des bérengariens, bétrobrusiens, henriciens, mauté sans une impiété extreme, pour user des termes (1) de saint Augustin, ou une arro gance téméraire. (1) De Utilit. cred. cap. 17. Cui nolle primas dare summæ profecto impietatis est, vel præcipitis arrogantiæ. VIE D'ARNAULD. ARNAULD (ANTOINE ), le 20° des enfants d'Antoine Arnauld et de Catherine Marion, né en 1612, fit ses humanités et sa philosophie aux colléges de Calvi et de Lisieux; il prit ensuite des leçons de théologie sous Lescot, qui dictait le traité de la grâce. Dans son Acte de tentative, soutenu en 1635, il étala daus sa these des sentiments assez opposés à ceux qu'on lui avait dictés, et les défendit avec un peu trop de vivacité. Il prit le bonnet de docteur de Sorbonne en 1641; et, en prêtant le serment ordinaire dans l'église de Notre-Dame sur l'autel des martyrs, il jura de défendre la vérité jusqu'à l'effusion de son sang, promesse que font depuis tous les docteurs. Deux ans après, il publia, avec l'approbation de quelques évêques et de vingt-quatre docteurs de Sorbonne, son livre De la fréquente communion. Ce traité fut vivement attaqué par ceux contre lesquels il paraissait être écrit ; mais il fut défendu encore plus vivement. Les disputes sur la grâce lui donnèrent bientôt occasion de déployer son éloquence sur une autre matière. Un prêtre de Saint-Sulpice ayant refusé l'absolution à M. le duc de Liancourt, qui était personnellement signalé dans la défense du livre de Jansenius, Arnauld écrivit deux lettres à cette occasion. On en tira deux propositions qui furent censurées par la Sorbonne en 1656. La première qu'on appelait de droit, était ainsi conçue : Les Pères nous montrent un juste en la personne de saint Pierre, à qui la grâce, sans laquelle on ne peut rien, a manqué dans une occasion où l'on ne saurait dire qu'il n'ait point péché. › La seconde qu'on appelait de fait : « L'on peut douter que les cinq propositions condamnées par Innocent X et par Alexandre VII, comme étant de Jansénius, évêque d'Ypres, soient dans le livre de cet auteur.› Arnauld, n'ayant pas voulu souscrire à la censure, fut exclu de la faculté. Quelque temps auparavant, il avait pris le parti de la retraite; il s'y ensevelit plus profondément depuis cette disgrâce, et n'en sortit qu'à la prétendue paix de Clément IX, en 1678. Il fut présenté au nonce, à Louis XIV, et à toute la cour. On l'accueillit comme le méritaient ses talents et le désir qu'il faisait paraître de jouir du repos que donne la soumission à l'Église. Il travailla dès lors à tourner contre les calvinistes les armes dont il s'était servi contre la Sorbonne. Ces temps heureux produisirent la Perpétuité de la foi, le Renversement de la morale de J.-C. par les calvinistes, et plusieurs autres ouvrages de controverse qui le firent redouter des protestants. Il semblait que la tranquillité fût revenue pour toujours; mais Arnauld, devenu suspect par les visites nombreuses qu'il recevait, et cru dangereux par Louis XIV, se retira dans les Pays-Bas, en 1679, loin de l'orage qui le menaçait. Son Apologie du clergé de France et des catholiques Angleterre, contre le ministre Jurieu, fruit de sa retraite, souleva la bile du prophète protestant. Cet écrivain lança un libelle intitulé l'Esprit de M. Arnauld, dans lequel il maltraitait étrangement ce docteur, qui refusa d'y répondre, mais qui n'y fut pas moins sensible. Une nouvelle querelle l'occupa bientôt. Le Père Mallebranche, qui avait embrassé des sentiments différents sur la grâce, les développa dans un traité, et les fit parvenir à Arnauld. Ce docteur, sans répondre à Mallebranche, voulut arrêter l'impression de son livre. N'ayant pu en venir à bout, il ne pensa plus qu'à en faire la réfutation; il commença en 1683. Il y eut plusieurs écrits de part et d'autre, assaisonnés d'expressions piquantes et de reproches très - vifs. Arnauld n'attaquait pas le Traité de la nature et de la grâce, mais l'opinion que l'on voit tout en Dieu, exposée dans la Recherche de la vérité. Il