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CHAPITRE II

DE LA RÉDEMPTION DES HOMMES ET DE LA NATIVITÉ DE LA BIENHEUREUSE VIERGE MARIE

Au commencement, Lucifer se révolta contre Dieu, son Créateur, et aussitôt il fut précipité du haut du ciel dans l'abîme de l'enfer. C'est pour cela que Dieu résolut de créer le genre humain, afin de remplir les places que Lucifer et les mauvais anges avaient laissées vacantes dans le ciel. C'est pour le même motif que le démon, envieux de l'homme, lui dressait des embûches et s'efforçait de lui faire violer le précepte que le Seigneur lui avait fait. Pour arriver à son but, il se servit d'un serpent, qui ne rampait pas et qui appartenait à une espèce qui avait une tête très-intelligente. Le perfide entra donc dans le corps de cet animal, il trompa la femme, et il fit peser sur tout le genre humain la dure loi de la mort. Et tous nous étions condamnés à subir les tourments de l'enfer, condamnation dont un homme, quelque saint qu'il fût,

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ne pouvait nous affranchir. Mais enfin le Père des miséricordes et le Dieu de toute consolation jeta un regard de clémence sur notre misérable état, et il résolut de nous délivrer par lui-même. La colombe qui apporta à Noé dans l'arche une branche d'olivier, figurait la miséricorde du Seigneur pour les âmes détenues dans les limbes. Un grand nombre d'autres figures ont annoncé la même grâce. Depuis la création de notre premier père et la formation d'Ève d'une de ses côtes, dans le Paradis terrestre, depuis la fatale désobéissance qu'ils commirent en mangeant du fruit défendu, et depuis leur expulsion de ce lieu de délices, la divine Miséricorde ne cessa de porter les hommes au bien par mille moyens cachés, de leur inculquer le repentir, et de leur donner l'espoir du pardon par les mérites du Sauveur promis. Et de peur que notre ignorance et notre ingratitude ne rendissent pour nous inefficace cette indicible condescendance du Seigneur, il n'a cessé depuis les âges les plus reculés, depuis le juste Abel jusqu'à Jean-Baptiste, de nous annoncer la délivrance, de nous la promettre, de nous la figurer par les patriarches, par les juges, par les prêtres, par les rois ét par les prophètes, afin d'éclairer notre foi, d'enflammer notre cœur et de provoquer la vivacité de nos désirs à la vue de ces mille et mille oracles d'une signification si évidente. C'est pourquoi le pape saint Léon dit dans son troisième sermon sur la Nativité de Notre-Seigneur: Qu'elles cessent les plaintes de ceux qui prétendent que la naissance du Christ a été trop retardée, comme si ce grand miracle, qui vient de s'accomplir, n'eût pas été toujours annoncé dans les temps passés, L'Incarnation du Verbe a fait ce qui devait être fait;

mais le mystère de la Rédemption a toujours été connu. Ce que les Apôtres ont prêché, les Prophètes l'avaient. annoncé, et ce qui a toujours été cru n'est jamais trop tard accompli. La sagesse, la bonté du Seigneur, par ce retard salutaire, ont mis les hommes plus à même d'apprécier les œuvres de la Vérité, car l'accomplissement d'un événement, annoncé par tant de signes, prédit par tant d'oracles, retracé par tant de figures, ne peut faire l'ombre d'un doute, sous le règne heureux de l'Évangile. Or, la Nativité du Sauveur doit exciter en nous une foi d'autant plus vive et d'autant plus constante, qu'elle a été plus anciennement et plus souvent annoncée. Le Seigneur n'a pas songé au bonheur du genre humain dans une tardive commisération; mais, depuis le commencement du monde, il a fixé pour tous les hommes une seule cause de salut. En effet, la grâce de Dieu, par l'efficacité de laquelle tous les saints ont toujours été justifiés, n'a fait que s'accroître avec le Christ; mais elle n'a pas commencé avec sa naissance temporelle. Et telle est l'efficacité de ce grand Mystère de miséricorde, telle a été sa puissance même dans les figures qui l'ont annoncé, qu'il a profité à ceux qui ont cru à la réalisation de sa promesse, comme à ceux qui en ont joui après son accomplissement.

