Images de page
PDF
ePub

indigné de la scène des bosquets dans le Mariage de Figaro! Quant à l'effet de l'ouvrage de M. Scribe, on s'est passionné pour et contre; on a hésité longtemps; on a écouté avec des grincements de dents; on avait honte de l'intérêt qu'on prenait malgré soi à ce récit funeste! On se répétait de toutes parts que ce n'était pas là notre société corrompue, que c'était là un vice arrangé à plaisir, un vice de convention, un vice calomniá! En effet, pour des mœurs du grand monde, pour des passions de la société, pour des accidents d'honnête femme, ce sont des mœurs, des passions et des accidents au delà de toute vraisem< blance, au delà de toute vérité.

Au reste, comme histoire de dégradation sociale, il a paru à la fin du dernier siècle un livre non moins hardi et non moins ardent que la comédie de M. Scribe. La pensée première de son drame, M. Scribe l'a puisée, à coup sûr, dans le livre dont je parle. Quand les Liaisons dangereuses, ce complément funeste des légers romans de Crébillon fils, parurent à la fin du xvin siècle, comme pour résumer l'histoire des mœurs de ce temps-là, le XVIIIe siècle dévora ce livre avec un étonnement qui tenait de la peur! Ce siècle de l'esprit et des vices ingénus, avait si fort la conscience de son immoralité, qu'il sentit que peut-être Laclos avait raison, que peut-être les Liaisons dangereuses n'étaient pas un mensonge, et que la Marquise des Liaisons existait. De là l'effroi de se voir découvert, la honte de se savoir compris. De là l'effet inoui de ce livre qui produisit isolément une sensation aussi vive que le Mariage de Figaro en avait produit sur les masses.

Le livre de Laclos était en effet une révélation de l'avenir de ce siècle certainement pour des mœurs ainsi faites le châtiment était proche! A cela surtout, à cette terreur subite, le livre de Laclos a dù son immense succès. La tentative de M. Scribe n'est pas appuyée sur les mêmes causes de réussir. A voir des mœurs qui ne sont pas les nôtres, nous pouvons ressentir tout au plus un intérêt de curiosité, mais non pas un intérêt de passion. »>

THÉODOSE BURETTE.

Dans les époques troublées qui suivent les révolutions, entre le sable et l'écume de toutes choses, le plus grand soin de la critique et son p'us impérieux devoir c'est de veiller au maintien

des lois salutaires de la république lettrée, et de s'opposer aux envahissements de la rue, aux violences du carrefour.- Tel est le penchant funeste de tous les hommes, celui-ci armé d'une pique, ou celui-là armé d'une plume;—une fois le fossé comblé pour celuici, on dirait qu'il est comblé pour celui-là, si bien qu'à l'heure même où l'émeutier, de sa main violente, arrache à la constitution de ce pays les pages qui lui déplaisent, l'écrivain, mettant à profit les ruines d'alentour, s'affranchit aussitôt des règles communes, brise le joug qui lui pèse, et dans son petit domaine de prose ou de vers, de comédie ou de roman, de philosophie et d'histoire, accomplit obscurément à son usage, sa petite révolution de Juillet, sa petite révolution de Février. Ceux-là donc, qui tiennent la férule, tristes ferulæ, dit Martial, doivent être attentifs, le lendemain des révolutions, à ne pas laisser pénétrer, par la brèche ennemie, une foule d'abus, d'excès, de tentatives, de violences qui nuisent aux lettres, qui les retardent, qui les dégradent, qui les changent de leur voie honorable en leur ôtant leur plus grand privilége, l'isolement de toute injustice, et l'abstention de toute vengeance. Notez bien que lorsque nous parlons des excès de la plume, en ces moments d'angoisses et de peines, nous ne voulons pas désigner, à Dieu ne plaise, ces bandits de la parole écrite ou parlée, ces mécréants de la grammaire et de la morale publique, ces assassins de la plume et du paradoxe, à demi éclos dans le bourbier de l'émeute A Dieu ne plaise que nous touchions à ces fanges! Nous écrivons, de notre mieux, l'histoire d'une critique loyale et savante, nous serions honteux, et pourquoi faire? de dresser un réquisitoire de cour d'assises. Nous laissons les bandits au procureur du roi, nous gardons pour nous les esprits égarés, les cœurs blessés, les écrivains mécontents. Jamais, plus que le lendemain de la révolution de Juillet, les excès du théâtre n'ont été poussés plus loin et n'ont duré plus longtemps. Dans cette effervescence d'une liberté nouvelle, accordée au théâtre, on eût dit que tous les esprits, les bons et les mauvais, pressentaient qu'il était impossible que la France restât livrée à cette licence; les bons esprits commençaient à s'indigner, les autres se hâtaient de produire, et je vous jure qu'en ce temps-là on n'entendait guère répéter au premier feuillet des œuvres nouvelles le sonnet, la chanson, le refrain de Malherbe :