intitula son ouvrage : Des vraies et des fausses idées. Il prenait ce chemin, qui n'était pas le plus court, pour apprendre, disait-il, à Mallebranche à se défier de ses plus chères spéculations métaphysiques, et le préparer par-là à se laisser plus aisément désabuser sur la grâce. Mallebranche se plaiguit de ce qu'une matière dont il n'était nullement question avait été choisie, parce qu'elle était la plus métaphysique, et par conséquent la plus susceptible de ridicule devant presque tout le monde. Arnauld en vint à des accusations, savoir, que son adversaire met une étendue matérielle en Dieu, et veut artificieusement insinuer des dogmes qui corrompent la pureté de la religion. On sent que le génie d'Arnauld était tout-à-fait guerrier, et celui de Mallebranche fort pacifique. Les Réflexions philosophiques et théologiques sur le Traité de la nature et de la grâce, publiées par Arnauld en 1685, le rendirent vainqueur dans l'esprit de ses partisans; mais Mallebranche le fut aussi aux yeux de ses disciples. Cette dispute dura jusqu'à la mort d'Arnauld, arrivée à Bruxelles en 1694 Mallebranche lui avait déclaré qu'il était las de donner au moude un spectacle, et de remplir le Journal des savants de leurs pauvretés réciproques. Les partisans. des nouveautés alors en discussion perdirent le plus habile défenseur qu'ils aient eu. Son cœur fut apporté à Port Royal, puis transféré à Palaiseau. Santeuil et Boileau lui firent chacun une épitaphe, l'un en latin, et Jautre en français. Personne n'était né avec un esprit plus philosophique, dit un écrivain célèbre; et nous croyons pouvoir ajouter, avec un esprit plus théologique : mais il est malheureux qu'il n'ait pas toujours consacré à la défense de la vérité un génie fait pour éclairer les hommes. Il vécut jusqu'à 82 ans dans une retraite ignorée, sans fortune, lui dont le neveu avait été ministre d'état, lui qui aurait pu être cardinal (1). : On a sous le nom d'Arnauld environ 140 vol. en différents formats, dont un grand nombre est l'ouvrage de ses disciples, qui ont voulu leur assurer la vogue par l'autorité d'un grand nom. On peut les diviser en cinq classes La première composée des livres de belles-lettres et de philosophie: Grammaire générale et raisonnée, avec M. Lancelot, publiée de nouveau en 1756, sous ce titre : Grammaire générale et raisonnée, contenant les fondements de l'art de parler, etc., par MM. de Port-Royal, nouvelle édition, augmentée des notes de M. Duclos, de l'Académie française, et d'un supplément par M. l'abbé Froment, in-12; Éléments de géométrie ; la Logique, ou l'Art de penser, avec Nicole, livre fort méthodique, propre à faire saisir les règles d'une bonne logique ; Réflexions sur l'éloquence des prédicateurs, à Paris, en 1695, adressées à Dubois, membre de l'Académie, qui, dans la préface d'un traité traduit de saint Augustin, avait annoncé que les prédicateurs doivent renoncer à l'éloquence. On peut voir l'occasion et le jugement de cet ouvrage dans la Bibliothèque française de l'abbé Goujet ; Objections sur les méditations de Descartes ; le Traité des vraies et des fausses idées, à Cologne, en 1683. La 2* classe, des ouvrages sur les matières de la grâce, dont on trouve une liste fort longue dans le Dictionnaire de Moréri. Le principal est celui dont nous avons parlé plus haut, sous le titre de Réflexions philosophiques et théologiques. La plupart des autres ne roulent que sur des disputes particulières, si l'on en excepte la traduction des livres de S. Augustin, de la Correction et de la Grâce, etc. La 3o, des livres de controverse contre les calvinistes : La Perpétuité de la foi, ouvrage auquel il avait eu beaucoup de part, et qu'il publia sous son nom, comme Nicole son coopérateur l'avait désiré. Clément IX, à qui il fut dédié, Clément X et Innocent XI lui firent écrire des lettres de remerciment. Plusieurs écrivains ont assuré que cet ouvrage est entièrement de Nicole, ce qui n'est pas, et qu'il ne fut attribué à Arnauld, ainsi que plusieurs autres, que pour rehausser la célébrité et l'autorité du chef du parti; place qu'il paraissait être particulièrement propre à remplir, étant frère de l'evêque d'Angers, d'Arnauld d'Andilly, de la mère Angélique, et cousin du duc de Liancourt. On ne l'appelait que le grand Arnauld. Le Renversement de la morale de J.