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ordinaires, le droit de fût, et à condition pareillement de charger dans les ports où ils arriveront des vins, eaux-de-vie, denrées et marchandises du royaume dont la sortie est permise, au moins pour la valeur des marchandises ci-dessus exprimées, sur le pied de ce qu'elles valent et se vendent en France.

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Par l'article 5, l'arrêt du conseil établit le système des passeports pour les vaisseaux ennemis; il porte que les vaisseaux hollandais en faveur desquels il aura été expédié des passeports pour venir charger dans les ports de France des vins, des eauxde-vie, des denrées et marchandises dont la sortie est permise, pourront, conformément aux dits arrêts du conseil, apporter les marchandises exprimées dans les dits arrêts, savoir: azur, colle de toutes sortes, bois de teinture, garance, poil de sanglier, fromage, rogues, borax, bois de buis, goudron, bourdillon, bourdille et toutes autres sortes de bois servant à faire des barriques et futailles, en payant le droit de fret et les droits d'entrée ordinaires, et à la charge que les dits vaisseaux hollandais et autres vaisseaux ennemis en faveur desquels il aura été expédié des passeports, chargeront dans les ports où ils arriveront des marchandises ou denrées du royaume au moins pour la valeur de celles des marchandises ci-dessus exprimées qu'ils auront apportées, sur le pied de ce qu'elles valent et se vendent en France.

On voit que cette décision était de la plus haute importance pour le commerce de Bordeaux. Grâce

aux nombreux passeports qui en furent la suite, notre port reprit une certaine activité commerciale. Cette mesure était un honorable progrès, qui devrait avoir conduit depuis longtemps à borner les actes de la guerre aux combats des forces militaires et à laisser complètement en dehors les intérêts particuliers du commerce. Malheureusement, les luttes qui se sont succédé depuis plus d'un siècle ont plutôt élargi et reculé les limites des cruautés de la guerre; espérons que l'avenir fera triompher des principes plus dignes de l'humanité.

L'étude et la direction des divers intérêts de la place n'étouffaient pas à Bordeaux les sentiments d'un vrai patriotisme; en l'année 1711, les négociants bordelais armèrent par souscription la frégate la Nymphe, de 40 canons; ce vaisseau croisa pendant toute la guerre, depuis Cordouan jusqu'à l'embouchure de la Loire; il soutint glorieusement plusieurs combats, fit des prises considérables et rentra dans le port après avoir honoré le pavillon français.

La paix d'Utrecht fut signée le 11 avril 1743. Heureux d'échapper aux dangers immenses qu'avait couru son royaume, Louis XIV subit la condition honteuse de combler le port de Dunkerque, et la France perdit l'Acadie et Terre-Neuve, c'est-à-dire ce qui pouvait assurer le développement de notre grande pêche. Les Anglais, victorieux, stipulèrent sans détour la suprématie de leur commerce et le dégagèrent de toute entrave, même des moyens de garantie établis dans certains ports. Ainsi, en ce qui regarde

Bordeaux, il fut établi dans l'article 12 du traité, que les capitaines des vaisseaux anglais ne seraient pas tenus de se servir, pour charger ou décharger leurs navires, des personnes établies à cet effet par l'autorité publique, mesure qui avait pour objet d'éviter la contrebande et la fraude.

Le commerce anglais abusa bientôt des droits pour ainsi dire arbitraires qui lui avaient été accordés; des plaintes nombreuses se firent entendre. D'un autre côté, les gouverneurs de nos colonies se crurent autorisés à accueillir librement le commerce anglais; ses navires y arrivèrent immédiatement en plus grand nombre que les nôtres; les conséquences de cet état de choses furent désastreuses; les premiers moments de la paix d'Utrecht produisirent en effet plus de ruines que la guerre n'en avait fait naître. Presque tous les navires armés à Bordeaux en 1713 et 1714 pour les colonies d'Amérique donnèrent de la perte; il y en eut plusieurs sur lesquels les armateurs perdirent plus de la moitié de leur capital. Une autre raison grave vint contribuer encore à la perturbation du commerce de Bordeaux; la plus importante de nos colonies, Saint-Domingue, établit tout à coup dans ses ports un droit de 30 sous par barrique de sucre brut, de 3 liv. par barrique de sucre blanc et de 4 liv. par tonneau d'encombrement sur chaque navire partant de Saint-Domingue. Cette charge, entièrement illégale, achevait la ruine des expéditions bordelaises. Les réclamations de notre port furent énergiques, et elles devaient l'être. Sur le premier

point, en effet, l'autorisation donnée aux Anglais pour nos colonies était une violation flagrante du règlement du mois d'août 1698; il ne pouvait être possible aux négociants français de faire un commerce avantageux dans nos îles si les Anglais y portaient librement des boeufs et lards salés, des farines, des étoffes de soie et de laine, des bas, de la quincaillerie et beaucoup d'autres marchandises que leur situation manufacturière leur permettait de donner à des prix bien inférieurs aux nôtres, sans parler des étoffes et toiles des Indes, prohibées alors dans le commerce français, et que les navires anglais versaient également dans les colonies.

Sur le second point, les autorités de Saint-Domingue n'avaient aucun droit d'établir dans l'île des mesures financières non autorisées par le gouvernement français. On demandait, en outre, au ministre, que pour faciliter le débouché des 80,000 quintaux de sucre qui existaient alors dans les ports du royaume, au delà de la quantité que pouvaient travailler les raffineries françaises, une décision royale ordonnât la restitution des droits d'entrée sur les sucres bruts qui seraient transportés à l'étranger.

Au milieu de ces circonstances difficiles, les négociants de Bordeaux surveillaient aussi avec intelligence et fermeté la conservation des principes protecteurs que le commerce malheureux doit trouver dans la loi. Ainsi, un arrêt du parlement ayant autorisé le lieutenant général à lancer des décrets de prise de corps contre tous les négociants faillis, les

commerçants adressèrent au ministre un mémoire très-sage pour s'opposer à cette mesure, et, par un arrêt du conseil royal, il fut décidé que la connaissance des faillites appartiendrait entièrement à la juridiction consulaire, hors les cas de prévention criminelle. La réclamation du commerce était légitime; il faut sans doute garantir la sécurité commerciale, mais il est également indispensable de protéger, d'honorer même le négociant honnête et malheureux; une rigueur sans mesure détruirait cet élan fécond, il faut dire même cet esprit d'audace qui peut seul créer le grand commerce.

La lutte énergique du commerce de Bordeaux ne tarda pas à porter ses fruits; plusieurs décisions mirent fin aux abus que nous venons de signaler; les affaires reprirent faveur. Le Gouvernement sentit aussi la nécessité d'amoindrir le monopole des grandes compagnies; un édit du mois de janvier 1716 accorda aux ports de Bordeaux, Rouen, Nantes et La Rochelle, la faculté de faire librement la traite des noirs, à la charge d'une redevance de 20 fr. par esclave.

Il faut dire un mot sur ce commerce des esclaves: De temps immémorial, la côte occidentale d'Afrique pratiquait l'usage inhumain de vendre ses habitants (1). Dès 1508, les premiers nègres furent transportés à Saint- Domingue par les Espagnols, sous le règne d'Élisabeth. Les Anglais commencèrent bientôt après à faire ce commerce, et la marine fran(1) Hist. philosophique, t. VI, p. 4.

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