Je ne vois rien à la cour
De si beau que Vaubecourt!

On ne voyait rien de beau à la cour, et les malheureux princes des temps passés étaient traités comme on dit de Turc à Maure! A ces violences du drame effaré, le parterre applaudissait, heureux d'écraser avec rage ce qu'il avait adoré avec terreur, et ce fut, sans contredit, une des bonnes, courageuses et loyales actions du feuilleton dramatique aux premières années qui suivirent la révolution de Juillet (hélas! la liberté..... la licence des théâtres a duré cinq ans sans rien produire !) de dire enfin ses plus justes vérités à ce théâtre sans lois (et potus et exlex), à ce théâtre ivre encore d'une liberté sans excuse et sans frein. Chacun hésitait : nul n'était assez hardi pour entreprendre cette croisade contre les violences de la comédie et les mensonges du drame :

Sæpe ego nimbosis dubius jactabar ab undis!

Les insulteurs étaient jeunes et bien nés pour la plupart, ils étaient audacieux et ardents; ils appartenaient à ce monde à part, où la poésie est un aliment, où la prose est une passion, où la couleur est une excuse, où l'image est un pardon et fait oublier les plus cruels excès; certes, cela coûtait à la critique, qui était jeune et active elle aussi, de faire entendre, au milieu de ces concerts d'une jeunesse irritée et peu sérieuse, des paroles de blâme et le grand mot de cette époque : Tu n'iras pas plus loin! mais plus cette séparation absolue était un chagrin pour elle, et plus le courage de la critique se doit remarquer après la révolution de Juillet, d'avoir pris fait et cause pour les rois de l'histoire contre le théâtre moderne, d'avoir arraché l'histoire au drame qui la mettait en lambeaux, et qui la traînait dans toutes les fanges, cette grande dame insultée à plaisir. Un jour, François Ier, le roi du XVIe siècle, le héros de Marignan, le vaincu de Pavie, une étoile dans le nuage, un soldat, un poëte, un amoureux, un vaillant homme qui indiquait la poésie et les beaux-arts à cette France réservée aux destinées même de Louis XIV, - François Ier, sur un théâtre du boulevard, fut indignement outragé par un jeune

Nam cupide conculcatur, nimis ante metutum.