-C. par les calvinistes, en 1672, in-4°; l'Impiété de la morale des calvinistes en 1675; l'Apologie pour les Catholiques; Les calvinistes convaincus de dogmes impies sur la morale; Le prince d'Orange, nouvel Absalon, nouvel Hérode, nouveau Cromwel. L'auteur du Siècle de Louis XIV prétend que ce livre n'est pas d'Arnauld, parce que le style du titre ressemble à celui du Père Garasse ; il ne connaissait sans doute pas l'a bondance des termes que M. Arnauld trouvait sous sa main, quand son zèle s'enflammait. Cet ouvrage a toujours passé pour être de lui; on dit même que Louis XIV ordonna qu'on le fit imprimer, et qu'on en envoyât des exemplaires dans toutes les cours de l'Europe. La 4o, des écrits contre les jésuites, parmi lesquels on distingue la Morale pratique des jésuites, en 8 vol. qui sont presque tous d'Arnauld, à l'exception du premier, et d'une partie du second. On peut mettre dans cette 4* classe tous les écrits contre la Morale relâchée, dont il était un des plus ardents ennemis. La 5o, des écrits sur l'Écriture sainte : Histoire et concorde évangélique, en latin, 1655; La traduction du Missel en langue vulgaire, autorisée par l'Écriture sainte et par les Pères, faite avec de Voisin. Défense du nouveau Testament de Mons contre les sermons de Maimbourg, avec Nicole; et quelques autres écrits sur la même matière, etc. On a imprimé après sa mort neuf volumes de lettres, qui peuvent servir à ceux qui voudront écrire sa vie. On trouve dans le troisième volume de ses lettres une réponse aux reproches qu'on lui avait faits, de se servir de termes injurieux contre ses adversaires; elle a pour titre Dissersation selon la méthode des géomètres, pour la justification de ceux qui, en de certaines rencontres, emploient en écrivant des termes que le monde estime durs. Il veut y prouver par l'Écriture et par les Pères, qu'il est permis de combattre ses adversaires avec des traits vifs, forts et piquants. Il y a eu peu de vies aussi agitées que celle d'Arnauld. Chacun de ses mois, au moins, était marqué par une défense ou par une attaque nouvelle; souvent même, à peine avait-il quitté un adversaire qu'il s'en présentait dix autres. Le nombre des combats qu'il a soutenus est véritablement effrayant; aussi, vingt de nos grandes pages à deux colonnes contiendraient difficilement les titres seuls de ses ouvrages d'apologétique, de polémique ou de controverse. On ne peut comprendre que les forces de corps, d'âme et d'esprit d'un seul homme aient pu suffire à des luttes si multipliées, si vives, si prolongées; cependant, (1) Quoique l'on convienne assez généralement qu'il est mort à Bruxelles, il y a des disputes sur le lieu de sa sepulture. Un historien du temps, en parlant de son cœur transporté à Port-Royal, dit : « Quelque dévotion qu'on ait pour le cœur, ce n'est que la petite relique; le corps est la grande mais tout le monde ne sait pas où il repose. On en tient le lieu lort secret, sans doute pour empêcher la multitude de pélerinages qui s'y seraient faits, et dont les suites auraient été à craindre. Le convulsionnaire auteur du Dictionnaire janseniste, en 6 tomes, le dit enterré dans l'église paroissiale de Sainte-Catherine, à Bruxelles, au bas d'une chapelle, près du chœur ; et, par une contradiction singulière, il lui applique ces paroles du Texte sacré au sujet de la sépulture de Moise: Et non cognovit homo sepulcrum ejus usque in præsentem diem. (Voyez des réflexions fort sensées sur ce sujet dans le Dict. hist. de Ladvocat, préface de l'édition de 1764, p. 25.) Des personnes bien instruites assurent qu'Arnauld est enterré sous le maître-autel de l'église des Oratoriens de Lacken, près de Bruxelles. Quelques-uns prétendeu