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ples, l'armée que Julien mena contre les Perses fut poursuivie dans sa retraite par des Arabes à qui il avoit refusé le tribut accoutumé (1); et, d'abord après, sous l'empire de Valentinien, les Allemands, à qui on avoit offert des présents moins considérables qu'à l'ordinaire, s'en indignèrent, et ces peuples du Nord, déjà gouvernés par le point d'honneur, se vengèrent de cette insulte prétendue par une cruelle guerre.

Toutes ces nations (2), qui entouroient l'empire en Europe et en Asie, absorbèrent peu à peu les richesses des Romains; et, comme ils s'étoient agrandis parce que l'or et l'argent de tous les rois étoient portés chez eux (3), ils s'affoiblirent parce que leur or et leur argent fut porté chez les autres.

Les fautes que font les hommes d'état ne sont pas toujours libres: souvent ce sont des suites nécessaires de la situation où l'on est ; et les inconvénients ont fait naître les inconvénients.

La milice, comme on a déjà vu, étoit devenue

(1) Ammien Marcellin, Livre xxv.

(2) Ibid., Livre xxvi.

(3) « Vous voulez des richesses, disoit un empereur

à son

» armée qui murmuroit : voilà le pays des Perses, allons en > chercher. Croyez-moi, de tant de trésors que possédoit la > république romaine, il ne reste plus rien; et le mal vient de ceux qui ont appris aux princes à acheter la paix des barbares. Nos finances sont épuisées, nos villes détruites, nos provinces ruinées. Un empereur qui ne connoit d'autres biens que ceux de l'âme, n'a honte d'avouer une » pauvreté honnête. » (Ammien Marcellin, Livre xxiv.)

pas

très à charge à l'état : les soldats avoient trois sortes d'avantages; la paye ordinaire, la récompense après le service, et les libéralités d'accident, qui devenoient très-souvent des droits pour des gens qui avoient le peuple et le prince entre leurs mains.

L'impuissance où l'on se trouva de payer ces charges fit que l'on prit une milice moins chère. On fit des traités avec des nations barbares qui n'avoient ni le luxe des soldats romains, ni le même esprit, ni les mêmes prétentions.

Il y avoit une autre commodité à cela: comme les barbares tomboient tout à coup sur un pays, n'y ayant point chez eux de préparatifs après la résolution de partir, il étoit difficile de faire des levées à temps dans les provinces. On prenoit donc un autre corps de barbares, toujours prêt à recevoir de l'argent, à piller et à se battre. On étoit servi pour le moment; mais dans la suite on avoit autant de peine à réduire les auxiliaires que les ennemis.

Les premiers Romains (1) ne mettoient point dans leurs armées un plus grand nombre de troupes auxiliaires que de romaines ; et, quoique leurs alliés fussent proprement des sujets, ils ne vouloient point avoir pour sujets des peuples plus belliqueux qu'eux. mêmes.

Mais dans les derniers temps, non-seulement ils

(1) C'est une observation de Végèce; et il paroit par Tite-Live que, si le nombre des auxiliaires excéda quelquefois, ce fut de bien peu.

n'observèrent pas cette proportion des troupes auxiliaires, mais même ils remplirent de soldats barbares les corps de troupes nationales.

Ainsi ils établissoient des usages tout contraires à ceux qui les avoient rendus maîtres de tout ét comme autrefois leur politique constante fut de se réserver l'art militaire, et d'en priver tous leurs voisins, ils le détruisoient pour lors chez eux, et l'établissoient chez les autres.

Voici, en un mot, l'histoire des Romains. Ils vainquirent tous les peuples par leurs maximes; mais, lorsqu'ils y furent parvenus, leur république ne put subsister; il fallut changer de gouvernement: et des maximes contraires aux premières, employées dans ce gouvernement nouveau, firent tomber leur grandeur.

Ce n'est pas la fortune qui domine le monde : on peut le demander aux Romains, qui eurent une suite continuelle de prospérités quand ils se gouvernèrent sur un certain plan, et une suite non interrompue de revers lorsqu'ils se conduisirent sur un autre. Il y a des causes générales, soit morales, soit physiques, qui agissent, dans chaque monarchie, l'élèvent, la maintiennent, ou la précipitent; tous les accidents sont soumis à ces causes; et si le hasard d'une bataille, c'est-à-dire une cause particulière a ruiné un état, il y avoit une cause générale qui faisoit que cet état devoit périr par une seule bataille. En un mot, l'allure principale entraîne avec elle tous les accidents particuliers.

TOME IV.

in

Nous voyons que, depuis près de deux siècles, les troupes de terre de Danemarck ont presque toujours été battues par celles de Suède. Il faut que, dépendamment du courage des deux nations et du sort des armes, il y ait dans le gouvernement danois, militaire ou civil, un vice intérieur qui ait produit cet effet; et je ne le crois point difficile à découvrir.

Enfin les Romains perdirent leur discipline militaire; ils abandonnèrent jusqu'à leurs propres armes. Végèce dit que les soldats les trouvant trop pesantes, ils obtinrent de l'empereur Gratien de quitter leur cuirasse, et ensuite leur casque ; de façon qu'exposés aux coups sans défense, ils ne songèrent plus qu'à fuir. (1)

Il ajoute qu'ils avoient perdu la coutume de forleurs tifier leur camp, et que, par cette négligence, armées furent enlevées par la cavalerie des barbares.

La cavalerie fut peu nombreuse chez les premiers Romains; elle ne faisoit que la onzième partie de la légion, et très-souvent moins; et ce qu'il y a d'extraordinaire, ils en avoient beaucoup moins que nous, qui avons tant de siéges à faire, où la cavalerie est peu utile. Quand les Romains furent dans la décadence, ils n'eurent presque plus qué de la cavalerie. Il me semble que, plus une nation se rend savante dans l'art militaire, plus elle agit par son

(1) De re militari, Livre 1, Cap. xx.

infanterie; et que, moins elle le connoît, plus elle multiplie sa cavalerie: c'est que, sans la discipline, l'infanterie pesante ou légère n'est rien; au lieu que la cavalerie va toujours, dans son désordre même (1). L'action de celle-ci consiste plus dans son impétuosité et un certain choc; celle de l'autre, dans sa résistance et une certaine immobilité : c'est plutôt une réaction qu'une action. Enfin la force de la cavalerie est momentanée : l'infanterie agit plus long-temps; mais il faut de la discipline pour qu'elle puisse agir long-temps.

Les Romains parvinrent à commander à tous les peuples, non-seulement par l'art de la guerre, mais aussi par leur prudence, leur sagesse, leur constance, leur amour pour la gloire et pour la patrie. Lorsque, sous les empereurs, toutes ces vertus s'évanouirent, l'art militaire leur resta, avec lequel, malgré la foiblesse et la tyrannie de leurs princes, ils conservèrent ce qu'ils avoient acquis; mais lorsque la corruption se mit dans la milice même, ils devinrent la proie de tous les peuples.

Un empire fondé par les armes a besoin de se soutenir par les armes. Mais comme, lorsqu'un état est dans le trouble, on n'imagine pas comment il peut en sortir, de même, lorsqu'il est en paix, et

(1) La cavalerie tartare, sans observer aucune de nos maximes militaires, a fait dans tous les temps de grandes choses. (Voyez les relations, et surtout celle de la dernière conquête de la Chine.)

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