétablit le parlement, et lui rendit le droit de remontrance.

«Votre parlement, sire, a travaillé dans tous les temps pour affermir et pour étendre votre autorité souveraine, cette autorité sacrée qu'il regarde comme l'ame de l'état, et comme le principe de sa propre

existence.

« Si la fierté des grands vassaux s'est trouvée forcée à s'humilier devant le trône de vos ancêtres, de renoncer à l'indépendance, et de reconnaître dans le roi une juridiction suprême, une puissance publique supérieure à celle qu'ils exerçaient;

« Si l'indépendance de votre couronne a été maintenue contre les entreprises de la cour de Rome, tandis que presque tous les souveraius avaient plié sous le joug de l'ambition ultramontaine:

<< Enfin, si le sceptre a été conservé de mâle en mále à l'aîné de la maison royale, par la succession la plus longue et la plus heureuse dont il existe d'exemple dans les annales de l'empire;

«Tous ces services, les plus importans sans doute qu'on ait jamais rendus à l'autorité royale et à l'état, sont dus, l'histoire en fait foi, à votre parlement.

(Représentations arrêtées le 3 décembre 1770).

Target, qui persévéra jusqu'au bout dans ce refus, reçut pour récompense le titre de Vierge du palais, lorsqu'il reparut ensuite devant le vrai parlement.

Mais il fut aisé de voir que cette compagnie avait gardé rancune contre le pouvoir qui l'avait frappée. Loin de recevoir sa réintégration comme un bienfait de la couronne, elle affecta de dire que le roi, en rappelant le parlement, n'avait fait que céder aux vœux de la nation.

A cette époque, toutes les idées se trouvaient tournées vers des plans d'amélioration. On commençait à réclamer hautement la plupart des changemens opérés depuis 1.

Le nouveau plan d'administration que Turgot, alors contrôleur-général, avait développé au roi, était dirigé contre les classes privilégiées. Il voulait, pour subvenir à toutes les charges de l'état, y faire contribuer les deux ordres les plus riches et les plus puissans du royaume. des privilégiés se hâtèrent de former une ligue pour défendre leurs intérêts menacés. Oubliant leur ancienne haine contre le parlement, ils cherchèrent dans cette compagnie le moyen de donner un point d'appui à la résistance qu'ils allaient organiser. Ils trouvèrent ce corps parfaitement disposé à seconder leurs vues. J'ai parlé des édits bienfaisans portés par Louis XVI pour la suppression des corvées, des jurandes et des communautés. Le parlement refusa net de les enregistrer. « Il se déclara contre des innovations qui avaient reçu l'assentiment du roi, tonna contre celles qui n'étaient pas même encore proposées, et se hâta de prescrire l'immobilité à l'administration, de peur qu'elle ne rompît la chaîne qui unissait tous les priviléges.

»

-

Ainsi, après avoir vu le gouvernement abuser de sa force pour détruire l'opposition parlementaire, même dans ce qu'elle avait de légal, on voyait, par une déplorable réaction, le parlement s'insurger à son tour contre le pouvoir royal, et lui contester ses prérogatives.

a

On ne veut point, dit un historien royaliste, On ne veut point de réformes dirigées par le roi 2, et l'on ne sait pas que cette résistance fera naître un jour une révolution qui sera conduite par le peuple. »

'On en trouve l'énumération dans l'histoire de M. Lacretelle, tome IV page 369.

C'est bien le contraire du principe de la sainte-alliance.

Malesherbes et Turgot se retirent découragés.

Le choix de Calonne, délateur de la Chalottais, n'était pas de nature à réconcilier la magistrature avec le minis

tère.

En 1785, ce contrôleur-général veut faire un emprunt de 80 millions: le parlement résiste par trois fois, et n'enregistre plus tard qu'en protestant de la contrainte qu'on lui fait éprouver.

A ces résistances générales se mêlent des oppositions particulières.

Un arrêt du conseil du 14 avril 1785 ayant accordé un privilége pour une nouvelle compagnie des Indes, un avoeat publia, au nom du commerce de France, un mémoire où la question des priviléges exclusifs était discutée avec autant de hardiesse que de solidité. Le barreau commençait dès-lors à lier aux procès particuliers des questions d'un intérêt général.

Un procès célèbre vient compromettre les noms les plus augustes. Une condamnation vivement poursuivie ne peut être obtenue; le pouvoir ministériel exile le prélat que l'arrêt avait refusé de condamner.

Enfin, pour se venger de ce corps indocile, Calonne imagine de convoquer une assemblée de notables.

<< Les Français

disait-il, « sont avides de nouveautés, je veux les en combler; ils veulent de la hardiesse, je saurai les étonner par la mienne; ils veulent du mouvement, eh bien! ils éprouveront quelque peine à me suivre. »

A cette nouvelle, toute la vieille monarchie s'émeut; mais elle ne peut empêcher la convocation.

Le 22 février 1787, se fait l'ouverture de la première assemblée. Il n'y en avait pas eu de semblable depuis 1626. Ces assemblées, au reste, n'avaient conservé d'autre attribution que celle de dire au roi leur avis sur les questions que les ministres jugeaient à propos de leur adresser.

Celle-ci arrêta six articles principaux: 10 un emprunt de six millions de rentes viagères; 2o l'établissement d'assemblées provinciales pour la répartition égale des impôts : 3o la suppression de la corvée, sauf à la remplacer par

'L'affaire du collier, 1785.

« PrécédentContinuer »