que le cadavre le Quesnel v est aussi. dans ses dernières années, Arnauld montrait la même vigueur que dans les premières. Cétait un lion auquel les combats étaient nécessaires, qui semblait même puiser des forces en déchirant, ou du plaisir en étant déchiré. Nulle carrière ne devrait être plus précieuse devant Dieu que la sienne si toutes ses victoires ou toutes ses défaites eussent eté pour la défense de la vérité. Malheureusement la plus grande partie a reçu sa récompense dans les vains applaudissements d'un parti qui a fait et qui cause encore beaucoup de mal à l'Eglise. Pourquoi faut-il que tant d'aveuglement ait été joint à tant d'intelligence, et que tant de zèle ait été stimulé par des motifs souvent si peu louables! AVERTISSEMENT. Cet ouvrage a été composé, il y a du temps, par un auteur recommandable par sa piété, par la solidité de sa doctrine, et par son zèle pour la vérité. Il l'avait fait pour défendre une position qu'il avait mise dans une de ses thèses, dans laquelle il soutenait la nécessité de la foi en Jésus-Christ, et concluait contre le salut des païens et des infidèles. Il parut en ce temps-là quelques discours sceptiques sur diverses matières, parmi lesquels il y en eut un sur la vertu des paiens, dans lequel on insinuait que Socrate, Platon, Aristote, Diogène, Zénon et quelques autres philosophes ou païens qui avaient moralement bien vécu, avaient pu recevoir en l'autre vie la récompense de quelques actions vertueuses qu'ils avaient faites dans ce monde, par la seule connaissance naturelle d'un Dieu et de sa Providence, sans avoir eu la foi en Jésus-Christ. L'auteur, animé d'un saint zèle, et alarmé d'une proposition si scandaleuse, qui tendait au déisme et à la destruction entière de la religion chrétienne, composa ce traité, et établit avec beaucoup de solidité la nécessité de la foi en notre unique Médiateur, Jésus-Christ Dieu-Homme. L'ouvrage s'est trouvé après sa mort parmi ses papiers, et en a été tiré pour le donner au public dans ce temps-ci, où il peut servir à la décision des questions très-importantes sur des matières qui s'agitent présentement. Il y a lieu d'espérer que le public recevra agréablement cet ouvrage, qui sera utile non seulement aux théologiens, à qui il fournit des raisons très-convaincantes pour répondre aux sophismes des infidèles, mais aussi aux personnes qui veulent s'affermir dans la religion chrétienne, puisqu'il en contient les preuves évidentes et fondamentales. Comme toutes ces preuves sont tirées de la sainte Ecriture et des saints pères de l'Eglise, on a trouvé à propos de rapporter au bas des pages et dans le texte les passages tout au long, afin que le lecteur pût, sans recourir à d'autres livres, confronter les originaux. On a mis à la tête de cet ouvrage, en manière de préface, la tradition des saints pères sur la nécessité de la foi en Jésus-Christ, qui semblait être nécessaire pour justifier l'uniformité de la croyance de l'Eglise et de ses docteurs sur cette matière. L'auteur avait laissé sans réponse quelques objections de ceux qui soutiennent que les païens vertueux ont pu être sauvés sans la foi en Jésus-Christ; pour y suppléer, on a cru devoir éclaircir à la fin de cet ouvrage quelques passages des pères qui restaient à expliquer. Si l'auteur avait mis lui-même au jour ce traité, il aurait peut-être changé quelque chose au style. Quoi qu'il en soit, on n'a voulu y rien réformer, et l'on est très-persuadé que le public aimera mieux que l'on ait donné l'ouvrage d'un aussi grand homme, tel qu'on l'a trouvé, que si l'on avait hasardé d'y faire quelque changement qui, donnant un nouveau tour aux expressions, aurait pu ôter la force aux pensées. Préface CONTENANT LA TRADITION DES SAINTS PÈRES DE L'ÉGLISE, TOUCHANT LA NÉCESSITÉ DE LA FOI EN JÉSUS-CHRIST POUR ÊTRE SAUVÉ. Quoique l'auteur de ce traité ait prouvé par plusieurs passages très-clairs de l'Ecriture et des saints pères, et par des raisonnements très-solides, que la foi en Jésus Christ a toujours été