Saint Augustin1 à ce sujet fait une autre remarque également judicieuse. Le Christ, selon lui, n'est venu que lorsque l'homme a été convaincu de l'insuffisance de la loi naturelle et de la loi écrite. Si le Christ fût né plus tôt, l'homme aurait pu dire qu'il se serait sauvé en accomplissant la loi naturelle et la loi écrite, et que par con

1 Saint Augustin, liv. II: Questions sur l'Ancien et le Nouveau Testament; question 83.

séquent l'avénement du Seigneur était superflu, inutile. Mais, après qu'il a été bien prouvé que l'homme ne pouvait se sauver ainsi, puisque tous descendaient dans. les abîmes de l'enfer, le Christ est venu lui-même, parce que le temps de la miséricorde était arrivé; il n'est pas venu plus tôt, parce que cela n'était pas nécessaire, et que le remède spirituel ne profite qu'à ceux qui le reçoivent avec désir et affection. Le Christ n'est pas venu plus tard, de peur que la foi et l'espérance en l'Incarnation promise ne périclitassent dans les âmes. Si le Christ eût retardé son avénement, on aurait vu tous les jours décroître et se refroidir cette espérance et cette foi. D'après le même docteur, les anciens avaient. un grand désir de voir le Christ. Non-seulement les Patriarches et les Prophètes, mais encore tous ceux qui menaient une vie pieuse dans une sainte attente, savaient qu'il devait venir, et ils soupiraient ainsi après cet heureux événement: Oh! si cette Nativité arrivait de mon temps! Si je pouvais voir de mes propres yeux ce que je crois! Si la foi de ces premiers fidèles était si vive, leurs désirs si ardents, leur amour si grand pour le Christ qui n'était pas encore venu, quels eussent été leurs sentiments, si comme nous, ils avaient été témoins des faits? Mais, malheur à nous, pauvres cœurs froids de ces temps modernes, qui ne sommes pas aussi sensibles à la grâce que nous avons reçue, que les anciens l'ont été à sa promesse. Saint Bernard dit1: Lorsque je pense aux désirs de ceux qui soupiraient après la venue du Messie, je suis rempli de honte, je me confonds en moi-même et je ne puis re

'Saint Bernard: Serm. 2 sur le Cantique.

tenir mes larmes, tant me fait mal la torpeur de ces misérables temps. Car cette immense grâce que nous avons reçue nous donne moins de joie que n'en causait aux anciens le désir et la promesse de cette même grâce.

Le genre humain était plongé depuis de longs siècles (cinq mille deux cents ans environ 1), dans les ténèbres de l'erreur et de la corruption, et personne, à cause du péché du premier homme, n'avait pu monter à l'éternelle béatitude. Les Esprits bienheureux, jetant un regard de compassion sur ces déplorables ruines, supplièrent le Seigneur avec plus d'instance (car ils savaient que la plénitude des temps approchait) de remplir les places que la défection et l'orgueil des mauvais anges avaient laissées vacantes parmi eux. La Miséricorde, ayant avec elle la Paix, frappait donc au cœur du Père et le pressait de venir à notre secours; mais la Vérité, ayant avec elle la Justice, s'y opposait; et, entre la Miséricorde et la Vérité, il s'éleva une grande contestation, que saint Bernard nous rapporte dans son premier sermon sur l'Annonciation du Seigneur. La Miséricorde disait à Dieu : L'homme a besoin que vous ayez pitié de sa misère qui est à son comble, et le temps de la miséricorde est venu. La Vérité reprenait : Seigneur, accomplissez votre parole. Qu'Adam meure avec tous ses descendants, qui étaient en lui, quand, malgré votre défense, il a goûté le fruit de l'arbre fatal. Et la Miséricorde: Seigneur, pourquoi m'avez vous faite? La Vérité sait bien que si vous n'êtes jamais touché de compassion, je ne suis qu'un vain nom. Et la Vérité : Si le prévaricateur peut échapper à la sen

Simple opinion.

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