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contraire à l'efprit de modération, en doit être banni. Il n'y a donc que des gens très-pauvres qui ne peuvent pas recevoir, & des gens trèsriches qui ne peuvent pas dépenser.

A Venife, les loix forcent les nobles à la modeftie. Ils fe font tellement accoutumés à l'épargne, qu'il n'y a que les courtisannes qui puiffent leur fajre donner de l'argent. On fe fert de cette voie pour entretenir l'induftrie; les femmes les plus méprifables y dépensent fans danger, pendant que leurs tributaires y mènent la vie du monde la plus obfcure.

Les bonnes républiques grecques avoient, cet égard, des inftitutions admirables. Les riches employoient leur argent en fêtes, en choeurs de mufique, en chariots, en chevaux pour la course, en magiftrature onéreufe. Les richeffes y étoient aufli à charge que la pauvreté.

CHAPITRE IV.

Des Loix fomptuaires dans les monarchies,

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LES Suions, nation germannique, rendent

honneur aux richeffes, dit Tacite; ce qui fait qu'ils vivent fous le gouvernement d'un feul. ». Cela fignifie bien que le luxe eft fingulièrement

propre aux monarchies, & qu'il n'y faut point de loix fomptuaires.

Comme, par la conftitution des monarchies, les richeffes y font inégalement partagées, il faut bien qu'il y ait du luxe. Si les riches n'y dépenfent pas beaucoup, les pauvres mourront de faim. Il faut même que les riches y dépensent à proportion de l'inégalité des fortunes ; & que, comme nous avons dit, le luxe y augmente dans cette proportion. Les richeffes particulières n'ont augmenté, que parcequ'elles ont ôté à une partie des citoyens le néceffaire phyfique; il faut donc qu'il leur foit rendu.

Ainfi, pour que l'état monarchique fe foutienne, le luxe doit aller en croiffant, du laboureur à l'artifan, au négociant, aux nobles, aux magiftrats, aux grands feigneurs, aux traitans principaux, aux princes, fans quoi tout feroit perdu.

Dans le fénat de Rome, compofé de graves magiftrats, de jurifconfultes & d'hommes pleins de l'idée des premiers tems, on propofa, fous Augufte, la correction des mœurs & du luxe des femmes. Il eft curieux de voir dans Dion avec quel art il éluda les demandes importunes de ces fénateurs. C'eft qu'il fondoit une monarchic, & diffolvoit une république.

Sous Tibere, les édiles propoferent dans le fénat le rétabliffement des anciennes loix fomptuaires. Ce prince, qui avoit des lumieres, s'y ⚫ppofa: «L'état ne pourroit fubfifter, difoit-il a

» dans la fituation où font les chofes. Com»ment Rome pourroit-elle vivre ?comment

pourroient vivre les provinces ? Nous avions » de la frugalité, lorfque nous étions citoyens » d'une feule ville; aujourd'hui nous confommons » les richeffes de tout l'univers; on fait travailler "pour nous les maîtres & les efclaves. voyoit bien qu'il ne falloit plus de loix fomptu aires.

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Lorfque fous le même empereur, on propofa au fénat de défendre aux gouverneurs de mener leurs femmes dans les provinces, à cause des déréglemens qu'elles y apportoient, cela fut rejetté. On dit: que les exemples de la dureté des anciens avoient été changés en une façon de vivre plus agréable.On fentit qu'il falloit d'autres moeurs.

Le luxe eft donc néceffaire dans les états monarchiques; il l'eft encore dans les états defpo tiques. Dans les premiers, c'eft un ufage que l'on fait de ce qu'on poffede de liberté : dans les autres, c'eft un abus qu'on fait des avantages de fa fervitude, lorfqu'un efclave, choisi par fon maître pour tyrannifer fes autres efclaves incertain pour le lendemain de la fortune de chaque jour, n'a d'autres félicités que celle d'affouvir l'orgueil, les defirs & les voluptés de chaque jour.

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Tout ceci mene à une réflexion. Les républiques finiffent par le luxe; les monarchies, par la pauvreté.

CHAPITRE

V.

Dans quels cas les Loix fomptuaires font utiles dans une monarchie.

CE fut dans l'efprit de la république

ou

dans quelques cas particuliers, qu'au milieu du treizieme fiècle on fit en Arragon des loix fomptuaires. Jacques I ordonna que le roi ni aucun de fes fujets ne pourroient manger plus de deux fortes de viandes à chaque repas, & que chacune ne feroit préparée que d'une feule manière, à moins que ce ne fût du gibier qu'on eût tué foi-même.

On a fait auffi de nos jours, en Suede, des loix fomptuaires; mais elles ont un objet dife férent de celles d'Arragon.

Un état peut faire des loix fomptuaires dans l'objet d'une frugalité abfolue; c'est l'efprit des loix fomptuaires des républiques, & la nature de la chofe fait voir que ce fut l'objet de celles d'Arragon.

Les loix fomptuaires peuvent avoir auffi pour objet une frugalité relative; lorfqu'un état, fentant que des marchandifes étrangeres d'un trop haut prix demanderoient une telle exportation des fiennes, qu'il fe priveroit plus de fes befoins par celles-ci qu'il n'en fatisferoit par celles

là, en défend abfolument l'entrée: & c'eft l'efprit des loix que l'on a faites de nos jours en Suede. Ce font les feules loix fomptuaires qui conviennent aux monarchies.

En général, plus un état eft pauvre, plus il eft ruiné par fon luxe relatif, & plus par conféquent il lui faut de loix fomptuaires relatives.

Plus un état eft riche, plus fon luxe relatif l'enrichit, & il faut bien fe garder d'y faire des loix fomptuaires relatives. Nous expliquerons mieux ceci dans le livre fur le commerce. Il n'eft ici queftion que du luxe abfolu.

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Du luxe à la Chine.

DEs raifons particulieres demandent des loix

fomptuaires dans quelques états. Le peuple, par la force du climat, peut devenir fi nombreux; & d'un autre côté, les moyens de le faire fubfifter peuvent être fi incertains, qu'il eft bon de l'appliquer tout entier à la culture des terres. Dans ces états le luxe eft dangereux, & les loix fomptuaires y doivent être rigoureufes. Ainsi, pour favoir s'il faut encourager le luxe ou le profcrire, on doit d'abord jetter les yeux fur le rapport qu'il y a entre le nombre du peuple & la facilité de le faire

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