nécessaire pour être sauvé, parce qu'il n'a pas néanmoins fait une tradition complète, ni répondu à toutes les difficultés qu'on pouvait alléguer pour donner quelque couleur à l'opinion contraire, on a jugé à propos de recueillir ici les principaux témoignages des pères grecs et latins qui prouvent clairement la vérité que l'auteur à entrepris de soutenir, et d'ajouter à la fin de ce traité une réponse aux objections que l'on a faites, ou que l'on peut faire contre la nécessité de la foi en Jésus-Christ et en faveur du salut des païens, qui ne sont point réfutées dans cet ouvrage. La vérité que l'auteur établit dans ce traité est que, depuis la chute du premier homme, il est de nécessité absolue, pour être sauvé, d'avoir la foi en Jésus-Christ, et que dans tous les temps, dans tous les lieux, tant sous la loi de nature que sous la loi de Moïse, et depuis la promulgation de l'Evangile, personne n'a pu être sauvé sans cette foi. Il faut avouer qu'elle n'a pas toujours été également claire, ou, comme les théogiens parlent, explicite; mais l'auteur soutient avec raison qu'on ne doit pas la réduire à une simple connaissance naturelle de la providence de Dieu. C'est en ce sens qu'il rejette la foi implicite, et non pas dans le sens de saint Thomas, selon lequel cette foi n'est pas une connaissance naturelle, mais une créance fondée sur la révélation de Dieu, et ne se réduit pas à une simple connaissance de la providence générale de Dieu, mais à connaître et à croire en particulier en Jésus-Christ sauveur et libérateur de l'homme. Saint Thomas va encore plus loin, et dit même que, depuis le péché, il a été de tout temps en quelque manière nécessaire de croire explicitement le mystère de l'incarnation, même quant à la passion et à la résurrection de Jésus-Christ, et que sans cela les hommes n'eussent pas préfiguré, et avant la loi et sous la loi, la passion de Notre-Seigneur par des sacrifices, dont les plus considérables d'entre le peuple, qui étaient dépositaires de la vraie religion, connaissaient clairement la signification, et dont les simples avaient une connaissance voilée, par la créance où ils étaient que Dieu avait caché sous ces sacrifices les dispositions de la venue de Jésus-Christ, et étant persuadés que Dieu délivrerait les hommes de la manière qu'il l'avait révélé par son Saint-Esprit à ceux qui étaient les maîtres de la religion. Ainsi, selon saint Thomas, il n'y a jamais eu de vraie religion sans la foi de l'incarnation et de la passion de JésusChrist: mais il n'a pas toujours été nécessaire que tous ceux qui faisaient profession de la vraie religion eussent cette connaissance dévoilée. Il fallait qu'il y eût des maîtres de la religion, des personnes inspirées de Dieu, comme les patriarches, les prophètes, les prêtres, etc., que saint Thomas appelle majores, qui eussent cette foi claire et distincte; mais il n'était pas nécessaire que les simples eussent tous les mêmes connaissances : il a suffi avant et sous la loi de Moïse, tant aux Juifs qu'à quelques particuliers parmi les Gentils, qu'ils crussent, par une vraie foi, que Dieu les dé livrerait de la manière qu'il l'avait révélé à ces personnes inspirées de Dieu, et maîtres de la religion; de la même manière qu'il y a encore des articles de foi sans lesquels notre religion ne serait pas la vraie religion, qui sont crus distinctement par les personnes éclairées, dont néanmoins tous les fidèles ne sont pas reconnus avoir une connaissance distincte et particulière, et sur lesquels il suffit qu'ils soient dans la disposition de croire ce que l'Eglise croit. C'est ainsi, selon saint Thomas, que plusieurs d'entre les Juifs ont eu la foi en JésusChrist, et ont été sauvés par son moyen, parce qu'ils étaient dans la disposition de croire sur la venue du Messie futur, ce que leur religion les obligeait d'en croire, ce que les prophètes en avaient prédit, et ce que les personnes éclairées et inspirées de Dieu parmi eux en croyaient. A l'égard des Gentils qui ont été