homme dont les premiers commencements, tout remplis de grâce et d'essais ingénieux, étaient loin d'annoncer le pamphlétaire à froid qu'il a été depuis, lorsqu'il a poussé la violence et la déclamation au delà de toute limite, à propos de ces illustres exilés dont tout au moins il aurait dû respecter l'exil : M. le duc de Bordeaux, M. le comte de Paris! Ce jeune homme, animé à bien faire et disposé aux meilleurs sentiments, appartenait à la même province que George Sand et Jules Sandeau; ils étaient partis de leur province tous les trois, à peu près le même jour, sans se connaître, à peine s'ils se sont rencontrés même à Paris, et pendant que les deux compagnons joyeux de l'élégie et du roman des bords de la Creuse essayaient leurs forces rivales dans toutes sortes de pages charmantes, empreintes de génie et de jeunesse, d'enthousiasme et d'amour, l'autre jeune homme essayait sa colère. Il grondait déjà à vingt ans, le malheureux et l'insensé ! Il avait rencontré chez moi le meilleur et le plus tendre de mes amis et de mes camarades d'enfance, Théodose Burette, une âme tendre, un bel esprit amusant et plein de grâce, un poëte à ses heures, un de ces hommes que le bon Dieu a mis au monde tout exprès pour être heureux un instant, et qu'il rappelle aussitôt que la jeunesse est passée et que la lèvre avide va toucher à la lie amère des vieilles années. Tu n'es déjà plus de ce monde, ô mon cher camarade qui m'as si souvent prêté l'appui de ta force et de ton courage. Mon vieil ami, mon protecteur et mon conseil! Si heureux quand tu avais une louange à faire, et si triste quand c'était un blâme ! Quand il avait une idée, il me la donnait aussitôt, quand il avait fait une découverte heureuse, sa découverte était pour moi. Enfants des mêmes travaux, enfants des mêmes plaisirs, sortis de la même génération et du même collége, nous avons été tout de suite heureux de peu, contents de tout; jamais nous n'avons joué au génie incompris, au désespoir, au byronisme, et la mélancolie elle-même, elle eût ri à nos gais visages. Que de gaîtés lui et moi, quelles fêtes innocentes de la jeunesse et que de printemps en fleurs! Plus tard, et quand déjà point ait l'âge mûr, nous aimions à nous rendre cette justice que nous avions été fidèles aux amitiés de notre enfance. Oui, nous avons pleuré avec ceux qui pleuraient, nous avons battu des mains aux grands triomphes de ceux qui marchaient en avant, nous avons aimé les puissants

et les célèbres, à plus forte raison les inconnus et les malheureux. J'ai dédié à Théodose Burette un de mes livres, et dans ces pages honorées de son nom, je lui disais : « De nous deux, tu as été le plus sage, car tu as été le plus modeste. Le grand jour t'a fait peur, et tu as pris pour ta règle une belle devise: Cache ta vie! Tu as mis sous le boisseau, comme on cacherait une action mauvaise, l'esprit, le talent, la verve, et ces dons précieux qui donnent la renommée à coup sûr; tu n'as pas voulu de la renommée, et je crois même, Dieu me pardonne! que tu ne voudrais pas de la gloire. Bien plus, ami, je ne serais pas étonné quand tu te serais effacé pour me faire place, afin que la route me fût plus facile. — Quand tu possédais les plus rares qualités de l'écrivain, tu m'as laissé libre cette carrière où tu devais marcher; tu étais un maître dans l'art de corriger les œuvres rebelles et les esprits indociles, et c'est moi qui juge les autres! Tu t'es fait humble et petit à plaisir, et tu m'as caché ces longs travaux historiques qui ont produit de si charmants livres auxquels tes disciples ne préfèrent que ta leçon parlée. Ainsi, tu es devenu un savant historien. Sans me le dire tu te levais chaque matin avant le jour, pour fouiller dans les vieilles chroniques, et tu venais chez moi, chez nous, ta juste tâche accomplie, en me disant : Jules, tu travailles trop! Nous parlions alors des choses qui m'instruisent et qui te plaisent parce que je m'y plais, des grands hommes d'hier et des chefs-d'œuvre de l'avant-veille, et tu te plaignais de ces gros livres, et tu plaignais ceux qui les font, disant souvent que les poemes d'Homère ont pu être contenus dans une coquille de noix. Que si par hasard quelque bruit politique arrivait jusqu'à nous, tu ne comprenais pas que le peuple le plus spirituel de la terre (cela se dit en France) jouât ainsi jusqu'à la fin du monde, cette farce énorme: Beaucoup de bruit pour rien. En fait de politique, nous savions seulement que le palais de la Chambre des députés est un monument en belles pierres de taille, et qui produit un bon effet vu du bord opposé; nous aimions le Luxembourg pour ce beau jardin tout d'air, de soleil, et de fleurs..... Je te vois d'ici, homme prudent pour moi, non pour toi : - Il ne faut pas, dis-tu, le doigt sur ta lèvre, parler

1. Les Catacombes; 6 vol. in-48.

« PrécédentContinuer »