sauvés, saint Thomas soutient que plusieurs ont connu Jésus-Christ par une révélation particulière, comme Job. la Sibylle, etc. Et que si quelques-uns de ceux qui n'ont pas eu cette révélation ont élé sauvés, ils ne l'ont pas été sans la foi au Médiateur, parce que, quoiqu'ils n'aient pas eu de foi explicite en Jésus-Christ, ils ont eu toutefois une foi implicite en la providence de Dieu, croyant qu'il était le libérateur des hommes, par les moyens dont il lui plairait de se servir, et selon que l'esprit de Dieu l'avait révélé à quelques-uns qui connaissaient la vérité. Remarquez que saint Thomas doute très-fort s'il y a eu des Gentils sauvés sans avoir connu le Messie par révélation: Si qui tamen salvati fuerint, quibus revelatio non fuit facta; et qu'il assure qu'en cas qu'il y en ait eu, il ne suffisait pas qu'ils eussent connu la providence générale de Dieu par la lumière naturelle, mais qu'il fallait encore qu'ils eussent cru par la foi que Dieu, par une providence spéciale, serait le libérateur des hommes de la manière que son esprit l'avait révélé à quelques personnes qui connaissaient la vérité. Enfin depuis que la loi de la grâce a été révélée, saint Thomas décide nettement que généralement tous les hommes sont tenus, pour être sauvés, d'avoir la foi explicite des mystères de Jésus-Christ. Post tempus autem gratiæ revelatæ, tam majores quam minores. tenentur habere fidem explicitam de mysteriis Christi. C'est la doctrine formelle de ce saint dans l'article septième de la seconde question de sa seconde Seconde (1), où il traite 153 exprès la question; et c'est suivant ces principes, qu'il a décidé en tant d'autres endroits (1), que personne n'a jamais pu être justifié ni sauvé que par la foi de l'incarnation de Jésus-Christ. Et ideo mysterium incarnationis Christi aliqualiter oportuit omni tempore esse creditum, apud omnes diversimode tamen secundum diversitatem temporum et personarum... Post peccatum fuit explicite creditum mysterium incarnationis Christi, etiam quantum ad passionem et resurrectionein... Aliter enim non præfigurassent Christi passionem quibusdam sacrificiis, et ante legem, et sub lege, quorum sacrificiorum significatum explicite majores cognoscebant: minores autem sub velamine illorum sacrificiorumn, credentes ea divinitus esse disposita de Christo venturo, quo dammodo habebant velatam cognitionem... Post tempus autem gratiæ revelatæ, tam majores, quam minores tenentur habere fidem explicitam de mysteriis Christi præcipue quantum ad ea quæ communiter in Ecclesia solemnizantur et publice proponuntur, sient sunt articuli incarnationis, de quibus supra di ctum est. Objicit sibi Divus Thom. ad. 3. Multi gentilium adepti sunt salutem per ministerium Angelorum, ut Dionysius dicit, 9. cap. Cælest. Hierarch. sed gentiles non habuerunt fidem de Christo, nec explicitam, nec implicitam, ut videtur, quia nulla eis revelatio facta fuit. Ergo videtur quod credere explicite incarnationis Christi mysterium non fuerit omnibus necessarium ad salutem. Ad tertium dicendum, quod multis gentilium facta fuit revelatio de Christo, ut patet per ea quæ prædixerunt. Nam Job, Sibylla, etc... si qui tamen salvati fuerunt, quibus revelatio non fuit facta, non fuerunt, salvati absque fide mediatoris: quia etsi non habuerunt fidem explicitam, habuerunt tamen fidem implicitam in divina providentia, credentes Deum esse liberatorem hominum secundum modos sibi placitos, et secundum quod aliquibus veritatem cognoscentibus revelasset. (1) 1.2. 9. 98. a. 2. ad. 4. Aderat auxilium a Deo hominibus simul cum lege, per quod salvari poterant; scilicet fides Mediatoris, per quam justificati sunt anLiqui patres, sicut etiam nos justificamur. 1.2. q. 106. a. 1. ad. 3. Nullus unquam habuit gratiam Spiritus sancti, nisi per fidem Christi explicitam vel implicitam. Après cet avertissement, qui nous a paru nécessaire pour faire voir que le sentiment de l'auteur de ce traité, est conforme à la doctrine de S. Thomas et de l'école, nous allons nous acquitter de la première partie de ce que nous avons promis, en rapportant ici les principaux passages des pères grecs et latins sur la nécessité de la foi en JésusChrist, particulièrement avant que l'Evangile eût été annoncé au monde. 2. 2. q. 17 4. a. 6. in corp. Fides nostra in duobus principaliter consistit, primo quidem in vera Dei cognitione secundo in mysterio incarnationis Christi. 3. q. 49. a. 5. ad. 1. Sancti patres operando opera justitiæ, meruerunt introitum regni cœlestis per fidem passionis Christi. 3. q. 52. a. 5. ad. 2. Sancti patres dum adhuc viverent, liberati fuerunt per fidem Christi ab omni peccato, tam originali, quam actuali. Ibid. art. 6. in corp. Christi descensus ad inferos, illis solis liberationis contulit fructum, qui fuerunt passioni Christi conjuncti per fidem caritate formaiam. Illi autem qui erant in inferno damnatorum, aut penitus fidem passionis Christi non habuerunt, sicut infideles..... unde nec a peccatis suis erant mundati. S. Ignace dans son épître aux Philadel phiens, (1) parlant des prophètes de l'Ancien Testament, dit : Qu'ils ont annoncé l'Evangile qu'ils ont attendu de Jésus-Christ, qu'ayant espéré et cru en lui, ils ont été sauvés par l'unité qu'ils ont eue avec Jésus-Christ; et qu'ils sont renfermés dans l'Evangile de notre espérance commune. C'est à la foi en Jésus-Christ que ce père attribue uniquement le salut des prophètes: In quem cum credidissent salvati sunt: c'est parce qu'ils ont appartenu à Jésus-Christ et à son Evangile, hors lequel il n'y a point d'espérance de salut. Ibid. q. 61. a. 3. in corpora. Nullus sanctificari potest post peccatum, nisi per Christum, quem proposit Deus propitiatorem per fidem in sanguine ip mus. Ibid. q. 68. a. 1. ad. 1. Nunquam homines potuerunt salvari etiam ante Christi adventum, nisi fierent membra Christi: sed ante adventum Christi, homines Christo incorporabantur per fidem futuri adventus ejus. Rursus 2. 2. q. 2. a. 8. in corp. Mysterium incarnationis Christi ante Christum fuit explicite creditum L'auteur a fait voir si clairement que saint Justin, non seulement n'avait rien avancé qui fût contraire à la nécessité absolue de la foi en Jésus-Christ pour le salut, mais même qu'elle s'ensuivait de ses principes, que ce serait inutilement que nous répèterions les mêmes choses avec beaucoup moins de force et d'éloquence. Qu'on lise là-dessus le chapitre premier de la seconde partie, page 175. et suiv. Saint Irénée est un des pères qui établissent et répètent le plus souvent ce grand principe, que c'est par la seule foi en Jésus-Christ que les hommes ont toujours été sauvés. C'est, dit-il, livre II, chap. 5. par l'invocation du Fils de Dieu, que les hommes étaient sauvés et délivrés des esprits impurs, même avant la venue de Notre-Seigneur: Hujus invocatione etiam ante adventum Domini nostri salvabantur homines, et a spiritibus nequissimis, et a dæmoniis universis, et ab universa apostasia. Dans le III livre, chap. 18. en parlant du cantique de Siméon, il dit, (2) Que ce saint vieillard confessait que l'Enfant Jésus qu'il portait entre ses mains, était le Fils de Dieu, la lumière de toutes les nations, et la gloire d'Israel, et qu'il avait été la cause a majoribus; implicite autem et quasi obumbrate a minoribus. Ibid. art. 7. ad. 1. Semper fuerunt eadem speranda apud homines a Christo... Ad hæc speranda homines non pervenerunt, nisi per Christum. (1) S. Ignat. Epist. ad Philadelph. Prophetas quia diligamus, hi Evangelium annuntiaverunt, in Christum speraverunt. In quem cum credidissent, salvati sunt in unitate Jesu Christi, et annumerati in communis spei Evangelio. (2) S. Irenæus, lib. III. advers. hæres. cap. 18. Infantem quem in manibus portabat Jesum, natum ex Maria, ipsum confitens esse Christum Filium Dei, lumen omnium, et gloriam ipsius Israel, et pacem et refrigerium eorum, qui in dormitionem ieruut. Jam enim spoliabat homines, auferens ignorantiam ipsorum, suam autem agnitionem eis donans, et disper titionem faciens eorum qui cognoscebant cum. |